Suite et fin des pérégrinations de Dominique A pour ses trente ans de carrière, après la sortie fin 2024 d’un double album revisitant nombre de ses titres, avec une face symphonique, et une face en mode intimiste trio guitare – piano – contrebasse. Le Nantais a enchaîné avec deux concerts événementiels, à Lyon et à la Philharmonie de Paris, en décembre, avec l’Orchestre de Chambre de Genève, et vient de reprendre la route pour une tournée beaucoup plus légère, et substantielle en dates, en mode trio. C’est à Noisy-le-Sec qu’on l’a retrouvé, en forme, avant un passage, entre autres, aux Bouffes du Nord à Paris.
![[Live report] Dominique A au Théâtre des Bergeries (Noisy-le-Sec) [Live report] Dominique A au Théâtre des Bergeries (Noisy-le-Sec)](https://www.benzinemag.net/wp-content/uploads/2025/03/DOMINIQUE-A-Noisy-le-Sec-Claude-Cabon-01.jpg)
Tout au long de ses trente ans de carrière, Dominique A s’est appliqué à ne pas s’appliquer à lui-même le titre d’une de ses chansons-phare, Tout sera comme avant. Avec lui, rien n’est jamais pareil, son public le sait bien. Et rien n’est jamais trop simple non plus. Ainsi, le double album commémoratif comprend-il des incontournables de son répertoire, mais aussi des chansons oubliées à qui il tente de donner une seconde jeunesse. Qu’il me soit permis, en « vieux fan » de trouver que, parfois cela marche très bien, parfois un peu moins, quelque part à l’image de ses derniers albums et EPs, depuis le double Toute latitude / La Fragilité (2018), qui témoignait d’une difficulté à trier le bon grain de l’ivraie, nouvelle chez le chanteur après vingt ans de créativité exceptionnelle.
Mais, comme Dominique A est un artiste intensément vivant, ce n’est pas le décalque de cet essai commémoratif qu’il a tenu à donner en concert, mais une variation, maintenant les spectateurs « éveillés » (selon le titre d’une des plus belles chansons de la soirée), de bout en bout d’un voyage original dans son répertoire. A 20h40, notre chauve préféré déboule sur la scène du Théâtre des Bergeries à Noisy-le-Sec, tout de noir vêtu, comme d’habitude, flanqué de Sébastien Boisseau (contrebasse) et Julien Noël (piano et Wurlitzer), avec qui il a enregistré l’album « trio ». La scénographie est minimale, avec des jeux de lumières sur certaines chansons, portés par des poteaux discrets hérissés d’ampoules espacés de manière régulière autour des musiciens, comme pour mieux laisser la vedette à la musique et aux mots. Et ceci pour deux heures, une durée ambitieuse laissant un temps limité au chanteur pour les apartés malicieuses et interactions avec le public, genre dans lequel il excelle habituellement.
Le démarrage se fait en douceur, prenant le risque d’un départ trop cotonneux – Ce geste absent, Chanson de la ville silencieuse, Elle parle à des gens qui ne sont pas là, Valparaiso (une des plus évidentes réussites de l’album), Dernier appel de la forêt. Ces débuts faussement paisibles, qui font résonner des mots qui parlent de morts, d’absences, de perte, font aussi entendre la voix du chanteur comme rarement. Pas loin d’être nue parfois, offrant des variations subtiles, tantôt puissante, tantôt fragile, elle est la meilleure arme de cette formule qui n’oublie pas la guitare électrique quand il faut. Ainsi plus souvent sur sa Telecaster qu’à l’habitude, le chanteur gesticule moins que par le passé, de ses grands gestes d’albatros blessé. Une autre raison de mieux se focaliser sur ce qui sort de ses cordes vocales, et de l’écouter comme jamais.
Le set va vraiment décoller avec Immortels, cette chanson proposée à Bashung, devenue un classique de Dominique A au fil des années, au point de figurer parmi les « tubes » joués dans les deux concerts (elle a été publiée en mode symphonique), avec Eleor, Le Twenty-two Bar, Au revoir mon amour, Le Courage des oiseaux, et… Corps de ferme à l’abandon (pour notre part, cela nous semble plus contestable pour ce dernier titre, visiblement important pour le chanteur, qui, dans le registre « déconstruit » fait l’impasse sur La Peau, pourtant classique de ses concerts depuis trente ans).
Une autre ligne de force de ce concert est l’importance pour Dominique A d’Eléor, album, qui fournit ici un quart de la set-list (six chansons), et fête actuellement ses 10 ans dans une version augmentée, magnifique de sobriété et d’évidence mélodique combinées, et déjà l’origine d’une de ses meilleures tournées. Et ici sans doute responsables des chansons les plus touchantes en live, avec Par le Canada, frémissante, et Olkhahoma 1932, concluant le set puis le rappel et le concert. Au-delà, tout le concert peut être vu comme un jeu au sein du répertoire trentenaire de Dominique A et sur le double album. Sur un set de vingt chansons et un rappel unique de cinq, la moitié était constituée de l’album « trio » (dont 12 des 14 chansons ont été jouées, en laissant de côté, à raison, l’inédit Chemise à fleurs, et, curieusement, Rendez-nous la lumière), un quart (six, cf. plus haut) de chansons qui figuraient sur l’album symphonique, et un dernier quart (sept) d’autres chansons piochées ailleurs : Dernier appel de la forêt, La Poésie, La Maison, La Relève, La Douceur, et les finaux Par le Canada & Oklahoma 1932.
Si chaque chanson apportait sa surprise ou son évidence, il était permis d’apprécier plus particulièrement de redécouvrir certains titres, magnifiques dans ce dépouillement, comme Les Eveillés, La Relève, Le Sens ou La Douceur, cette dernière présentée dans un sourire ironique comme « fortement inspirée de Spain, un groupe américain que je vous recommande, comme quoi il peut encore arriver de très bonnes choses de ce pays ». A l’inverse, concernant les incontournables, si la beauté dépouillée des chansons d’Eléor était encore renforcée dans cette interprétation intimiste, il n’est pas certain que Le Courage des Oiseaux – qui a connu toutes les variations possibles en live – ou Le Twenty-two Bar y aient beaucoup gagné.
Au final, un beau concert, comme toujours avec Dominique A, qui a réussi la gageure de nous tenir plus qu’éveillés pendant cette paire d’heures, toute voix en avant, soulignant la force poétique des mots, dans ce dépouillement et avec ce jeu malicieux sur son répertoire. Avec une réserve toutefois : peut-être que la set-list gagnerait à être resserrée avec deux ou trois chansons en moins, permettant un peu plus d’échanges avec le public, son public fidèle, avec qui le Nantais a construit une relation unique, intime et puissante. En témoigne, un fan-club au milieu de la salle, extatique en fin de concert, phénomène atypique dans les salles de banlieue parisienne, au public divers, avec une base souvent âgée et abonnée à l’année.
Espérons que cette tournée, qui se poursuit dans les salles des villes moyennes, en banlieue parisienne comme en province, permette au chanteur de conquérir au passage de nouveaux auditeurs, ou, au moins d’asseoir son statut. De valeur sûre, et toujours sacrément vivante.
Texte : Jérôme Rosso
Photos : Claude Cabon
Dominique A en tournée en mode power trio – prochaines dates :
Granville (l’Archipel), le 26 mars, Les Lilas (Théâtre du Garde-Chasse), le 27 mars, Creil (La Grange à Musique), le 28 mars, Saint-Berthevin (Le Reflet), le 2 avril, Evreux (Le Kubb), le 3 avril, Bayeux (Halle Ô Grains), le 4 avril, Marseille (Le Cepac Silo), le 10 avril…
A Paris (Bouffes du Nord, cadre on ne peut plus adapté pour ce format) le 13 mai, Massy (Paul B) le 15 mai… puis au Trianon à Paris le 26 novembre.
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