Les Jardins d’Haïti, une « maison à vivre » loin des clichés

« Salut Paulo, tu vas bien ? », lance le directeur en croisant un résident, tee shirt de l’OM sur le dos. Deux copines refont le monde assises sur des fauteuils modernes à côté du babyfoot que le petit Marcus dompte d’une main de maître. Il défie sa mamie venue l’accompagner pour son cours de Ukulélé mais parfois ils jouent aux dominos avec les résidents. 

Ici les générations se croisent mais ne s’entrechoquent pas, les visages racontent les années et les sourires sont intemporels.

© L.L. – Babyfoot, mobilier tendance et espace de vie ouvert, il fait bon vivre aux Jardins d’Haiti. 

Difficile de s’imaginer dans un Ehpad tant le lieu détonne.

Photos de skate, de surf et de voyages sur les murs. Un grand panneau gribouillé de couleurs fluo trône à l’entrée, dans un style très auberge de jeunesse. « Yoga, pizza, show variété, café presse », tout y est pour dépoussiérer l’image péjorative que ce type d’établissement renvoie. C’était un pari osé mais il l’a fait, animé par une énergie débordante et des idées comme des fusées, Laurent Boucraut a su « connecter des mondes qui ne se seraient peut-être jamais rencontrés ».

Ce lieu, témoin d’histoires et de vies, a traversé les décennies. Sorti de terre dans les années 50 sous l’impulsion d’une arrière-grand-mère philanthrope, il a depuis quelques années pris un virage à 180 degrés, résolument ancré dans le présent. Les Jardins d’Haïti c’est avant tout une affaire de famille, entraînant Laurent dans ses sillons il y a maintenant plus de 10 ans. « Je voulais être prof de ski, rien à voir avec les Ehpad. J’ai fait mon expérience puis j’en ai eu marre d’enchaîner les saisons, je voulais me poser mais je ne savais pas encore où ni comment. Je suis ensuite parti un an en Australie avec ma femme, c’est là que j’ai eu un flash », se souvient ce passionné de glisse.

© L.L. – Laurent Boucraut est le directeur de l’établissement.

Implanter une micro-crèche, un projet novateur

A l’hôpital de Melbourne, où travaille sa femme, il découvre un microcosme qui rassemble petits et grands, restaurants, crèches et autres infrastructures. « Rien à voir avec un hôpital classique. Je suis rentré à Marseille avec la conviction de pouvoir faire la même chose ici, aux Jardins d’Haïti », poursuit le quadragénaire, accoudé au comptoir du bistrot, qui plante le décor d’un établissement décidément pas comme les autres. Même la musique contraste, on a troqué Yves Montand contre Bob Marley, Charles Trenet contre ACDC. 

Un peu avant la pandémie, il enclenche des travaux pour redonner un nouveau souffle à l’espace vieillissant. Durant cette période Covid, deuxième flash. « On a touché du doigt ce que c’était que d’être confiné. Un résident l’est toute l’année. Je me suis dit, s’ils ne peuvent pas sortir, je vais faire venir le monde extérieur jusqu’à eux. Le lien social c’est du permanent mais surtout de l’imprévu », s’anime le directeur, bien décidé à faire des Jardins d’Haïti, « une maison à vivre ». « Maintenant, il faut le mettre en application tous les jours », promet-il. 

Après les travaux, des chambres plus spacieuses, les couleurs plus modernes, un patio végétalisé, un espace de vie épuré et une cantine aux allures de brasserie, « parce qu’ici on mange comme au resto », la micro-crèche débarque. Première pierre à l’édifice d’une philosophie intergénérationnelle. Alors même si elle n’est pas implantée au cœur de l’établissement, sa proximité créée des interactions uniques entre résidents et enfants. Les draisiennes stationnent un peu partout quand les fauteuils roulants se fraient un chemin au bon milieu de ce brouhaha jovial. Tous les mercredis, des résidents rendent visite aux enfants et « c’est un réel bonheur », selon les mots de madame Mariani, 89 ans, qui revient d’un atelier peinture.

Coworking, école de musique, jardin partagé…

Rapidement, les projets s’enchaînent et l’utopie de Laurent prend forme. Tous les jours, l’établissement ouvre ses portes aux coworkeurs, qui finissent souvent par partager un moment avec les résidents, autour d’un jeux de société ou d’un café.

« Je travaille aussi avec une entreprise de senteurs. L’olfactif est très important pour se sentir bien », précise le directeur, pour qui les petits détails font les grands changements.

 © LL- L’école de musique ouverte permet aux résidents de participer aussi ou même de jouer pour certains. 

Plus récemment, des instruments de musique ont élu domicile au quatre coins du lieu, laissant libre court aux mélomanes en herbe. « L’école de musique est autogérée. Les profs viennent donner leur cours ici, dans cet espace ouvert », se réjouit le directeur, en saluant Boris, 8 ans, qui attend son cours de batterie. « Les personnes âgées viennent souvent m’écouter jouer. J’espère que ça leur fait du bien », témoigne le petit garçon.

Parce qu’en plus d’être fructueux pour l’apprentissage des enfants c’est bénéfique pour les résidents, sensibles à la musique. « C’est un cercle vertueux. Il faut que l’action soit bénéfique pour tout le monde », insiste Laurent, l’esprit ouvert à 360 degrés. Il y a quelques mois, une centenaire, ancienne pianiste, très mal dans ces derniers instants de vie, a pu réécouter du piano, profiter d’un dernier voyage sonore. « Même passivement, la musique fait ressentir du plaisir ». 

© LL- C’est dans le patio que tous les jeudis, il y a soirée pizza et d’autres animations régulières. 

Dans la patio, Eric, aide soignant aux Jardins d’Haïti, parle pronostics pour le Quinte du jour avec Marie et Marianne, résidentes. C’est devenu leur petit rituel, un moment de partage où chacun élabore sa stratégie. « Je viens d’un Ehpad à Montreux. C’était un vrai mouroir. Je revis ici. Je joue aux jeux de société, j’ai aussi découvert la capoeira et je vais aux ateliers de musique. Chaque jour est différent », se confie Marianne, arrivée début janvier. Quant à Marie, aux Jardins d’Haïti depuis 8 ans, elle aime les liens avec le personnel, « rendre visite aux enfants à la crèche, la déco et le jardin partagé ». C’est d’ailleurs un autre atout de cette maison à vivre, le potager, accessible à tous. 

Si le bienveillance et la bonne humeur s’articulent si bien dans cet « Ephad » peu conventionnel c’est aussi grâce à une équipe soudée. « Il y a zero turn over ici, pas de problème de recrutement. On organise souvent des soirées entre nous et des ateliers Yoga, de la gym… Tous les salariés peuvent bénéficier des activités proposées », stipule le directeur, à la casquette là aussi loin du conformisme. 

Un peu partout dans cette grand maison, l’artiste « Un cœur de plus » a déposé ses petits mots doux. il suffit d’ouvrir les yeux pour découvrir ces aphorismes cachés ici ou là. « Parce que l’amour est toujours la solution », assure le père de famille, 4e génération d’une famille au grand cœur


Crédit: Lien source

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.