L’inflation et le coût de la vie incitent beaucoup de consommateurs à opter pour l’achat de seconde main. Mais dans bien des cas, le souci d’économie n’est pas la principale préoccupation des amateurs de magasins de biens usagés. Les problèmes environnementaux liés à l’industrie textile et le plaisir de débusquer des trésors pèsent lourd dans la balance. L’économie circulaire a le vent en poupe.
Quand elle est arrivée au Québec en 2001 avec son mari, Farida Habel avait peu de revenus et s’est tournée vers les friperies et les magasins de seconde main pour habiller leurs enfants et meubler leur appartement. Pour Farida, le recours à ces commerces avait quelque chose d’un peu honteux. « Je disais à mes enfants de ne pas le dire de peur qu’ils soient mis à l’écart », relate-t-elle.
Les années ont passé. Farida s’est trouvé un bon emploi. Sauf que l’habitude de courir les friperies ne l’a jamais quittée. « C’est devenu un mode de vie. On trouve des aubaines et on évite la surconsommation, dit-elle. Mes enfants sont grands et ils achètent rarement du neuf. »
Amélie Masse a aussi fait de l’achat de biens usagés une règle de vie, un peu pour les économies, mais surtout pour les avantages environnementaux. Cette Gaspésienne d’adoption soutient n’avoir rien acheté de neuf depuis trois ans si ce n’est un téléphone. « Mais je l’ai de travers dans le coeur », dit-elle.
L’achat de seconde main est tellement entré dans ses moeurs que lorsqu’elle s’est mariée l’an dernier, Mme Masse a décidé de faire un événement « sans achat » et a demandé à ses invités de respecter ce thème. « Les friperies du coin ont été prises d’assaut. Mais tout le monde était beau. Les gens ont fait un effort et sont allés dans des friperies où ils ne vont jamais », dit-elle. « C’est vraiment une façon de faire autrement. Ce n’est pas une privation. C’est de la grosse joie. Moi, j’adore ça. »
Il n’y a pas de honte à magasiner dans les friperies, estime Caroline Bellerose, qui, après avoir été cliente pendant des années, est devenue bénévole dans un magasin de seconde main en Montérégie. « En fait, les friperies veulent vendre le linge. Si c’est pour une cause, cet argent va servir à acheter de la nourriture, pour une banque alimentaire par exemple », dit-elle.
Certains organismes ont d’ailleurs des surplus de vêtements. Les boutiques ne s’adressent pas uniquement aux plus démunis, renchérit Amélie Masse. « Ce n’est pas comme aller dans une banque alimentaire quand on n’en a pas besoin. Ce n’est pas du tout la même chose. »
Reste que l’inflation et la réduction du pouvoir d’achat se constatent sur le terrain. Brigitte St-Germain, secrétaire divisionnaire des relations publiques de l’Armée du salut, signale que les boutiques observent une hausse d’achalandage de 10 % par rapport à l’an dernier. Les ménages moins nantis sont plus nombreux à s’approvisionner aux banques alimentaires et du même coup à fréquenter les boutiques de l’Armée du salut, dit-elle. Les étudiants aussi sont des habitués.
Les organisations ont elles-mêmes subi les effets de l’inflation dans leurs dépenses de loyer et d’essence. Chez Renaissance, un OBNL qui mise sur la réinsertion sociale, on a dû augmenter les prix des articles vendus dans les dernières années tout en tentant de maintenir les prix en deçà du Village des valeurs, une entreprise privée. Mais en parallèle, Renaissance a haussé le salaire de ses employés. « On voulait que nos employés quittent le salaire minimum », indique Éric St-Arnaud, directeur général.
La revente
Pour les revendeurs, les magasins de seconde main sont une aubaine, car rien n’est plus simple que d’y acheter des articles à petit prix et de les mettre en vente sur une plateforme telle que Marketplace ou Kijiji. Brigitte St-Germain affirme qu’ils sont facilement reconnaissables quand ils entrent dans une boutique. « C’est quelque chose qui nous préoccupe, mais c’est difficile de suivre ces gens-là et de vérifier par la suite où ça s’en va », explique-t-elle. « Il n’y a pas grand-chose qu’on peut faire. Ce n’est pas illégal comme tel d’acheter des choses et en faire ce que tu veux après. »
Comme bien d’autres boutiques, l’Armée du salut tente d’ajuster à la hausse les prix des biens susceptibles d’être revendus. « Ça demeure des prix abordables, mais les objets de valeur vont peut-être être 20 à 25 % plus chers. »
Les magasins Renaissance sont aussi confrontés à ce problème et ajustent le prix de certains articles en conséquence. « Il faut trouver le bon équilibre. Mais il y aura toujours des trésors », soutient le directeur général Éric St-Arnaud. Une des stratégies de l’organisation, dit-il, c’est de regarnir les tablettes avec de nouveaux articles à n’importe quelle heure de la journée, sept jours sur sept. De cette manière, il devient inutile de se ruer dans les boutiques à l’ouverture en pensant pouvoir s’approprier les plus beaux morceaux.
Des vieilleries chères
Il reste que les prix élevés de certains articles font sourciller certains clients qui jugent qu’avec des dons, les magasins de biens usagés devraient être plus raisonnables. C’est d’ailleurs dénoncé par les clients du Village des valeurs qui, dans un groupe sur Facebook, recensent à l’échelle du Canada les prix exorbitants de certains articles : des objets du Dollarama vendus plus cher que neufs — avec l’étiquette du Dollarama encore en place —, un ensemble de bols Pyrex à 199 $, des bougies à moitié consumées pour 5,99 $ ou plus et des bouteilles de vin vides à 14,99 $.
Le Village des valeurs est une entreprise privée cotée en Bourse, mais Caroline Bellerose juge qu’il y a aussi des trésors à y dénicher. « Les gens sont insultés parce qu’ils donnent des choses et que celles-ci sont revendues. Le Village des valeurs est une business, mais quand on achète là, on remplit quand même certains critères : c’est bon pour la planète et c’est bon pour mon portefeuille. Pour moi, la différence de prix est suffisante. »
Même en voyage, les adeptes des friperies ne se reposent pas. « Quand je vais à Montréal ou à Québec, il faut que je me rajoute du temps pour pouvoir faire le tour des magasins de seconde main », confie Amélie Masse.
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