Parmi les éléments expliquant ces failles, on trouve en premier lieu l’absence de réformes substantielles. Les réformes promises dans les secteurs de la sécurité, de la gouvernance et de la décentralisation n’ont été que partiellement mises en œuvre.
L’armée nationale, les FARDC, reste faible, infiltrée, sous-équipée et minée par la corruption. François Ruchogoza, ancien négociateur en chef et ancien secrétaire exécutif du M23, qui a depuis, quitter le mouvement rebelle, pointe du doigt l’inégalité dans les engagements pris par les parties dans l’accord.
Il explique que, « pratiquement, seul le gouvernement congolais avait des engagements à exécuter plus que les autres », ajoutant que : seul le gouvernement congolais a mis en place un mécanisme de suivi, le Mécanisme national de suivi de cet accord.
Intégration des rebelles dans l’armée nationale
Un autre problème majeur de l’accord réside dans l’intégration des ex-rebelles au sein de l’armée nationale. Après la défaite militaire du M23 en 2013, une partie des combattants a été intégrée dans l’armée congolaise, mais sans véritable processus de réconciliation.
Nombre de ces ex-combattants ont été marginalisés ou mal intégrés, entretenant ainsi des frustrations et des risques de reconstitution du mouvement. Aujourd’hui, certains d’entre eux se sont retournés contre les FARDC.
Les accords signés après l’Accord-cadre, notamment ceux de Nairobi (2013), prévoyaient une amnistie pour certains membres du M23 et leur retour en RDC. Cependant, ce processus a été mal géré. Des combattants et cadres politiques du M23 en exil, notamment en Ouganda et au Rwanda, ont dénoncé le non-respect de ces engagements.
Malgré l’engagement officiel de ne pas soutenir les groupes armés en RDC, des rapports annuels des experts de l’ONU et diverses autres enquêtes ont révélé que le Rwanda a continué à soutenir certains éléments du M23 et d’autres groupes armés. Kigali y voit un moyen de protéger ses intérêts sécuritaires et économiques, notamment face aux FDLR, un groupe hostile issu des milices hutues rwandaises responsables du génocide de 1994.
Le démantèlement des FDLR et le retour des Tutsis congolais
Le Rwanda exige depuis longtemps une action militaire décisive contre les FDLR. Kigali considère ce groupe armé comme une menace pour sa sécurité. Les autorités rwandaises estiment que la RDC et la Mission des Nations unies en RDC (Monusco) n’ont pas suffisamment d’efforts pour éradiquer ces forces hutues génocidaires, qui opèrent depuis l’Est congolais.
« Il y avait eu une collision entre l’armée congolaise et les FDLR à l’époque. Ce qui était un prétexte pour le Rwanda », a expliqué l’ancien chef de la Mission de l’ONU en RDC, Martin Kobler.
Le Rwanda plaidait également pour le retour sécurisé des réfugiés banyamulenge (Tutsis congolais) et des ex-combattants du M23 en RDC, sans représailles. Cette exigence cachait aussi la volonté de Kigali de maintenir une influence sur ces communautés, souvent perçues comme proches du pouvoir rwandais.
Tout en rejetant la responsabilité de la non-application de l’accord sur les gouvernements de Félix Tshisekedi, l’ancien ministre de Joseph Kabila et secrétaire permanent adjoint de son parti, Ferdinand Kambere, estime que la lutte contre les FDLR est un « alibi de longue date » du président Paul Kagame pour justifier son ingérence dans l’est de la RDC.
Selon lui, « Kagame est un expansionniste, comme Museveni. Il n’est jamais satisfait des frontières actuelles. Même si on lui donnait toute la RDC, il voudrait encore les étendre. »
Des intérêts économiques en jeu
L’Accord-cadre d’Addis-Abeba recommandait également l’accélération de l’intégration économique de la région, notamment pour répondre aux ambitions du Rwanda concernant les terres et les ressources minières de l’est congolais, selon des diplomates.
Cependant, François Ruchogoza estime que cet aspect était resté trop vague dans l’accord. « Ce que veut Paul Kagame, il l’a toujours dit, et tout le monde sait ce qu’il veut. Kagame est un expansionniste, comme Museveni. Il n’est jamais satisfait des frontières actuelles. Même si on lui donnait toute la RDC, il voudrait encore les étendre. Il n’a jamais pensé que le territoire du Rwanda lui suffisait. Il faut qu’il ait des tentacules sur d’autres territoires », ajoute-t-il.
Enfin, une rivalité régionale entre le Rwanda de Paul Kagame et l’Ouganda de Yoweri Museveni exacerbe les tensions en RDC. Les deux pays soutiennent parfois des factions opposées afin de garder une influence sur les ressources de l’est congolais, riches en or, en coltan et en d’autres minerais stratégiques.
Les ambitions achées du Rwanda
Lors des négociations qui ont abouti à l’Accord d’Addis-Abeba et des pourparlers post-conflit avec le M23 (Accords de Nairobi), plusieurs éléments ont circulé en coulisses sur les attentes et exigences du Rwanda. Son économie est en partie alimentée par le commerce illicite des ressources naturelles en provenance de l’Est congolais (or, coltan, cassitérite). Le pays tenait à préserver son influence sur ces ressources.
Certaines sources diplomatiques qui ont participé au processus de paix d’Addis-Abeba en 2013 ont confié à la DW que le Rwanda souhaitait obtenir des garanties discrètes sur l’accès aux minerais, allant jusqu’à évoquer l’instauration d’un corridor économique sécurisé.
Ceci est un secret de polichinelle, estime l’analyste congolais Christian Moleka : « Il y a donc cette présence économique et militaire qui est à la fois une source de croissance pour le Rwanda, avec un modèle basé sur l’enrichissement illicite. C’est un pari que Kigali a construit, et aujourd’hui, un retour à la stabilité et à la paix remettrait en question ce modèle de croissance. »
Par ailleurs, Kigali aurait insisté sur l’intégration non seulement des combattants, mais aussi des cadres politiques et militaires du M23 dans des postes stratégiques au sein de l’armée et de l’administration congolaises. Une demande qui n’a pas été pleinement acceptée par Kinshasa, rappelle Christian Moleka : « C’est un cycle : ces rebelles quittent leurs mouvements pour rejoindre l’armée nationale après amnistie, mais dès la première tension, ils reprennent les combats contre l’armée [congolaise]. »
Pour l’analyste, il y a une lassitude de la classe politique et de l’opinion publique en général, au point que le Parlement a adopté une résolution interdisant toute intégration des rebelles dans l’armée.
C’est un blocage important dans l’application de l’accord, car le gouvernement affirme être limité par cette interdiction parlementaire, a-t-il expliqué.
Pourquoi la résurgence du M23 ?
Aujourd’hui, pour expliquer sa reprise de la lutte armée, le M23 invoque le non-respect des accords et des engagements post-conflit.
Le mouvement accuse Kinshasa de ne pas avoir respecté ni l’Accord d’Addis-Abeba, ni celui de Nairobi. En particulier, le retour des exilés a été entravé, et les garanties de sécurité qui n’étaient pas assurées, de son point de vue. De son côté, le Rwanda estime que ses revendications sécuritaires et économiques n’ont pas été prises en compte.
L’Est de la RDC est resté une zone de non-droit, avec des FARDC divisées et une Monusco critiquée pour son inefficacité. Cette situation a facilité la reconstitution de réseaux d’anciens membres du CNDP et du M23.
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