L’histoire de Divine, du Congo jusqu’en France


Je m’appelle Divine, je suis une jeune femme de 28 ans née au Congo-Kinshasa, c’est-à-dire en République Démocratique du Congo. Je viens de la province de Kwilu, à l’ouest du pays. C’est un territoire qui est connu pour le nombre de marabouts qui y travaillent, même si pour ma part, je ne crois pas aux croyances magiques associées au maraboutage. Ce pays, mon pays, est immensément grand, près de 5 fois plus que la France, avec ses 26 provinces et ses 24 communes, elles-mêmes subdivisées en quartiers composés d’avenues. Vous ne pouvez imaginer la richesse de sa faune et de sa flore, ses immenses forêts tropicales, ses animaux sauvages, ses fleuves comme le Congo long de 5000 km. 

Dans ce magnifique pays, j’y suis née en février 1996 à Kinshasa, la capitale. Mes parents ont 5 enfants, dont 4 filles, pauvre frère (rires). Dans cette fratrie, je suis la troisième. Ma maman, après un long combat contre la maladie, décède en 2012 d’un cancer du sein. Son décès survient une année avant mon diplôme d’Etat, en France on appelle cela le baccalauréat. En ce qui concerne mon père, il est ingénieur et auto-entrepreneur. Après le décès de ma maman, il travaille beaucoup pour nous afin que nous puissions faire des études car ça coûte très cher au Congo. Ainsi, après la disparition de ma mère, il prend la place d’une mère et d’un père. 

Mais le cauchemar commence lorsqu’il se remarie avec une nouvelle femme. La fratrie, moi y compris, a du mal à s’entendre avec elle. Durant les premières années, mon père essaye de jouer sur les deux tableaux. Mais la relation avec notre belle-mère ne s’arrange pas et mon père décide de déménager dans un autre quartier avec elle. Mon frère et mes sœurs habitons ensemble. Pour subvenir à nos besoins et payer le loyer, certains d’entre nous travaillent et mon père nous aide de temps en temps. Avec cet éloignement, notre relation s’est améliorée avec lui.

L’école est une belle expérience pour moi. Avec mes sœurs, on travaille dur. Et puis, il faut dire que j’aime étudier. J’adore apprendre de nouvelles choses, donc je me donne à fond. Mes sœurs et moi-même sommes particulièrement appréciées des professeurs car on obtient souvent de bons pourcentages (au Congo, les notes sont des pourcentages sur 100, et non des notes sur 20 comme en France). D’ailleurs, on a pour rôle d’aider les élèves en difficultés dans notre classe. Puis, c’est avec fierté que j’obtiens mon diplôme d’Etat section « technique et option commercial informatique » avec une note de 65 %.

Mon plus grand rêve, c’est de travailler dans l’informatique et de devenir designer front end (créatrice de sites internet). Ainsi, à la suite de l’obtention de mon diplôme d’Etat (Bac), je commence mes études universitaires, en 2013, à “l’Institut supérieur d’informatique, programmation et analyse”. Je suis étudiante pendant deux ans, mais je dois m’arrêter. En effet, par un fort besoin d’indépendance, je ne veux plus dépendre financièrement de mon père. Je travaille donc dans une société de télécommunication en espérant faire les cours du soir à l’université. Mais finalement ce n’est pas possible car mon travail me prend trop de temps. Je réalise donc une pause dans mes études. Cependant, je comprends que pour obtenir un poste de designer frond end (créateur de site web), ce qui est mon rêve, je dois reprendre mes études. Retour en arrière, j’arrête le travail pour reprendre le chemin de l’université en 2020.

Je m’inscris donc à l’ISP (Institut supérieur de la Gombé). La première année, je suis nommée « responsable des étudiants » (chef de promotion). Concrètement, je suis l’intermédiaire entre les instances académiques et ma promotion. C’est une lourde responsabilité qui me prend beaucoup de temps, mais j’aime beaucoup ce travail et la confiance que mes camarades m’accordent. L’année suivante, je suis nommée « Présidente des étudiants ». C’est une responsabilité encore plus grande car je deviens l’intermédiaire entre les instances académiques et toutes les promotions de l’université. De plus, je dois signaler que j’ai deux adjoints pour m’aider dans mes missions. Ceci est important pour la suite de mon témoignage.

Vous pouvez vous demander pourquoi j’ai voulu prendre ces responsabilités ? Pour plusieurs raisons : la première, j’aime aider les autres, les gens qui rencontrent des difficultés, c’est une chose que je faisais déjà à l’école en aidant mes camarades de classe. Ensuite, il faut savoir que sur 5000 étudiants de l’Institut, il n’y a que 3 femmes cheffes de promotion. Au Congo, les femmes sont très sous-estimées. Selon les croyances, on serait incapable de gérer, de diriger, d’être à la hauteur des hommes. Donc, je désire montrer qu’une femme peut avoir des responsabilités, et autant qu’un homme.

Au cours du premier mandat de « responsable des étudiants » de ma promotion en juin 2022, des hommes d’affaires proposent aux professeurs de l’université des jobs étudiants. A la suite de cette rencontre, les professeurs viennent me voir pour que je leur propose quelques étudiants pour ces jobs qui consistent à réaliser des livraisons. Je propose 5 personnes qui correspondent aux profils recherchés par les fiches de poste, mais surtout, envers qui j’accorde de la confiance car si ces étudiants représentent l’image de l’université, je suis aussi responsable de ce choix en cas de problèmes. 

Au début, tout se passe bien, le travail de livraison est bien rémunéré. Cependant, des rumeurs commencent à circuler à l’université. Les cinq étudiants baigneraient dans un réseau de trafic d’organes. En effet, en réalité, les jobs étudiants que les hommes d’affaires ont proposé sont une couverture pour un trafic illégal, en lien avec un réseau égyptien de trafic d’organes.

Alors que ces bruits se répandent à l’Institut, on constate des disparitions inexplicables dans l’école. Le début du cauchemar commence pour moi. Je suis accusé par des étudiants d’être membre du réseau de malfaiteurs car c’est moi qui ai choisi les cinq étudiants. Pire encore, on m’accuse d’avoir un lien avec les disparitions et d’être en lien avec les Egyptiens. Tout le monde commence à se soupçonner. Moi, dans ma tête, je suspecte même les professeurs. Pour tenter de mettre fin aux rumeurs, j’organise avec mes deux adjoints une réunion en présence des 5 étudiants pour découvrir en quoi consistent plus précisément les missions des jobs étudiants. Déception dans un premier temps puisqu’aucune information n’est révélée au cours de cet entretien. Néanmoins, l’un d’entre eux vient me voir discrètement à la fin de la réunion pour me dévoiler quelques vérités : les accusations portées à leurs égard sont vraies, et l’un de mes adjoints est mêlé à ce trafic !  

Après ces révélations, je formule une plainte à la police universitaire. En deux mots, la police universitaire a pour but de prendre en charge les plaintes des étudiants, de prendre les informations et d’enquêter. Cependant, ils n’ont pas le pouvoir d’arrêter quelqu’un. Dès que l’enquête est terminée, ils doivent transférer l’affaire à la police nationale qui se chargera d’envoyer les personnes devant la justice. Je dépose donc ma plainte pour 5 étudiants (dont mon premier adjoint), mais pas pour celui qui m’a informé en coulisses du trafic d’organes. Mon deuxième adjoint m’encourage à déposer plainte directement à la police nationale, mais je décline l’idée en raison du fait que la police est corrompue au Congo, je pourrais même pu avoir de gros ennuis.

Comme vous allez le lire, ma plainte à la police universitaire et aux instances académiques signe mon arrêt de mort. Je deviens un témoin gênant qui en sait trop, mais surtout, qui en fait trop. Il faut se débarrasser de moi. Tous les jours, je reçois des dizaines de menaces de mort sur mon téléphone. Je me sens surveillé tout le temps, dans chacun de mes mouvements, à chaque fois que je vais à l’université et quand je sors dans la rue. La peur envahit mon quotidien. Je mets en place plein de stratégies pour contrôler l’environnement et passer inaperçue. Pour éviter qu’on me repère, je change plusieurs fois d’adresse, je me déguise quand je vais à l’université et je change de tenue vestimentaire au moins 2 fois par jour. La situation devient invivable pour moi. 

Or, malgré toutes les précautions, après avoir retiré de l’argent à la banque, je suis enlevé par des inconnus cagoulés le 18 août 2022. Dans la voiture, ces hommes me terrorisent. Ils commencent à me menacer avec des couteaux. Face à leur cruauté, j’essaye de crier pour alerter quelqu’un mais ils me mettent un bandage sur la bouche. Ligotée, je ne peux plus bouger. Ils me conduisent jusqu’au lieu du crime, une maison inhabitée dans un espace désertique. Ces bandits me disent clairement que ce qu’ils vont me faire subir n’est qu’un avertissement, en comparaison de ce qu’ils peuvent me faire si je ne retire pas ma plainte auprès de la police universitaire. 

La peur envahit tout mon corps. Mais qu’est-ce qu’ils vont me faire ? Je n’arrive plus à réfléchir. Mon cœur bat à 100 à l’heure. Ils commencent à me frapper, très violemment, sur tout mon corps, en me criant des insultes. Des coups de poings, de pieds, encore et encore. Chaque coup me fait plus mal que le précédent. Au sol, ils m’envoient des objets qu’ils trouvent autour d’eux. Mon corps saigne de partout. Je suis un jouet entre leurs mains. Je sens que je vais mourir, que c’est mon dernier jour. Puis, je perds connaissance face à leurs violences. Ils me laissent là, moribonde, sur le sol, et avant de partir, ils volent mon téléphone, mon sac à main, mes bijoux, ma montre. Je me réveille le lendemain dans un centre médical. 

Je ne suis pas la seule à vivre les violences des Egyptiens. Mon adjoint mêlé au trafic est tué quelques jours après mon agression. Les Egyptiens le piège en se faisant passer pour les travailleurs qui doivent mettre des câbles pour la fibre optique. Ils lui demandent son aide pour couper un fil électrique alors qu’il s’agit d’un câble mère du courant sous haute tension. Il est électrocuté sur le coup et trouve la mort à l’hôpital deux semaines après, en septembre 2022.

Pour ma part, je continue à recevoir des menaces de mort sur mon nouveau téléphone. Plusieurs mois après, mon deuxième adjoint meurt empoisonné le 14 janvier 2023. Son décès me fait tellement peur que je décide, le lendemain et en pleine nuit, de traverser la frontière jusqu’au Congo-Brazzaville avec l’aide de mon petit ami. Cependant, les menaces se font toujours aussi grandes sur moi. Je me sens en insécurité partout, je me méfie de tout et de tout le monde. 

Malgré mon éloignement je continue à recevoir des menaces de mort par téléphone. A Brazzaville, je vis en clandestinité, avec mon petit ami, pendant 3 mois. Je sors dehors seulement si nécessaire. Mais malgré cela, mon frère et ma sœur sont kidnappés en février 2023. Les bandits tentent de leur soutirer des informations concernant mon adresse à Brazzaville. Après l’enlèvement de mon frère et ma sœur, qu’ils relâchent ensuite, je décide de couper tout contact avec ma famille pour les protéger, mais aussi pour me protéger moi-même.

Je continue d’être recherchée par ces bandits, et la peur est si grande de mourir comme mes deux anciens adjoints que je décide, avec l’aide de mon petit ami, de prendre un avion à destination de la France le 15 avril 2023. J’atterris le lendemain à l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle en espérant obtenir le statut de réfugié.

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Dans le second article, Divine a ressenti le besoin de témoigner plus en détail de l’agression physique qu’elle a subi de la part du réseau criminel. L’écriture peut être une réelle ressource pour dépasser les traumatismes. C’est dans cette démarche que Divine nous fait part de son témoignage. Nous verrons, que si elle a fait l’objet d’une agression physique, celle-ci s’est transformée en une autre violence, des actes que les hommes commettent sur les femmes pour les faire taire : la violence sexuelle.

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