l’exemple de la chocolaterie Adorable Chocolat à Shediac

Un nombre record de chefs d’entreprise partira à la retraite dans les prochaines années. En raison du manque de préparation et d’informations et des difficultés à trouver un repreneur, de nombreuses compagnies pourraient fermer. La vitalité économique des communautés francophones en situation minoritaire est aussi en jeu, disent les experts.

Marine Ernoult
Francopresse

«Il faut être prêt à arrêter 40 ans de métier, 30 ans d’entrepreneuriat, il y a un travail psychologique à faire», confie l’ancien chocolatier, Frédéric Desclos, aujourd’hui chauffeur d’autobus scolaire.

Usé, l’artisan de 57 ans a vendu en 2023 sa chocolaterie Adorable Chocolat, située à Shediac. Il a préparé pendant un an la passation de son entreprise qui comptait sept salariés.

«Il y a beaucoup de choses auxquelles penser pour que ça se passe bien et ne pas être pris de remords.»

Grâce au réseautage, il a réussi à trouver un acheteur en quelques mois. C’est son voisin restaurateur, également francophone, qui a repris le commerce. M. Desclos a néanmoins préféré «lâcher l’affaire tranquillement» et est resté six mois en tant qu’employé.

«Ça m’a fait un temps d’adaptation et ça m’a permis de renseigner le nouveau propriétaire sur le fonctionnement de la chocolaterie», témoigne-t-il.

Frédéric Desclos n’est qu’un exemple: la moitié des entrepreneurs canadiens partira à la retraite d’ici 2028, selon le chercheur postdoctoral à la Faculté d’administration de l’Université de Moncton, Jean-Michel Mégret.

«Des personnes de 70 ou 80 ans doivent continuer»

Une étude de 2023 de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante indique que 76% des chefs d’entreprises canadiens prévoient de prendre leur retraite prochainement, ce qui représente le transfert de deux trillions de dollars d’actifs commerciaux.

D’après les experts interrogés, toutes les branches professionnelles sont concernées. De l’agriculture à la construction, en passant par la vente, le tourisme ou l’hôtellerie.

«L’enjeu est de taille, en l’absence de repreneurs, ces entreprises fermeront. Ça pose la question de la pérennisation du tissu social et économique du Canada, alerte Jean-Michel Mégret. De nombreux savoir-faire risquent de disparaître, de même que des millions d’emplois.»

À cet égard, la directrice principale du Pôle engagement d’Impact ON, en Ontario, Paula Haapanen, s’inquiète du manque d’intérêt porté au repreneuriat.

«On est très préoccupé de faire démarrer et grossir les entreprises, mais on ne pense pas à comment les arrêter et les transmettre, déplore-t-elle. Le repreneuriat est pourtant un outil pour faire vivre les communautés francophones, en particulier dans les régions rurales et isolées.»

Très peu de professionnels anticipent leur succession et «des personnes de 70 ou 80 ans doivent continuer, car elles ne trouvent pas de repreneurs», souligne Jean-Michel Mégret, qui regrette que «le transfert soit peu outillé et se fasse de façon aléatoire».

Peur de parler de repreneuriat

Le directeur général du Conseil de développement économique des Territoires du Nord-Ouest (CDÉTNO), François Afane, s’inquiète de l’impact sur les communautés francophones en situation minoritaire.

«Si les petites et moyennes entreprises (PME) disparaissent, ça pourrait compromettre le développement de nos communautés, marquer le début de la fin».

Paula Haapanen explique également que beaucoup de sociétés n’ont pas de plan de succession. «Plus elles sont petites, moins elles ont de chance d’en avoir un.»

D’après la responsable, des recherches montrent que si le propriétaire d’une compagnie est d’expression française, le risque est encore plus grand qu’il n’est pas planifié la fin de son activité.

Les cédants dans les communautés francophones à l’extérieur du Québec préfèrent ne pas ébruiter leur intention de vendre.

«Ils ne veulent pas que ça se sache pour ne pas inquiéter leurs salariés et leurs partenaires d’affaires. Ils ont peur que ce soit préjudiciable à leurs activités», confirme Jean-Michel Mégret.

«Ils préviennent au dernier moment, alors que ça prend du temps, parfois cinq ans, pour passer correctement le bâton à quelqu’un d’autre», poursuit Paula Haapanen.

Un leg à la famille

François Afane considère que le premier réflexe des patrons de PME est d’impliquer leurs enfants dans l’espoir qu’ils reprennent le flambeau.

«S’ils ne sont pas intéressés, ils se retrouvent devant le fait accompli et passent en vitesse au plan B en vendant au plus offrant».

À Moncton, la chiropraticienne Marie-Josée Robichaud a ainsi vendu en juin 2024 son cabinet, composé de six professionnels de santé, à son fils. À 63 ans, elle prendra sa retraite d’ici un ou deux ans, après plus de trente ans de pratique.

«Avec mon mari, on ralentit progressivement. C’est difficile de laisser aller les patients, partage-t-elle. Si notre fils n’avait pas repris, ça aurait été très dur émotionnellement, car nous avions acheté la pratique à mon père.»

Transmettre ses connaissances n’est en revanche pas si simple.

«Après des décennies, on acquiert des automatismes, on a de la misère à verbaliser. Le plus compliqué, c’est le côté gestion des ressources humaines».

Avec l’appui d’un consultant, elle a pu rédiger des guides détaillés pour aider son fils.

Risque de «mort économique des territoires»

Si les cédants proches de la retraite sont mal préparés, les acquéreurs sont eux mal informés. «C’est difficile, il n’y a pas de banque de données officielles, les informations circulent dans des cercles fermés», relève Jean-Michel Mégret.

Le repreneuriat dans les communautés francophones en situation minoritaire peut s’avérer encore plus compliqué. «C’est plutôt un défi, car le monde des affaires fonctionne presque exclusivement en anglais», dit-il.

«La population francophone est vieillissante, alors il peut être difficile de trouver un francophone qui prend la relève, surtout dans les régions rurales, ajoute Paula Haapanen. En même temps, une entreprise à vendre peut aussi attirer des francophones de l’extérieur.»

Le Réseau de développement économique et d’employabilité (RDÉE Canada) a mis en place un site internet pour mettre en relation cédants et repreneurs. L’organisme a aussi lancé le programme Solution repreneuriat, qui guide les femmes tout au long de leur reprise d’une compagnie.

Dans les différents provinces et territoires, les conseils économiques et fédérations d’affaires ont lancé des dispositifs d’accompagnement. Aux yeux de Jean-Michel Mégret, les organismes doivent également être formés à la «la dimension sociale et émotionnelle» du transfert.

«Si l’on veut qu’une entreprise soit pérenne, cédant et repreneur doivent se mettre d’accord sur la façon dont le savoir-faire et la culture entrepreneuriale se transmettent», insiste-t-il.

Le repreunariat pourrait donner un nouveau souffle à l’économie canadienne dans le contexte de menace de guerre économique avec les États-Unis. Au-delà de cette menace, le transfert d’entreprise devrait être une priorité du gouvernement canadien, croit Jean-Michel Mégret: «Sinon, c’est la mort économique des territoires».

Le repreneuriat, qu’est-ce que c’est?

Le repreneuriat, c’est le rachat d’une entreprise par une ou plusieurs personnes. Il peut s’effectuer lorsqu’une compagnie est en difficulté ou lorsque ses dirigeants souhaitent prendre leur retraite.

Le Centre de transfert d’entreprise du Québec parle de la volonté commune pour un repreneur et un cédant d’assurer la pérennité d’une entreprise par le biais du transfert des pouvoirs, du leadeurship, des savoirs et de la propriété.

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