Alors qu’une nouvelle hausse de tarifs entre en vigueur mardi, un mystère tient tout le Nouveau-Brunswick en haleine depuis plusieurs mois: pourquoi les factures d’électricité augmentent-elles autant?
Marie-Noëlle Ryan a beau se creuser la tête, elle ne comprend pas: ses factures d’électricité ont connu un bond cet hiver, quand bien même elle n’a pas changé ses habitudes. Elle a même été absente de sa maison pendant quelques semaines, en prenant soin d’éteindre son chauffe-eau avant de partir.
En particulier, son relevé d’Énergie NB de février lui semble «aberrant». Sur les graphiques que cette résidente de Moncton nous montre, on voit en effet un énorme pic de consommation ce mois-là. De 87 kWh par jour en février 2023, elle est passée à 106 kWh en 2024 (une autre personne vivait alors avec elle) puis à… 132 kWh en février 2025.
Cela se répercute sur la facture de cette professeure, évidemment: de 398$ en février 2024 (pour 29 jours), elle est montée à 650$ en février 2025 (pour 34 jours). Puisqu’elle souscrit à des paiements égaux, elle devra désormais payer 286$ par mois, contre 208$ auparavant. C’est une hausse de 37,5%, bien au-delà des 13,2% annoncés par Énergie NB l’an dernier.
Pourtant, Marie-Noëlle Ryan a beaucoup investi en 2021 pour rénover sa maison, qui est maintenant «hyper-isolée» et a des fenêtres neuves. Quand nous l’avons rencontrée, elle s’apprêtait à faire une réclamation à Énergie NB, ajoutant sa voix à de nombreux autres Néo-Brunswickois.
En janvier, après que plus de 1000 plaintes aient été déposées auprès de la société de la Couronne, le gouvernement Holt a demandé une enquête indépendante sur les factures élevées d’Énergie NB. Selon des résultats préliminaires dévoilés fin février, il n’y aurait pas de problème au niveau des compteurs des particuliers, ni dans le système de facturation.
Cela ne suffit pas à calmer le mécontentement dans les chaumières: une manifestation avait lieu samedi dernier à ce sujet à Moncton. Au quotidien, dans plusieurs groupes Facebook, des clients insatisfaits d’Énergie NB partagent des photos de leurs factures et tentent de comprendre pourquoi celles-ci s’envolent. Une même observation revient souvent: «Ça n’a pas de sens…»
Beaucoup plus froid que l’an passé
Intéressé par ce débat, Matthieu Dugas, un technicien employé par l’Université de Moncton, fréquente un de ces groupes et intervient à l’occasion pour essayer de comprendre ce qui se passe. Ce grand consommateur d’énergie (il a une voiture électrique et une maison en location) ne se plaint pas d’Énergie NB et juge les plaintes exagérées.
«En février, les nuits étaient beaucoup plus froides que l’an dernier, avec beaucoup de vent, explique-t-il. Ça fait énormément augmenter la consommation.»
C’est aussi l’explication qu’Énergie NB fournit à ses clients mécontents.
«Dans le très grand nombre d’appels de clients sur lesquels nous avons enquêté, les conditions météorologiques ont été de loin le principal facteur contribuant à l’augmentation de la consommation», affirme la chargée de relations avec les médias de la compagnie d’électricité, Elizabeth Fraser.
Matthieu Dugas invite les usagers à faire des comparaisons avec l’hiver 2023 plutôt que celui de 2024, relativement clément. Lorsqu’il fait cet exercice avec sa propre maison, il trouve une hausse de 400 kWh pour février (sur une consommation totale de 4000 kWh), ce qui n’est «pas énorme» à ses yeux.
«Ce qui s’est passé, c’est qu’avec l’installation des compteurs intelligents, les gens ont commencé à parler. Ils se sont mis à comparer leurs chiffres, leurs factures, mais sans nécessairement bien les interpréter», pense-t-il.
Bref, selon ses explications, entre la hausse de tarifs décrétée l’an dernier, l’arrivée des compteurs intelligents et les rudes nuits de cet hiver, on aurait eu un cocktail détonnant qui expliquerait que tous les yeux soient tournés vers Énergie NB.
La météo n’explique pas tout
Énergie NB juge qu’en moyenne, la consommation d’énergie augmente d’environ 4% lorsque la température extérieure baisse d’un degré.
L’Acadie Nouvelle a appliqué cette estimation à la facture de Marie-Noëlle Ryan, en utilisant les données de la station météo de l’aéroport de Moncton.
Sur ses périodes de facturation de février 2023 et 2025, alors qu’elle vivait seule, les températures moyennes étaient respectivement de -6,7°C et -10,7°C, d’après les données de la station météo de l’aéroport de Moncton compilées par l’Acadie Nouvelle.
Les températures minimales, correspondant aux moments de la journée où le chauffage est le plus actif, étaient quant à elles en moyenne de -11,9°C en février 2023 et -16,2°C en 2025.
Si l’on applique l’estimation faite par Énergie NB, la consommation de Marie-Noëlle Ryan devrait passer de 87 kWh/jour en 2023 à environ 105 kW/h par jour en 2025, ce qui est bien en-deçà des 132 kWh/jour effectivement relevés.
D’autres facteurs ont pu influer, comme le vent (sa maison est très exposée, reconnaît-elle) ou l’humidité. Reste qu’il y a une bonne part de mystère dans cette augmentation.
Les compteurs intelligents pointés du doigt
Susan Martin, une autre résidente de Moncton, est convaincue que la météo est une explication insuffisante pour justifier les hausses de consommation.
«Je n’arrive pas à expliquer que dans une maison que je possède et dont je paie les factures d’électricité depuis 15 ans, on est passé d’une consommation de 2400 kWh en février dernier pour une famille de quatre qui lavait son linge tous les jours, à 5400 kWh cette année pour une femme seule qui fait un lavage par semaine!», s’exclame-t-elle.
Elle a récolté plus de 100 factures jugées exagérées par ceux qui ont dû les payer. Sa conclusion: les compteurs intelligents amènent des hausses plus importantes de consommation. «Je ne dis pas que 100% des compteurs intelligents fonctionnent mal, dit-elle. Mais je suis sûre qu’il y a un problème dans la façon dont la consommation est enregistrée par Énergie NB.»
Marie-Noëlle Ryan a aussi un compteur intelligent, qui a justement été installé début février. Mais elle ne se risque pas à lui attribuer la responsabilité de sa facture élevée. D’ailleurs, au en mars, l’appareil a relevé une consommation inférieure à celle de l’année précédente. Il ne semble donc pas surévaluer systématiquement sa consommation.
De son côté, Matthieu Dugas, qui ne relève aucun problème chez lui, est aussi équipé de ce type d’appareil.
En attendant le résultat de l’enquête qui doit arriver fin avril, Énergie NB appliquera une nouvelle hausse de 9,7% à ses clients à partir de mardi. Ces derniers risquent donc de scruter encore plus leurs relevés dans l’année qui vient. On n’a pas fini d’entendre parler du mystère des factures…
Le déploiement des compteurs intelligents se poursuit
Énergie Nouveau-Brunswick a installé plus de 240 000 compteurs intelligents depuis novembre 2023, et entend avoir terminé fin 2025. Le travail est terminé sur la partie ouest de la province et est actuellement en cours dans le sud-est (Rothesay, Sussex, Shediac, Sackville, Moncton et Bouctouche). Puis ce sera au tour de Miramichi, Bathurst, Tracadie et Eel River à partir de mai.
La société de la Couronne insiste sur le fait que ces compteurs offrent plusieurs avantages aux clients, «comprenant l’accès en ligne à leur consommation jusqu’à des intervalles de 15 minutes, ainsi que la possibilité de définir des alertes de consommation par courriel si leur consommation dépasse le seuil qu’ils ont fixé».
Plus de 80% des Canadiens sont aujourd’hui équipés de ce type de compteur. Pour l’instant, moins de 3% des Néo-Brunswick ont refusé l’installation d’un compteur intelligent à leur domicile, dit Énergie NB.
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