« À Kinshasa, on peut se faire agresser sous prétexte que notre visage ressemble à celui de Paul Kagame, le président rwandais », témoigne Sean*, étudiant originaire de l’Ituri, une province de l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Depuis la perte de Goma et de Bukavu en février, les capitales provinciales du Nord- et du Sud-Kivu, les Congolais originaires de l’est du pays se font discrets par peur d’être pris pour cible par la population de la capitale, dont les nerfs sont à vif. Victimes de préjugés, ils sont régulièrement pris à partie par des Kinois qui disent reconnaître en eux des traits, tel qu’un nez fin, similaires aux Rwandais sans être capables de les définir précisément.
Des agressions visant les swahiliphones
Le swahili, l’une des quatre langues nationales en RDC, parlée dans les provinces de l’Est, symbolise dans l’esprit de certains Kinois « la langue de l’ennemi rwandais », explique Samuel. « Il y a des quartiers populaires de Kinshasa où il faut éviter de parler le swahili, si l’on ne veut pas prendre le risque d’être agressé », ajoute cet étudiant.
Dans un communiqué du 22 février 2025, la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) a dénoncé « la chasse faite aux swahiliphones dans la ville-province de Kinshasa et dans certaines autres zones de notre pays », exhortant les autorités à réagir. « Les swahiliphones sont nombreux et vivent normalement à Kinshasa », rétorquait deux jours plus tard la première ministre congolaise, Judith Suminwa Tuluka, accusant la Cenco de servir la « propagande rwandaise ». Pourtant, les vidéos et signalements de lynchages publics se multiplient sur les réseaux sociaux.
L’une d’entre elles, datée du 19 février 2025, a particulièrement circulé sur WhatsApp. Une foule menaçante encercle un homme allongé dans la remorque d’un pick-up de la police et vocifère : « Tuons-le ! Qu’il parle ! On a déjà commencé le travail, achevez-le ! » L’homme, pieds et poings liés, a les yeux dans le vague, visiblement hébété. Autour de lui, quatre policiers armés de fusils d’assaut le séparent de la vindicte populaire.
« On me traite de Rwandais et de traître »
Un mois plus tard, Samy, l’homme ligoté dans la vidéo, visionne ces images le cœur serré. Ce père de famille, originaire de l’Ituri, raconte qu’il accompagnait son fils à l’hôpital ce jour-là lorsqu’il est interpellé par la police. « Tu es rwandais, ont-ils aboyé, et de me ligoter et jeter dans leur voiture », relate-t-il. En route vers le commissariat, la voiture s’arrête brutalement. « Les policiers apostrophaient la foule et l’excitaient, criant qu’ils avaient capturé un Rwandais, se souvient-il. C’est là que les gens ont commencé à monter sur la voiture pour me frapper. »
De ce passage à tabac, Samy garde encore des séquelles physiques : des blessures aux côtes et à la jambe gauche qui l’immobilisent trois mois sans travail. « Je me suis battu vingt ans dans l’armée congolaise contre le Rwanda et on me tabasse. On me traite de Rwandais et de traître ! », s’émeut-il. Deux jours avant l’altercation, Samy avait reçu chez lui la visite d’hommes qui disaient appartenir aux services de renseignements venus contrôler ses papiers d’identité. Depuis, Samy a fui son domicile, avec sa famille, par peur d’être pris de nouveau pour cible.
Samira*, présidente d’une association regroupant des Kinois originaires de l’est de la RDC indique, quand on l’interroge, « ne pas vouloir se mêler de politique », par crainte de représailles contre elle et ses enfants. Depuis que le gouvernement a exhorté la population à l’unité nationale face à « l’envahisseur rwandais », elle estime toutefois que « le calme est revenu à Kinshasa ». Une quiétude de surface qui n’étouffe pas totalement le climat hostile qui règne dans la capitale, finit-elle par admettre. « Hier, ma coiffeuse m’a dit : tu as une tête de Rwandaise, toi. Si on nous donne seulement le mot d’ordre, on commencera par toi », confie Samira.
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Rencontre surprise au Qatar
Les présidents congolais Félix Tshisekedi et rwandais Paul Kagame se sont rencontrés mardi 18 mars dans le plus grand secret à Doha, au Qatar, où ils ont discuté d’un possible cessez-le-feu pour tenter de mettre fin au conflit dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Les deux chefs d’État ont « convenu de la nécessité de poursuivre les discussions entamées à Doha afin d’établir des bases solides pour une paix durable », a simplement indiqué le ministère qatarien des affaires étrangères. De son côté, la présidence rwandaise a réaffirmé « le besoin urgent d’un dialogue politique direct » entre le M23 qui lui est inféodé et Kinshasa pour répondre aux « causes profondes du conflit ». La veille, le groupe armé rebelle avait repoussé à la dernière minute une tentative de médiation de l’Angola.
*Les prénoms ont été modifiés pour des raisons de sécurité.
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