Les Dossiers du Journal de Millau : Jean-Dominique Gonzales, aux petits soins des plus fragiles

Dans une société où tout va plus vite et où les filtres sont de moins en moins nombreux, certains vouent leurs vies à réparer les vivants, ceux que la société appelle souvent les exclus.

Les faits divers, tous plus sordides les uns que les autres, sont légion. Les réseaux sociaux n’ont plus de filtres. Les drogues se sont démultipliées et les mains tendues se font de plus en plus rares : la société évolue, et pas forcément dans le bon sens.

Au-delà de ces généralités entendues au poste de télévision ou balancées par-dessus le zinc d’un bistrot, c’est toute une branche de la profession de psychiatre qui a évolué avec son temps. Comme en témoigne Jean-Dominique Gonzales, arrivé pour la première fois en tant qu’interne à l’ouverture du service de psychiatrie à Millau en 1985. Après des expériences en Guadeloupe et à Saint-Alban, il est depuis 1992 « praticien hospitalier ».

Et pour lui, la patientèle Millavoise suit la même tendance que la patientèle nationale. « Quand j’ai commencé, on s’occupait de ce qu’on appelait des malades mentaux, entre 800 et 1 000 consultations par an à Rodez, et quelques dépressions, se rappelle-t-il. Il y a eu une évolution sociétale. Il y a toujours autant de malades mentaux. Désormais, il y a beaucoup de pathologies dites en état limite, c’est-à-dire des gens fragiles qui se manifestent par des dépressions et des difficultés d’attachement. On observe de plus en plus de couples séparés et de plus en plus tôt. Des femmes se retrouvent alors seules avec des enfants, en quête d’un idéal. Or, la stabilité psychique s’acquiert à l’enfance. »

Pour le docteur de 65 ans, plusieurs explications sont possibles : « Il est certain que les réseaux sociaux et l’individualisme aggravent ce phénomène. On voit depuis quelques années que les céli-couples se développent, c’est-à-dire qu’un couple passe du temps ensemble mais quand ça se tend, c’est chacun chez soi. » Sans parler d’actes parfois accompagnés de violences.

Des faits d’actualités marquants

Pour le docteur, responsable du dit cinquième secteur, rattaché au centre hospitalier de Millau, les mentalités ont aussi évolué par des faits d’actualité comme le Covid-19 et son confinement ou encore le mariage pour tous qui « a ouvert un espace, libéré des paroles au sein d’une famille et qui les ont parfois perturbées ».

Un autre exemple, les professionnels voyaient essentiellement les femmes d’agriculteurs. « Maintenant, on traite directement avec les agriculteurs, souligne Jean-Dominique Gonzales. Il y a une vraie demande pour ceux qui veulent être écoutés, d’autant que les parents sont aussi moins à l’écoute. Et la drogue et autres cocktails n’arrangent rien aux personnes déjà fragiles. »

Et comme dans beaucoup de services, les moyens sont limités. Avec 22 lits pour 12 à 15 jours d’hospitalisation en moyenne, le service psychiatrie hospitalise environ 355 personnes par an et soigne 1 200 patients sur le territoire du périmètre du Parc naturel régional des grands causses, et est l’un des seuls à proposer des thérapies collectives en Occitanie.

Au sein de ce service, une vingtaine de personnes œuvrent au sein de l’hôpital, une vingtaine navigue entre Millau et Saint-Affrique pour intervenir à domicile. Ces troubles touchent toute la société, à tous les âges, et de tout milieu socioprofessionnel.

Depuis 2014, une cellule composée de professionnels et des forces de l’ordre se réunit tous les deux mois pour faire un état des lieux du public capable de « décompenser rapidement ». Cinq à six personnes sont ainsi suivies à l’issue de ces réunions pour privilégier la voie sanitaire à celle judiciaire, plus longue, et dangereuse pour tout le monde.

Jean-Dominique Gonzales – un temps élu municipal et engagé politique à l’échelle départementale – avait été nommé en 2004 par le ministre de la Santé d’alors Jean-François Mattéi pour visiter plusieurs établissements avec d’autres professionnels et dresser un état des lieux. « Une importante féminisation de la médecine » avait alors été appréciée « mais qui choisit d’autres spécialités, ce qui n’a pas été pris en compte par l’État ».

« La psychiatrie était la branche la plus engagée à gauche historiquement mais le côté des sciences humaines a disparu peu à peu, témoigne-t-il. Aujourd’hui, les étudiants qui arrivent dans les premières positions au concours de médecine, choisissent la chirurgie esthétique, beaucoup plus rentable. »

À Millau, les professionnels travaillent avec d’autres structures comme Trait d’union anciennement Logis millavois, les Jardins du Chayran, Myriade, la Mission locale mais aussi à l’Ehpad, dans les hôpitaux, les centres gériatriques « et tous les lieux de précarité ». Avec l’intime conviction de réparer les vivants même si « comprendre l’humain est difficile », reconnaît-on.

« Il n’y en avait pas autant il y a quelques années et certains cas explosent du jour au lendemain sans prévenir », nuance Jean-Dominique Gonzales, son fidèle chapeau vissé sur le crâne.

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