Les Baka, un modèle ancestral pour préserver les forêts du Cameroun

Les peuples chasseurs-cueilleurs du Bassin du Congo détiennent le secret d’une cohabitation harmonieuse avec la forêt.

Félix Mangombe dans un abri utilisé pour que les gens puissent se reposer à leur retour de la forêt.
Simon Hoyte

Lors de mes recherches de terrain en 2020, je marchais avec les anciens autochtones Ferdinand Mbita et Félix Mangombe sur un sentier sinueux menant à leur forêt au Cameroun. Nous sautions par-dessus des colonies de fourmis noires agressives, à l’ombre d’arbres majestueux. À chaque excursion, nous entendions les cris des singes. Une fois, nous sommes tombés sur les empreintes d’un gorille.

Ce sentier, près de la rivière Dja, dans la région sud du Cameroun, se trouve à côté du petit village de Bemba. Les habitants du village, des chasseurs-cueilleurs Baka, l’empruntaient régulièrement pour chercher des plantes médicinales, cultiver leurs champs ou partir à la pêche ou à la chasse.

Un an plus tard, lorsque je suis revenu dans le village, le sentier était méconnaissable. La végétation dense avait disparu, les arbres avaient été abattus, l’accès aux rivières restreint. À la place, une route industrielle avait été tracée par une entreprise forestière autorisée par le gouvernement à exploiter une vaste zone derrière le village.

En inspectant les dégâts, Mbita et Mangombe ont remarqué que les arbres qu’ils utilisaient comme médicaments et les endroits où ils trouvaient du miel avaient été transformés en une terre boueuse et défigurée. Autrefois, ils trouvaient des empreintes d’animaux. Désormais, seules restaient les traces des camions de bûcherons. « Les Baka sont morts », murmura Mbita, abattu par ce spectacle.

Cette histoire n’est pas unique. Au moins 40 % des forêts camerounaises ont été affectées à l’exploitation forestière. À cela s’ajoutent les concessions accordées aux sociétés minières, aux sociétés de chasse sportive et aux grandes entreprises agro-industrielles. Elles ont abattu des forêts et créé des plantations de caoutchouc et d’huile de palme. Les effets sociaux et environnementaux ont été dévastateurs.

J’ai vécu dans le village baka de Bemba, dans le sud-est du Cameroun, pendant de longues périodes entre 2019 et 2021. C’est un petit village de 70 habitants. Les Baka sont environ 40 000 au total. Ils sont l’une des nombreuses communautés tributaires de la forêt dans la région, mais sont les seuls chasseurs-cueilleurs.

Mangombe et Mbita récoltent le miel dandù dans la forêt. Considéré comme la meilleure nourriture de la forêt, le miel occupe une place précieuse dans leur culture.
Simon Hoyte, Fourni par l’auteur

Au départ, il a fallu consacrer beaucoup de temps à instaurer un climat de confiance afin d’être sûr que la communauté comprendrait et accepterait ma recherche, qui visait à comprendre la relation de la communauté avec la forêt et la conservation. Au fil du temps, j’ai appris la langue baka. J’ai accompagné les gens lors de leurs sorties de pêche, de chasse et de cueillette, j’ai mangé avec eux, j’ai participé à des cérémonies et j’ai discuté de leur relation avec la forêt. Grâce à cette immersion, leur monde s’est ouvert à moi.

J’ai publié un article sur ces expériences en collaboration avec Félix Mangombe. Nous décrivons comment la pratique de partage des Baka est une technique précieuse de gestion et de conservation de la forêt qui peut transformer la façon d’utiliser les forêts.

L’impact destructeur de la conservation

Les programmes de conservation peuvent avoir des impacts sociaux et environnementaux dévastateurs. Sur les 54 parcs de conservation du Cameroun et leurs périphéries, 70 % sont liés au déplacement forcé des personnes vivant dans la région.
Certains habitants sont devenus des « réfugiés de la conservation » après l’expropriation de leurs terres pour créer des aires protégées. (Aucune étude ne quantifie encore ce phénomène au Cameroun.)

Lorsqu’on prive, sur le plan physique et psychologique, les communautés de leurs forêts, elles sombrent souvent dans la pauvreté et l’alcoolisme. Cela peut aussi les pousser vers des activités néfastes comme le trafic d’animaux sauvages ou la destruction de la biodiversité.

Partout dans le monde, on assiste à une évolution progressive vers des stratégies inclusives pour la préservation des forêts, où ceux qui vivent y sont impliqués dans leur gestion. Mais ces collaborations sont souvent mal conçues, car les grandes organisations et les gouvernements cherchent à garder le contrôle de la conception et de la mise en œuvre des projets.

Un lien indissociable avec la forêt

Un homme se tient dans une forêt tropicale dense, tenant de longs bâtons
Mbita après une excursion en forêt pour couper des feuilles de raphia utilisées pour fabriquer des cannes à pêche njɛ́ɛ̀njɛ̀./
Simon Hoyte

Depuis au moins les années 1980, les concessions forestières, une vaste zone de chasse sportive et l’aire de conservation protégée du Dja ont restreint l’accès des Baka de Bemba à leur forêt. Pourtant, leur lien avec cet environnement reste intact. Pour eux, les Baka et la forêt ont été créés ensemble. Ils interagissent avec elle à travers leurs activités, mais aussi par leurs croyances liées aux esprits de la forêt et aux ancêtres.

Cette relation guide leur utilisation des ressources et assure la pérennité de la forêt. Par exemple, ils ne considèrent pas que les arbres ou les animaux doivent être laissés intacts sans raison, ni qu’il faille exprimer de la gratitude ou rendre quelque chose en échange de ce qui est prélevé.

Pour eux, le partage est la clé du bien-être. Les anciens nous ont confié :

Si la forêt est partagée correctement, tout le monde vivra bien.

Se considérant comme une partie intégrante de la forêt, les Baka ne font aucune distinction entre le bien-être des humains et celui de la forêt. Le partage ne se limite pas aux autres personnes, il s’étend aux esprits de la forêt, aux animaux, mais aussi aux ancêtres et aux générations futures. Même les éléments immatériels, comme le rire et les cérémonies, sont activement partagés.

Dans la pratique, cela se traduit par une limitation de la récolte, la mise en commun des biens et une grande importance accordée au bonheur collectif.

Les Baka considèrent souvent que l’exploitation forestière, la chasse sportive et la conservation sont destructrices parce qu’elles prélèvent du bois, des animaux et des terres de manière excessive et ne les partagent pas. Ces activités représentent une menace existentielle pour eux, car ils ne peuvent concevoir une vie sans la forêt.

Partager la forêt

Mbita, de retour d’une excursion en forêt où il a coupé des feuilles de raphia utilisées pour fabriquer des cannes à pêche njɛ́ɛ̀njɛ̀.
Simon Hoyte, Fourni par l’auteur

La leçon à tirer des Baka est que la conservation ne doit pas être centrée sur la réalisation d’objectifs de biodiversité ou sur la capture d’une certaine quantité de carbone. Une forêt est un paysage social. Le partage responsable des ressources et des bénéfices entre tous ceux qui utilisent la forêt protège l’ensemble du système.

Le sentier que j’ai parcouru avec Mbita et Mangombe a en partie repoussé, rappelant la capacité de la forêt à se régénérer. Mais à l’intérieur, les cicatrices infligées à la forêt demeurent, tandis que les Baka de Bemba attendent l’arrivée des prochains étrangers.

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