les lois se sont-elles tues ? Par Grâce Mamana, Étudiant.

« Quand les armes parlent, les lois se taisent », cette affirmation de Cicéron ne vaut plus son pesant d’or dans le langage contemporain. Et ce, dans la mesure où les conflits armés sont au fil du temps soumis au respect de certains principes supra nationaux. Ainsi, la guerre à l’est de la République démocratique du Congo (ci-après RDC) ne cesse de mettre en évidence plusieurs situations controversées concernant notamment l’emploi d’une variété des combattants ainsi que le non-respect des règles du droit international humanitaire. En effet, la variété des combattants sur le champ de bataille est un aspect particulier de ce conflit armé, car on y retrouve des mercenaires, des milices comme les Wazalendos voire les Maï-Maï ainsi que les forces armées tant nationales qu’étrangères. L’inobservation des règles du droit international humanitaire est également l’une des caractéristiques phares de ce cycle de violence à l’est de la RDC. Eu égard de ce qui précède, nous allons analyser de fil en aiguille quelques situations controversées liées à cette guerre dans la partie est de la RDC.

L’emploi des mercenaires à l’Est de la République démocratique du Congo.

D’entrée de jeu, il sied de dire que les mercenaires sont des combattants étrangers recrutés de manière informelle dans le pays ou à l’étranger en vue de combattre dans un conflit armé où ils n’ont point d’intérêt particulier, si ce n’est poursuivre un but lucratif.

Cependant, l’emploi des mercenaires dans des conflits armés est interdit à l’échelle mondiale à travers notamment la convention internationale de l’ONU contre le recrutement, l’utilisation, le financement et l’instruction des mercenaires (1989) [1]. Toutefois, cette interdiction n’est pas tellement efficace, car la convention précitée n’a été ratifiée que par 38 États et n’a été signée que par 17 États dont la RDC qui n’a fait qu’apposer sa signature sans la ratifier dans la suite. Ipso facto, la RDC n’est pas juridiquement tenue par l’obligation de respecter les prescrits de cette convention internationale de l’ONU contre le recrutement, l’utilisation, le financement et l’instruction des mercenaires.

En outre, le protocole additionnel I aux conventions de Genève, dont la RDC a ratifié, aborde cette question des mercenaires avec beaucoup de parcimonie. Et ce, en précisant seulement que le statut des mercenaires n’est pas similaire à celui des combattants sinon des prisonniers de guerre [2]. Par ricochet, une fois capturés dans le champ de bataille, les mercenaires peuvent être jugés ou traités comme des criminels ordinaires et non comme des prisonniers de guerre qui sont appelés à bénéficier d’une protection spéciale.

Au final, dans la région africaine, l’emploi des mercenaires est également interdit à travers la convention de l’organisation de l’unité africaine (OUA) pour l’élimination du mercenariat en Afrique (1977) qui a été ratifiée par 32 pays dont la RDC. Au regard de ladite convention, le crime de mercenariat constitue l’emploi des mercenaires notamment par le représentant de l’État ou par l’État lui-même en vue d’opposer une violence armée à un processus d’autodétermination, à la stabilité ou l’intégrité territoriale d’un autre État [3]. En effet, il faut préciser que la présente convention prohibe spécialement l’emploi des mercenaires dans le but d’opprimer un autre État et non dans le cadre d’une légitime défense.

Face à l’escalade de la rébellion dans la partie est de la RDC, le gouvernement congolais s’était décidé d’engager sinon de recruter des prétendus mercenaires roumains dans but de sécuriser la ville de Goma et d’instruire les forces armées congolaises se trouvant au front dans cette contrée [4]. Malheureusement, ces mercenaires avaient lamentablement échoué à leur mission de sécuriser la ville de Goma, car ils étaient absolument en déroute face à l’assaut des rebelles du M23 et leurs supplétifs rwandais. Au-delà de cette débâcle, cette décision du gouvernement congolais de recruter ces fameux mercenaires a fait couler beaucoup d’encres et de salives, car elle était manifestement illicite.

Néanmoins, cette décision visiblement illégale ne l’est pas forcément suite à plusieurs raisons. La première, c’est le fait que ces combattants roumains sont désignés à tort sous le vocable mercenaire, car ils sont normalement des contractants militaires de la société militaire privée Asociatia RALF. Cette société militaire privée roumaine offrait à l’État congolais des services de sécurité et des conseils militaires dans le cadre d’un contrat. D’où, l’aspect contractuel, voire formel de leurs services, crée une zone grise juridique qui fait en sorte que des contractants militaires privés échappent à la définition des mercenaires telle que reprise dans différentes conventions internationales. Mais, l’excès d’engagement des contractants militaires privés dans le champ de bataille soulève beaucoup d’interrogations quant à l’étendue du rôle des sociétés militaires privées dans des conflits armés.

La seconde raison est liée au fait que la RDC a utilisé des contractants militaires privés, présentés abusivement comme des mercenaires, pour défendre son intégrité territoriale et non pour agresser un autre pays. Ainsi, même si l’on considérait ces contractants militaires privés comme des mercenaires, un tel emploi des mercenaires ne constitue nullement une infraction de mercenariat conformément à l’esprit de la convention de l’organisation de l’unité africaine (OUA) pour l’élimination du mercenariat en Afrique. D’ailleurs, l’emploi des contractants militaires privés ou des forces paramilitaires dans des conflits armés est devenu une pratique courante en Afrique. Tel est cas de la société militaire privée Russe Wagner qui est notamment active au Centrafrique, Mali, Soudan, Libye… [5].

En somme, l’emploi des mercenaires lors des conflits armés est globalement interdit à travers plusieurs conventions internationales. Mais, ces dernières ne sont pas toujours respectées notamment raison du faible nombre d’États qui les ont ratifiées. Cette interdiction concernant l’emploi des mercenaires est également contournée par des États, dont la RDC, en recourant formellement aux services de sociétés militaires privées.

L’emploi des milices à l’Est de la République démocratique du Congo.

La partie orientale de la RDC regorge une ribambelle de milices, sinon de groupes armés. À ce sujet, le ministre d’État congolais des ITPR Alexis Gisaro n’a pas hésité à affirmer devant les médias : « Au Sud Kivu, chaque tribu a une milice ». Ces propos tenus par l’un des membres du gouvernement prouvent à suffisance que la partie Est de la RDC constitue un véritable foyer des milices avec des agendas variés.

D’une part, certaines milices sont des alliées de la coalition AFC-M23. D’autre part, certaines milices collaborent avec l’État congolais comme forces d’auto-défense. Nous allons particulièrement analyser la légalité de l’emploi des milices d’auto-défense dans un conflit armé.

En effet, une milice peut être définie comme un groupe armé non officiel qui combat généralement pour des fins politiques ou sociales. Contre toute attente, cette question de milice est abordée de manière éparse et superficielle dans quelques conventions de Genève, à savoir la troisième, la quatrième ainsi que le protocole additionnel I.

À cet effet, l’emploi d’une milice comme force d’auto-défense lors d’un conflit armé n’est pas illégal dans la mesure où certains préalables sont respectés. Le premier préalable concerne le fait qu’une milice engagée dans un conflit armé doit être bien structurée, et elle doit être sous la houlette d’un commandement responsable [6].

Le deuxième préalable porte sur le fait que les membres d’une milice active lors d’un conflit armé doivent revêtir une marque distinctive à travers laquelle on peut les reconnaitre même à distance [7]. Ce signe distinctif est généralement un uniforme ou un insigne frappant.

Le troisième préalable est que les membres d’une milice sont tenus par l’obligation de respecter des lois et coutumes de la guerre une fois qu’ils sont sur le champ de bataille.

En passant au crible le modus operandi de nos forces d’auto-défense à savoir les Wazalendo et Maï-Maï, nous pouvons affirmer que ces milices opèrent généralement en conformité avec les exigences susmentionnées. Et ce, dans la mesure où ces milices sont bien structurées avec un commandement manifestement responsable et portent des tenues militaires comportant des insignes distinctifs [8]. De surcroît, elles ont même actuellement des représentants politiques qui font partie du Parlement national.

Cependant, il sied de noter quelques dérapages dans l’activisme de ces milices dans la partie Est de la RDC. Ces dérives concernent notamment l’enrôlement des enfants soldats ainsi que des exactions multiformes contre la population civile. De tels actes répréhensibles sont généralement des répercussions logiques sur l’emploi des milices dans des conflits armés. Au-delà de ces abus, il faut reconnaitre que ces milices Wazalendo voire Maï-Maï font preuve de bravoure indicible en combattant farouchement les groupes rebelles AFC-M23.

En somme, la légalité de l’emploi des milices lors des conflits armés dépend de plusieurs paramètres à savoir elles doivent être structurées, avoir un commandement responsable ainsi que porter des signes distinctifs. Les milices Wazalendo et Mai Mai semblent remplir ces critères en ayant une bonne organisation structurelle et des représentants politiques. Toutefois, des abus tels que l’enrôlement des enfants soldats et d’autres violences contre les civils soulèvent des préoccupations.

L’inobservation des règles du droit international humanitaire.

À titre de définition, le droit international humanitaire (DIH), autrement appelé « droit des conflits armés », est l’ensemble de règles juridiques destinées à limiter sinon à réduire les effets des conflits armés sur les populations civiles ainsi que les biens essentiels du milieu où se déroulent lesdits conflits [9].

En effet, les Conventions de Genève et leurs protocoles additionnels constituent fondamentalement le cadre normatif du Droit International Humanitaire moderne [10].

À cet effet, dans le cadre du droit international humanitaire toutes ces conventions précitées ont établi les principes suivants :

  • La distinction : les parties au conflit doivent à tout moment établir la différence entre les civils et les combattants. Et ce, en vue de protéger les personnes civiles contre les hostilités martiales [11].
  • La proportionnalité les attaques doivent être limitées aux objectifs militaires et ne doivent point causer des dommages disproportionnés aux civils ou aux biens essentiels du milieu.
  • La nécessité humanitaire : l’assistance humanitaire doit être permise d’où, toutes les parties doivent inconditionnellement assister ceux qui en ont besoin à savoir la population civile ainsi que les blessés de guerre [12].

Tous ces principes susmentionnés constituent l’âme du droit international humanitaire et s’imposent à toutes les parties qui participent à un conflit armé.

La guerre à l’est du pays est caractérisée par l’inobservation criante des règles du droit international humanitaire. Cette situation alarmante, marquée par des statistiques stratosphériques des morts et des déplacés, s’illustre à travers plusieurs faits. Ainsi, nous allons juste évoquer quelques faits qui vont à l’encontre des règles du droit international depuis la récente chute de la ville de Goma et de Bukavu.

D’abord, le bombardement de la population civile à Bukavu lors du meeting de l’AFC-M23 partie au conflit non identifiée prouve que le principe de la distinction n’est presque pas respecté dans cette guerre [13].

Ensuite, le pillage des locaux et des biens de certains Etablissements et services publics par les rebelles de l’AFC-M23 démontre que le principe de la proportionnalité n’est presque pas observé [14].

Enfin, l’absence d’un couloir humanitaire et l’enlèvement des militaires FARDC blessés de guerre par les rebelles de l’AFC-M23 dans les hôpitaux prouvent qu’on fait abstraction de la nécessité humanitaire dans cette guerre [15].

Néanmoins, il faut noter que les rebelles de l’AFC-M23 apportent quand même assistance humanitaire aux déplacés de guerre et assurent tant soit peu la sécurité de la population civile dans différents territoires conquis.

Au regard des faits précités, le conflit armé à l’est de la RDC semble être sur le plan humanitaire une guerre sans foi ni loi où les vies humaines sont mises en péril au quotidien. Par ricochet, les parties au conflit sont appelées à faire preuve d’humanisme lors de ces hostilités et à se convenir sous la médiation de la communauté internationale pour mettre en place un couloir humanitaire, car une guerre sans couloir humanitaire est une guerre inhumaine.

Conclusion.

La guerre à l’Est de la RDC est l’un des sujets qui défrayent actuellement la chronique dans le monde, car elle illustre plusieurs faits controversés dont l’utilisation d’une diversité des combattants et le non-respect du droit international humanitaire. D’emblée, toutes ces réalités donnent l’impression que les armes l’emportent sur les lois dans ce conflit armé. Or, tel n’est pas le cas, car toutes les parties au conflit se conforment tant soit peu aux lois et coutumes de guerre. Mais, quant à la question humanitaire, le défaut de compromis entre les parties au conflit fait en sorte que cette guerre est particulièrement marquée par l’absence d’un couloir humanitaire. Par conséquent, toutes les parties au conflit doivent à tout prix négocier pour résoudre cette crise humanitaire et pour mettre fin à ce conflit armé, car comme le soulignait Victor Margueritte : « tous les maux que la guerre prétend guérir sont moins épouvantables que la guerre elle-même ».

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