Lethière : un grand peintre français né esclave en Guadeloupe

Dans son dernier film « Lethière, le serment des ancêtres », Claude Ribbe, historien guadeloupéen, retrace la vie du peintre Guillaume Guillon-Lethière, célèbre en son temps puis tombé dans l’oubli. « Le serment des ancêtres », son œuvre emblématique, est un tableau révolutionnaire condamnant le racisme. Le peintre l’a envoyé clandestinement en 1822 à Haïti alors en conflit avec la France esclavagiste.

Claude Ribbe, réalisateur et auteur, met en lumière des figures issues de l’époque coloniale souvent peu connues. Dans son dernier film, il vous embarque dans une quête passionnante et inédite à travers le temps, sous le règne de Louis XV à celui Louis-Philippe, aux quatre coins du monde pour résoudre le mystère qui plane depuis longtemps autour des origines de cet artiste majeur. L’historien guadeloupéen explique non seulement la mise en chantier du tableau, mais aussi la carrière hors du commun de son auteur. 

Regardez le documentaire Lethière, le serment des ancêtres de Claude Ribbe dans son intégralité.

À la fin de 1822, Le serment des ancêtres, peint à Paris, est embarqué clandestinement au Havre par le fils du peintre, pour être offert à la jeune république d’Haïti, en hommage à la révolution menée par les habitants de l’île contre l’esclavage. Le pays surnommé la « perle des Antilles » est alors en conflit ouvert avec une France esclavagiste, qui, depuis dix-huit ans, ne reconnaît toujours pas son autonomie et rêve de la reconquérir. 

La scène symbolise la rencontre historique en novembre 1802 entre le général noir Jean-Jacques Dessalines (lieutenant de Toussaint Louverture) et Alexandre Pétion (le chef des mulâtres de Saint-Domingue). Les deux chefs de guerre y scellèrent une alliance pour expulser les troupes françaises. Ce pacte marqua le début du processus qui mena à l’indépendance d’Haïti en 1804. Il s’agit de la seule œuvre que Lethière signe en renseignant ses origines : « né à la Guadeloupe An 1760« . Le peintre y manifeste sa solidarité avec la première république noire, alors non reconnue en France.

Pendant plus de deux siècles, cette toile monumentale (400 x 300 cm) a miraculeusement survécu à toutes les épreuves d’un pays tourmenté. Disparue depuis la fin du XIXe siècle, elle fut localisée dans la cathédrale de la capitale haïtienne en 1991, restaurée à Paris par le Louvre, avant de rentrer à Haïti en 1998. En janvier 2010, après l’effroyable séisme qui fit 250 000 victimes, la peinture a été retrouvée par les pompiers français dans les ruines du palais présidentiel de Port-au-Prince avec le châssis tordu et de grandes déchirures. Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication, décide de confier la restauration au C2RMF, le Centre de recherche et de restauration des musées de France.


« Le serment des ancêtres » de Lethière sorti endommagé du Palais présidentiel haïtien après le séisme du 10 ajnvier 2010.


Le Serment des ancêtres est un joyau national, porteur de l’âme et de l’Histoire du peuple haïtien. Cette œuvre éternelle est le symbole du combat du peintre contre l’esclavage et pour la liberté des peuples. Elle est, depuis son retour en mars 2012 après une deuxième restauration, conservée à la Banque de la République d’Haïti.

Guillaume Guillon dit Lethière (1760 – 1832) est né esclave à Sainte-Anne, en Guadeloupe. Sa mère Marie-Françoise Dupepaye est une esclave. Son père, Pierre Guillon, colon blanc, est le procureur du roi en Guadeloupe. L’apparence physique de Guillaume est plutôt typée européenne.

Longtemps oublié après sa mort, Lethière fut pourtant célèbre de son vivant et eut une carrière hors du commun. Dès son plus jeune âge en Guadeloupe, il révèle un don pour la peinture. Un talent si grand que son père l’inscrit à l’école de dessin de Jean-Baptiste Descamps à Rouen sous un autre nom, Le Tiers car il est son troisième enfant naturel. Le Code noir établi par Louis XIV étant toujours en vigueur, Pierre Guillon ne peut reconnaître son fils. Trois ans après, le jeune prodige entre dans l’atelier du peintre du roi Gabriel-François Doyen. Il part ensuite à Rome où il obtient son brevet de pensionnaire à l’Académie de France (il en sera aussi directeur). Après ses brillantes études, il revient à Paris où il ouvre son propre atelier près de l’église Saint-Germain-des-Prés. Il y formera de nombreux élèves (Louis Boulanger ou encore Théodore Rousseau), tout en participant à de nombreuses expositions. À 47 ans, il est nommé directeur de l’Académie royale par le ministre de l’Intérieur. En 1819, il devient professeur de l’école des Beaux-Arts de Paris. Son buste en bronze est toujours exposé dans la bibliothèque de l’institution. 

Guillaume Guillon-Lethière a énormément influencé la peinture française de la première moitié du XIXe siècle. Revendiquant fièrement ses origines, il resta jusqu’à la fin de sa vie un fervent défenseur de la cause noire.

Aujourd’hui, ses œuvres sont exposées dans les plus grands musées du monde, avec notamment deux grandes expositions organisées cette année. L’une au Clark Art Institute dans le Massachuchetts aux États-Unis du 15 juin au 14 octobre 2024, et l’autre au Louvre à Paris du 14 novembre au 17 février 2025.

Écriture et réalisation Claude Ribbe, d’après son livre « Lethière, le Serment des ancêtres »
Production Ortheal avec la participation de France Télévisions et le soutien de la Région Guadeloupe
Durée 57 minutes – © 2024


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