Fatoumata, Balla et leurs quatre enfants vivent depuis de nombreuses années à Villeneuve-d’Ascq. Dans leur pays d’origine, la Guinée, leurs filles sont exposées à des risques d’excision. Pourtant, malgré leur parfaite intégration, la famille vit sous la menace d’une expulsion après le refus de renouvellement de leurs titres de séjour. Une décision que leur entourage peine à comprendre.
“J’ai peur pour mes filles”, souffle Fatoumata. “Comment je vais faire si quelque chose leur arrive ? Des enfants meurent à cause de l’excision !” Originaire de Guinée, cette maman de quatre enfants est sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français depuis le mois de novembre 2024, tout comme son mari depuis mai 2023. La préfecture du Nord a refusé le renouvellement de leurs titres de séjour.
Toute leur vie est pourtant ici, à Villeneuve-d’Ascq. “Les filles ne connaissent rien de la Guinée”, précise Fatoumata. Elles n’y ont jamais mis les pieds, exceptée la plus grande dans sa petite enfance. Surtout, la famille est en danger dans son pays d’origine. Les parents l’ont quitté depuis de nombreuses années.
Le père, Balla, est arrivé en France pour ses études en 2006 – il n’est retourné en Guinée que deux ou trois fois depuis. Quant à Fatoumata, elle a fui dans de terribles conditions en 2019, avec son aînée, Inaya*, alors âgée de trois ans.
“Mes belles-sœurs, les femmes de mes frères, ont pris ma fille… Sans que je le sache, elles lui ont fait subir une excision. Ma fille a pleuré, elle a perdu du sang. J’ai beaucoup pleuré aussi”, raconte-t-elle. Dès que possible suite à ce drame, elle rejoint Balla en France.
Mes belles-soeurs, les femmes de mes frères, ont pris ma fille… Sans que je le sache, elles lui ont fait subir une excision. Ma fille a pleuré, elle a perdu du sang.
Fatoumatamère de famille menacée d’expulsion
Dans la famille guinéenne de Fatoumata, “pour toutes les filles, l’excision est obligatoire”. Elle a elle-même subi cette mutilation, à laquelle elle est fermement opposée. En cas de retour en Guinée, ses trois autres petites – 5 ans, 3 ans et 7 mois – risquent le même sort. “Inaya a peur pour ses sœurs…”
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Autre source d’inquiétude pour la maman : “Là-bas, tu arrêtes l’école dès que tu es mariée, à 16 ans ou 17 ans ! Tu ne peux pas continuer tes études… Les femmes ne sont pas considérées.” Pour ses fillettes, elle veut le meilleur, y compris la possibilité de poursuivre un cursus au collège, au lycée et pourquoi pas à la fac.
À l’école où sont scolarisées les trois premières, tout se passe à merveille. Les enseignants soutiennent d’ailleurs la famille du mieux qu’ils peuvent. Tous et toutes sont d’ailleurs prêts à témoigner de leur parfaite intégration. “Je suis tombée des nues quand j’ai appris la nouvelle. Ça fait tellement longtemps qu’ils sont là. Je ne vois pas pourquoi on les embête maintenant…” dit par exemple Rachel*, la maîtresse de l’une des filles. “C’est la première fois que je suis confrontée à ce genre de situation !”
Je suis tombée des nues quand j’ai appris la nouvelle. Ça fait tellement longtemps qu’ils sont là. Je ne vois pas pourquoi on les embête maintenant…
Rachel*la maîtresse de l’une des filles de Fatoumata et Balla
Elle aussi est inquiète pour les enfants, “par rapport à tout ce qu’il se passe en Guinée”. “Elles sont nées ici, elles ont grandi ici, elles sont heureuses !”, tempête-t-elle. Elles ont des copines, des activités sportives – natation, équitation, escalade.
Depuis le refus de renouvellement de leurs titres de séjour, le quotidien de la famille a toutefois changé. “On risque d’être expulsés… Alors on est limités maintenant”, explique Balla, le papa. “On les emmène plutôt à la gym ou au tennis de table : c’est plus près, on prend moins de risques.” Un jour, à l’issue d’un contrôle d’identité, Balla a passé une demi-journée en détention administrative. Il veut éviter d’y retourner.
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Impossible, aussi, de profiter des vacances comme avant. “Inaya ne comprend pas. Elle nous dit : ‘Mes copines partent toutes sauf moi !’ Avant, on partait en Belgique par exemple… Les filles étaient super contentes”, raconte Fatoumata. “Elle a juste envie de vivre normalement.”
D’autant que la famille vit désormais dans la précarité. Fatoumata subvient seule aux besoins du foyer. Elle travaille, en CDI, comme agent de nettoyage. Sans titre de séjour, Balla, jusqu’ici inséré professionnellement, n’a plus de travail. Diplômé d’un master génie pharmaceutique de l’Université de Lille, il était en CDI jusqu’en 2021. Ensuite, il s’est lancé dans la création d’une société d’import-export de produits pharmaceutiques et médicaux – tout en enchaînant les intérims. Son projet a été stoppé net : sans titre de séjour, il a dû faire une cessation d’activité.
Le père de famille est aussi très engagé dans le monde associatif, comme bénévole auprès de la structure ALPA (Apprentissage de la Lecture Pour les Adultes), du magasin solidaire Tutti Frutti ou encore de la Maison des Aînés. “Aide à la personne, distribution d’aide alimentaire, cours de français, de maths, de physique-chimie…”, Balla ne compte pas ses heures. Il fait par ailleurs partie du conseil des parents d’élèves de l’école.
C’est plus qu’une amie, c’est presque la famille (…) Les petits vont dans la même classe et sont très liés aussi. Ça fait mal au cœur.
Ninavoisine et amie de Fatoumata
Les amis de la famille sont aussi sous le choc. Nina, 40 ans, connaît Fatoumata depuis plusieurs années. Voisines, elles se sont rencontrées à la sortie de l’école et depuis, elles ne se quittent plus. “C’est plus qu’une amie, c’est presque la famille”, sourit-elle. “On se rend tout le temps service, on garde chacune nos enfants, on s’invite l’une chez l’autre.” Les petits vont dans la même classe et sont très liés aussi. “Ça fait mal au cœur. Je serais triste de leur départ… Je ne comprends pas cette situation.”
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“Il y a tout pour que ça puisse fonctionner mais ça ne suffit pas”, estime Maître Meftah Lazaoui, l’avocat de Fatoumata. “Madame a vraiment beaucoup d’éléments qui vont dans son sens, on est sur un dossier relativement dense.” Pour le représentant de la mère de famille, cette décision est “incompréhensible”. “La loi se durcit de plus en plus, ça va dans la lignée de ce que décide le gouvernement…”, déplore-t-il. Après avoir contesté l’OQTF, il introduira bientôt un recours pour tenter d’empêcher l’expulsion de la famille.
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