les militaires français vont-ils pouvoir rester ?

Devant des centaines d’étudiants de la prestigieuse université Cheikh Anta Diop de Dakar, Ousmane Sonko a durement critiqué l’action d’Emmanuel Macron au Sénégal. Nommé chef du gouvernement le 2 avril, après l’élection du président Bassirou Diomaye Faye, Ousmane Sonko dirige aussi depuis dix ans le Pastef, parti d’opposition de gauche au chef de l’État sortant Macky Sall.

Il y a un an, alors qu’il était candidat à l’élection présidentielle, son incarcération avait suscité une vague de contestations durement réprimées par le régime de Macky Sall, faisant près de 30 victimes. L’actuel Premier ministre accuse aujourd’hui la France de ne pas avoir suffisamment condamné ces violences. Le « mutisme approbateur » d’Emmanuel Macron l’aurait même rendu coupable d’une « incitation à la persécution » de l’opposition, a estimé Ousmane Sonko ce 16 mai lors de sa conférence.

« Il faut s’habituer désormais à ce double discours des nouveaux dirigeants sénégalais »

Des accusations très fortes, mais qu’il faut replacer dans un contexte particulier, estime le journaliste et auteur Antoine Glaser : « Ousmane Sonko est très fin, dans cette conférence il a bien précisé à de nombreuses reprises qu’il s’exprimait en tant que leader du Pastef, pas en tant que Premier ministre ». Pour le spécialiste de l’Afrique, cette prise de parole ne marque donc en aucun cas un tournant dans les relations entre Paris et Dakar. « Il faut s’habituer désormais à ce double discours des nouveaux dirigeants sénégalais. Un discours intérieur de remise en question des liens avec la France, à destination de leurs jeunes partisans, et un discours extérieur bien plus modéré », affirme-t-il.

Pour Christophe Boisbouvier, journaliste Afrique à RFI et présent au Sénégal lors des dernières élections, cette conférence d’Ousmane Sonko permet aussi au Premier ministre « de recadrer ses relations avec la France ». Depuis sa nomination, l’actuel Premier ministre ne s’était en effet jamais prononcé sur la nature des relations de son pays avec la France. « Jusqu’à présent, nous savions juste qu’Emmanuel Macron a eu une conversation téléphonique très cordiale avec Bassirou Diomaye Faye après son élection, ce qui laissait donc entendre que les relations allaient rester très bonnes. L’intervention d’Ousmane Sonko permet de dire que la situation n’est pas aussi simple que cela », explique Christophe Boisbouvier.

« Ces propos de défiance envers la présence militaire française sont notés attentivement à Moscou et à Pékin »

Parmi les points de discorde qui peuvent alimenter des tensions entre la France et le Sénégal, la question de la présence militaire est centrale. Lors de sa conférence, Ousmane Sonko a assuré que la présence de quelques centaines de soldats français à proximité de Dakar était « incompatible avec la volonté du Sénégal de disposer de lui-même ». Si la question du retrait des soldats français du pays n’est pas encore tranchée, la présence militaire sur place est déjà en train d’évoluer. « Il y a une révision de la présence militaire française, avec une action orientée sur la formation. Il n’a jamais été question pour la France de disparaitre, il y a simplement une volonté d’être présent davantage sous la forme de conseiller technique », assure la sénatrice socialiste Hélène Conway-Mouret.

Le discours d’Ousmane Sonko s’inscrit toutefois dans le cadre d’un rejet massif de la présence militaire française en Afrique de l’Ouest, principalement dans les pays du Sahel. Les juntes militaires au Mali, au Burkina Faso et au Niger ont ainsi toutes mis fin à leur coopération avec la France, présente dans la région pour lutter contre l’expansion de groupes djihadistes. Dans ces pays, la présence française laisse alors petit à petit place à la Russie.

Le Sénégal pourrait-il également tomber dans la sphère d’influence de Moscou ? Pour Hélène Conway-Mouret, avec son discours, Ousmane Sonko joue en tout cas « un jeu dangereux ». « Quand un chef de gouvernement africain tient ces propos de défiance envers la présence militaire française, ils sont notés attentivement à Moscou et à Pékin qui savent activer de puissants réseaux, notamment en ligne, pour relayer ce discours antifrançais auprès des jeunes », prévient la sénatrice socialiste.

« Ousmane Sonko a tenu un discours nuancé, qui n’est pas dirigé contre la présence militaire française »

Toutefois, pour Christophe Boisbouvier, il n’est pas question pour le Sénégal de prendre le même chemin que les pays du Sahel. « Ousmane Sonko a tenu un discours nuancé, qui n’est à mon avis pas dirigé contre la présence militaire française ou américaine. Il cherche plutôt à placer la diplomatie sénégalaise dans une position de médiateur, entre les trois pays putschistes et les autres pays de la région », explique le journaliste.

En janvier dernier, le Niger, le Mali et le Burkina Faso ont en effet ouvert une fracture dans la région en quittant la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), dénonçant les sanctions qui leur étaient infligées depuis la prise de pouvoir des putschistes. Depuis, le président sénégalais multiplie les visites auprès de ses homologues d’Afrique de l’Ouest, pour tenter de réintégrer ces pays du Sahel dans la CEDEAO. « Il ne faut pas oublier qu’Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye sont, certes, des leaders politiques radicaux, mais aussi deux anciens inspecteurs des impôts qui ont le sens de l’État », affirme Antoine Glaser, assurant que la position modérée du Sénégal les place comme acteur de premier plan dans ces négociations.

Pour le moment, le gouvernement français et l’Élysée n’ont pas réagi aux diverses accusations d’Ousmane Sonko. Pour Hélène Conway-Mouret, Emmanuel Macron serait d’ailleurs bien avisé de ne pas intervenir, pour ne pas risquer d’envenimer des relations en pleine mutation depuis l’arrivée de Bassirou Diomaye Faye au pouvoir. « C’est le travail du ministre des Affaires étrangères et du ministre de la Défense de se rendre sur place, pour rencontrer leurs homologues, rétablir la vérité sur la position de la France et entretenir les liens avec le Sénégal », estime la sénatrice des français à l’étranger.

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