La guerre civile entre l’armée soudanaise et les Forces de soutien rapide (RSF) a profondément bouleversé le pays, impactant de nombreux aspects de la vie. Ce conflit a gravement affecté la scène littéraire, poussant écrivains, éditeurs et la liberté d’expression littéraire au bord de l’extinction. De nombreux écrivains, poètes et intellectuels soudanais ont été contraints à l’exil. Parmi eux se trouvait le Dr Muawiya.
Le Dr Muawiya Seyfeddin avait enfin l’occasion de retrouver sa famille. Il a rassemblé ses affaires, ajouté à ses livres bien-aimés ceux qu’il n’avait pas encore eu le temps de lire, puis s’est dirigé avec ses enfants vers la gare routière. Son sac était petit, mais son fardeau était lourd. Il espérait prendre un bus pour Vad Medani, la capitale de l’État d’Al Jazirah, afin de célébrer les festivités avec le reste de sa famille. Il essayait en vain d’acheter son billet en ligne, mais le système de communication, gravement touché par la guerre, ne fonctionnait pas. Soudain, des coups de feu ont éclaté. Déconcerté, le Dr Muawiya cherchait un abri tout en tenant fermement ses livres.
Pendant ce temps, sa famille attendait avec impatience son arrivée, avant de recevoir un appel tragique. Son frère a confié au journal Asharq Al-Awsat que Muawiya avait été grièvement blessé lors des échanges de tirs à la gare routière. Lorsqu’il a été transporté à l’hôpital, il n’a pas pu recevoir de soins, les équipements médicaux ne fonctionnant pas à cause des coupures d’électricité. Les hôpitaux, également touchés par les attaques armées, n’étaient pas en mesure de prodiguer les soins nécessaires. En raison d’une hémorragie massive, le Dr Muawiya a succombé à ses blessures.
Son corps sans vie a été ramené à la gare routière et déposé dans la salle funéraire d’une mosquée voisine. À ses côtés gisaient ses livres ensanglantés qu’il n’avait pas encore eu le temps de lire.
Son frère a déclaré avec douleur : « Muawiya est mort, et nous n’avons ni pu organiser ses funérailles, ni voir son visage une dernière fois. » Il a été enterré dans une tombe anonyme, tandis que ses enfants restaient traumatisés après avoir assisté à son assassinat. Derrière lui, il laissait des livres jamais lus et un manuscrit inachevé qu’il n’avait pas eu le temps de terminer.
La fuite de la mort continue
Le sort de Muawiya n’est qu’un exemple parmi des millions de tragédies qui frappent le peuple soudanais et sa scène littéraire. Des dizaines d’écrivains ont été assassinés, des centaines de librairies incendiées et des milliers de livres réduits en cendres.
Au milieu de cette catastrophe humanitaire, des dizaines de milliers de personnes ont péri et plus de 11 millions ont été déplacées.
UN rapport des Nations Unies raconte le témoignage d’un enseignant de littérature à la retraite, âgé de 70 ans et contraint à l’exil : « Mes enfants ont dû me porter pour fuir, car mon handicap m’empêche de marcher. »
Il ajoute : « Ce qui nous a forcés à partir, ce sont les persécutions, la destruction de nos maisons, les pillages et les viols. La situation était désespérée. Mes enfants m’ont transporté sur un fauteuil roulant pendant 40 heures. »
Désignant la foule autour de lui, il explique : « Tous ces gens sont arrivés à pied depuis l’île. Certains ont marché pendant trois jours, d’autres pendant dix jours. Beaucoup sont morts d’épuisement et de soif en chemin. »
La guerre détruit les vies et le patrimoine culturel
Alors que des vies sont brisées, des familles séparées et des institutions culturelles détruites, les femmes écrivaines, artistes et militantes expriment leur colère, leur peur et leur douleur face à la guerre qui ravage leur patrie.
Le rapport de l’ONU mentionne également l’histoire de Nidal, une femme de 35 ans qui a tout abandonné pour fuir le conflit.
Dans un camp de réfugiés, elle témoigne : « Chaque maison sur l’île a été pillée. Si un livre y était trouvé, ses habitants étaient punis sans même qu’on en comprenne le contenu. Ils ont volé les vêtements des pauvres, les ont portés, et même les sucreries que les femmes vendaient pour nourrir leurs enfants. »
À propos des conditions de vie dans les camps, elle décrit : « Les gens dorment à même le sol, certains sont malades et ne peuvent pas survivre dans ces conditions. Nous avons besoin de vêtements, nous avons fui avec seulement ce que nous portions sur nous. Nous avons également besoin de couvertures. »
Les bibliothèques en ruines et la famine grandissante
Selon l’ONU, les bibliothèques, librairies et centres culturels ont été dévastés par la guerre. La crise humanitaire au Soudan ne cesse de s’aggraver, et des millions de personnes sont menacées par la famine et les maladies.
Le nombre de déplacés internes dépasse aujourd’hui les 10 millions, et les responsables de l’ONU tirent la sonnette d’alarme.
Un travailleur humanitaire, sous anonymat, a confié à la BBC : « Le déni de la famine par les autorités ne fait qu’aggraver la situation et condamner des milliers d’innocents à la mort. »
« Nos équipes ont observé de nombreux décès dus à la malnutrition dans des camps comme Zamzam et Abu Shouk, ainsi qu’au Sud-Kordofan. Certains n’ont d’autre choix que de manger des herbes et du fourrage pour survivre. »
L’accès à l’aide humanitaire entravé
Alors que la population soudanaise a un besoin urgent d’aide, les autorités pro-militaires ont interdit l’acheminement de l’aide humanitaire vers la région du Darfour, où de nombreux intellectuels ont trouvé refuge.
Les États-Unis et les organisations humanitaires ont vivement dénoncé cette décision. Washington a déclaré : « L’armée soudanaise bloque l’aide en provenance du Tchad et empêche son accès aux zones sous contrôle des Forces de soutien rapide (RSF). »
M.A, ancien propriétaire d’une maison d’édition, témoigne anonymement :
« Les enfants et les bébés meurent déjà de faim et de malnutrition. C’est une catastrophe humanitaire et il y aura probablement des morts à grande échelle. Malheureusement, notre priorité n’est plus l’édition ni les livres, notre seule priorité est de survivre. »
D’après l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus de 694 000 Soudanais ont fui vers le Tchad, mais des millions d’autres restent piégés dans des conditions de vie extrêmes et ont désespérément besoin d’une aide humanitaire.
Exécutions extrajudiciaires
Alors que la guerre se poursuit, les organisations internationales de défense des droits humains rapportent des arrestations arbitraires et des exécutions sommaires commises par l’armée soudanaise et ses alliés.
Cette année, après la prise de Vad Medani par l’armée, des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux ont montré des soldats soudanais ouvrant le feu sur des civils sans défense.
Dans une vidéo, un soldat de l’armée déclarait : « C’est le sort de ceux qui collaborent avec les RSF. »
Dans une autre, des soldats ont été filmés en train de jeter un civil du haut d’un pont avant de lui tirer dessus, tout en l’accusant de travailler pour les RSF.
En janvier dernier, l’écrivain et journaliste Yahya Hamad Fadlallah a été arrêté avec son fils par les forces de l’armée. Trois jours plus tard, il a été transporté à l’hôpital, où il a succombé aux sévices subis sous la torture.
Alors que le conflit s’intensifie, les dirigeants soudanais continuent d’ignorer les souffrances des civils. L’ONG « Femmes Journalistes sans Chaînes » a publié un rapport dénonçant l’échec des commandants de l’armée soudanaise à protéger les journalistes.
Ces violations ont conduit plusieurs pays, dont les États-Unis, à imposer des sanctions contre le général Abdel Fattah al-Burhan, accusé de crimes contre les civils.
Si la France parvient à faire aboutir son appel au cessez-le-feu, cela pourrait donner aux journalistes, écrivains et éditeurs une chance de reconstruire et de créer à nouveau.
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Par Auteur invité
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