Les marchés occasionnels créés aux lieux de l’inhumation

Marché au Cameroun à coté des tombes

Depuis quelques années, on observe un phénomène dans les lieux des obsèques, et plus précisément dans les villages camerounais. Lequel phénomène n’est rien d’autre que les marchés qui se créent aux différents lieux de deuil, très tôt, les samedis avant l’inhumation.

Parlant des acteurs/actrices (vendeurs et vendeuses), ce sont les habitants de la localité et des villages voisins et très éloignés. Ceux-ci, sachant que les délégations viennent des grandes villes du pays et de l’étranger, trouvent une occasion à saisir, afin de leur vendre les produits agricoles tels que : les bâtons de manioc, les ‟Mintoumba‟ (mélange d’huile de palme au manioc trempé, pilé et emballé dans les feuilles), les régimes de plantain et de banane, du macabo, du manioc, du taro, des ignames, du maïs, des boules de couscous manioc, des arachides, du piment, des aubergines, du concombre, de l’huile de palme et de palmistes, des fruits et légumes, des noix de cola, du bitter cola (cola amer), du vin de palme, y compris des casiers de bières, etc.

Le marché dans un lieu de deuil

Pour le comptable François G., « les deuils sont devenus des moments de réjouissances et de ravitaillement pour les bayam sellam (les femmes revendeuses de denrées alimentaires dans les marchés urbains), surtout dans les campagnes où se déroulent les enterrements. Constat bien mené, de nos jours, quand il y a deuil en ville, les premières personnes à se faire enregistrer ou à donner l’argent de transport aller/retour, sont toujours les bayam sellam, en majorité les femmes. Pour dresser les listes des voyageurs, on tient d’abord compte des femmes, hommes et enfants capables de faire certains travaux, avant, pendant le voyage, et durant le séjour dans la localité. Et comme travail, il y a : pousser le car lorsqu’il s’embourbe ou a de la peine à grimper les collines, fendre le bois, puiser de l’eau à la rivière, faire la cuisine, ranger les chaises, dresser des tentes, mettre le groupe électrogène en marche, y mettre le carburant, partager le café, du pain, le repas et la boisson.

Une fois arrivée au lieu du deuil, les bayam sellam sortent les sacs ‟Mbandjock‟ (gros sacs en plastique), désertent le lieu du deuil, vont de case en case, pour acheter les produits agricoles dont ils/elles ont besoin pour facilement écouler en ville. Vous ne les reverrez que le lendemain, à quelques heures de l’enterrement, avec des régimes de plantains et de banane et des gros sacs contenant d’autres produits agricoles. Et comme si cela ne suffisait pas, ils/elles achètent encore les produits vendus au lieu du deuil. Une fois les achats terminés, ils/elles déposent leurs marchandises à côté des cars de transport. En se comportant de la sorte, ils/elles ne seront pas capables de vous faire un moindre compte rendu du déroulement des obsèques, partant des animations, en passant par les rites traditionnels, le culte, les témoignages et l’inhumation.

Et là où le bât blesse, c’est que au lieu du deuil, on a besoin des personnes pour faire les travaux. Et si tout le monde désertait une fois arrivée, comment serait le lieu de deuil ? Qui ferait les travaux énumérés plus haut ? N’est-ce pas là, donner une seconde mort à la personne rappelée à Dieu ? Les conducteurs de car de transport, ayant constaté qu’à aller, en dehors du cercueil, des gerbes de fleurs, de la photo, des banderoles, de la nourriture et la boisson du deuil, et des petits sacs des voyageurs, il n’y avait rien de lourd, ils ne se plaignaient pas. Pour amener les voyageurs, parmi lesquels beaucoup de bayam sellam, à limiter leurs achats, les conducteurs ont commencé à prélever quelques frais sur chaque gros sac ou régime de plantain ou banane. Mais cela ne décourage guère ces bayam sellam, car ils/elles y trouvent leur compte ».

« Il n’est pas interdit de rentrer avec des provisions, mais consacrons également du temps pour soulager les familles endeuillées », conclut-il.

Les obsèques, une période pour les bonnes affaires

« Nous qui sommes dans l’arrière-pays, souffrons énormément. Nous avons la force de cultiver manuellement sur de très vastes étendues de terres, mais par manque de routes, nous ne pouvons pas le faire. Nous sommes donc dans l’obligation de pratiquer l’agriculture de subsistance. Laquelle agriculture, nous évite de travailler beaucoup et de perdre après les récoltes. Perdre un être cher, est une chose très douloureuse. Vu que ce triste événement mobilise assez de foules, composées de tous genres de personnes, nous saisissons cette opportunité, afin d’écouler nos produits. Je puis dire que c’est un moment de très bonnes affaires chez nous. Mais nous ne souhaitons tout de même pas qu’il y ait des morts. Cela ne veut pas dire que nous ne compatissons pas au malheur de la famille attristée, ce n’est non plus une moquerie. C’est juste pour dire que nous sentons mal dans notre peau. Et que nos frères et sœurs qui viennent des grandes villes et d’ailleurs, bien que très occupés, pensent toujours à nous. Alors, de ces ventes, nous pouvons réfectionner/construire des cases, acheter du pétrole pour allumer nos lampes et faire la cuisine, des piles pour nos radios, envoyer nos enfants à l’école, nous soigner, nous vêtir, nous nourrir,… », déclare la villageoise et commerçante Madame Magwel Alice.

« Quand on rentre d’un voyage de l’Europe, on rapporte toujours des souvenirs et même des marchandises. Les délégations qui rentrent du deuil avec des provisions, je ne vois pas en cela une mauvaise chose. Mais déserter le lieu du deuil, alors qu’on a besoin de vos services, n’est pas à encourager. Alors, il faut vite rectifier le tir ! », ajoute-t-elle.

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