Martinique : comment produire pour se nourrir ?

La place majeure des importations, c’est l’une des explications de la « vie chère ». C’est d’abord le produit d’une histoire, celle de la colonisation, qui a spécialisée le territoire, dans les culture dédiées à l’export – et à la métropole. A commencer par la banane. La Martinique a donc dû se mettre à importer de quoi s’alimenter, puisque les terres n’étaient plus utilisées pour ça.

C’est ce contexte qu’il faut aussi avoir en tête quand on regarde la situation actuelle : des produits importés qui sont chers, transformés voire ultra-transformés. Souvent très sucrés. Un régime alimentaire qui pose des problèmes de santé. Les fruits et légumes frais importés ont eux souvent beaucoup de pesticides pour tenir le temps du trajet. 
Pour réduire les importations il faut donc que la Martinique redevienne capable de produire des fruits et légumes, et des variété adaptées au climat tropical.

Diversification

Emile Rosalie s’est installé en 1983. Malgré les propositions de grosses compagnies de canne à sucre et de bananes, il a choisi l de planter des culture diversifiées.  “ A l’époque, ce type de culture n’existait pas. Il y avait des gens qui faisaient un peu de jardin créole à droite à gauche, et  qui alimentaient les marchés. Mais au fil du temps, ces gens-là disparaissaient. Et sur les marchés, les quantités diminuaient. Et donc, j’ai eu ce terrain-là, qui faisait 16 hectares, et là, je me suis lancé vraiment dans la diversification. C’était militant, je voulais nourrir la population .
Pourtant, presque 45 ans plus tard, les mêmes questions sont sur la table.  Relancer une agriculture diversifiée, c’est un vrai changement d’orientation pour une île longtemps dédiée aux cultures d’export, la banane et la canne à sucre.
Sur les 24 000 hectares de surface agricole utilisées en Martinique, seuls 2 000 sont aujourd’hui occupés par des exploitations en diversification.

« Ce n’est pas la production locale qui a été soutenue économiquement. Mais les cultures destinées à l’export rappelle Roselyne Joachim, la sous-directrice à la Chambre d’agriculture de Martinique. Ce choix montre aujourd’hui ses limites à un moment où on est obligé de s’éloigner des modèles intensifs. Selon nous, il faut intégrer davantage l’ensemble des exploitations dans l’objectif d’autonomie alimentaire qui est apparu comme un enjeu majeur lors des mouvements de la population depuis 2009. Un pays qui importe tout ce qu’il mange, bénéficie certes d’une forme d’autonomie alimentaire puisqu’il assure l’alimentation de sa population. Mais il n’est pas en sécurité alimentaire dans le cas de catastrophes, d’événements qui ne dépendent pas de lui, et cela d’autant plus que l’on est sur une île. »

Tout l’enjeu est d’augmenter les capacités de production locales pour réduire d’autant la part des importations. Réorienter le développement agricole et valoriser le potentiel agroécologique de l’île, c’est désormais le cœur de la stratégie portée par la Collectivité territoriale de Martinique et la Chambre d’agriculture. Il faut dire que les petites exploitations représentent la principale composante du tissu agricole. 70% des exploitations font moins de cinq hectares.
C’est le cas de celle de Jean-François Panor. Lui a décidé de répliquer à plus grande échelle le “jardin créole” de son enfance
Il a aussi intégré une dimension pédagogique, afin de faire connaître aux enfants et au grand public des fruits et légumes locaux pour certains presque oubliés.

La Martinique fait partie de ces territoires éloignés que l’Europe appelle les régions ultra-périphériques. La politique agricole commune y est distribuée via un dispositif nommé Poseï. Or, il bénéficie encore à 80% à des modèles de culture intensive, en premier la banane.

Faire confiance après la chlordécone

La culture de la banane s’est aussi accompagnée de l’utilisation d’un insecticide puissant, la chlordécone, interdit en 1993. Mais cela a causé une contamination généralisée, durable des écosystèmes. Et des effets délétères sur la santé humaine.
Cette pollution des sols est encore importante. Quand ils s’installent, les agriculteurs doivent donc tester leurs sols, et adapter leurs productions en fonction du degré de contamination ou non. La question de la chlordécone en Martinique a une influence majeure aujourd’hui encore.

Du point de vue économique, “ça a une incidence qui est forte dans la mesure où ça réduit les perspectives de rentabilité, très clairement. Ça limite les possibilités de choix d’exploitation selon l’endroit où je suis situé, le type de sol que j’ai et le degré de contamination que j’ai ou même l’incertitude que j’ai sur cette contamination.”, détaille Samuel Bates, économiste à l’université des Antilles. Mais l’autre question c’est le consommateur. “Parce que même si on fait l’effort de produire quelque chose de sain, il n’est pas dit que le consommateur adhère, poursuit le chercheur. Fondamentalement, il y a un problème de confiance. Vous avez des gens qui préfèrent manger importé tout le temps, parce qu’ils se disent que la nourriture importée n’est pas impactée par la chlordécone. Sauf qu’en fait, il n’y a pas que la chlordécone quand même…

.
.

© Radio France – Catherine Petillo

En Martinique, l’enjeu, c’est de renforcer la production, mais aussi de la structurer. Les dizaines de petits agriculteurs ont moins de poids que ceux des grandes filières d’exportation rassemblées au sein d’organisations professionnelles. Comment faire pour que l’agriculture locale arrive jusqu’aux consommateurs ?

.
.

© Radio France – CP

Tous les samedis, dès 5h du matin, les clients affluent à Sainte-Marie. C’est là que se tient depuis 25 ans le Marché agricole nord-atlantique, le MANA comme on l’appelle ici. C’est un marché particulier avec un fonctionnement unique en Martinique car les agriculteurs ont décidé de s’unir en association et de faire une caisse commune

Dès 5h du matin les clients se pressent au Mana
Dès 5h du matin les clients se pressent au Mana

© Radio France – catherine Petillon

Le groupe Bernard Hayot, GBH, numéro un de la distribution aux Antilles, est sous le feu des critiques depuis les mobilisations contre la vie chère. Il fait l’objet de plusieurs plaintes et enquêtes, notamment sur les marges pratiquées.
Dans ces magasins Carrefour, seulement un quart de la marchandise vendue est locale.  Christophe Bermont, le directeur de Carrefour Martinique, l’assure, il serait prêt à faire plus.

“Tout est question de structuration de filière.Il faut bien comprendre qu’aucun distributeur n’a comme intérêt premier de conserver l’éloignement de ses sources d’approvisionnement.  Parce que c’est compliqué, parce que c’est un bateau par semaine.Donc tout ça, ça entraîne des retards, des complications de gestion. Donc pour pouvoir consommer plus localement, il faudrait bien évidemment augmenter ce volume de production locale. mais également faire en sorte qu’il y ait des organes, une structuration des filières, notamment fruits et légumes, pour qu’on puisse mettre en adéquation le besoin des distributeurs et également la capacité de production des producteurs.

L'usine Denel s'approvisionne en goyaves uniquement en Martinique
L’usine Denel s’approvisionne en goyaves uniquement en Martinique

© Radio France – catherine Petillon

L’entreprise Denel est l’un des transformateurs historiques de l’île. Elle fabrique des jus de fruit et des confitures, en s’approvisionnant au maximum localement. Mais ce n’est pas toujours facile Notre fierté c’est d’être désormais autosuffisant en goyaves, explique Philippe Vourch, le directeur. Cela a pris 30 ans.c’est passé par des relations de confiance avec des agriculteurs, c’est passé aussi avec des engagements sur des volumes, sur des prix  Mais il n’y a pas beaucoup de fruits sur lesquels on peut être autosuffisant.

La moitié en valeur des achats de matières premières est faite à la Martinique. “Nous avons des débouchés dans les jus . Mais il y a une limite quand même qui est le porte-monnaie du consommateur. Sonc aujourd’hui, le problème, c’est sommes-nous capables de passer à un moment ou à un autre d’une importation qui vient de pays d’à côté pour une production locale ? Sur certains produits, oui, c’est possible.Sur d’autres, c’est beaucoup plus compliqué, notamment ceux dans lesquels il y a un très gros niveau de main-d’œuvre.”
En raison des différences de coûts de mains d’oeuvre très importantes entre la MArtinique et les pays voisins d’Amérique latine
Lui aussi compte sur une structuration de la filière fruit et légume qui aujourd’hui fait défaut

L'usine Denel s'approvise en grande partie en fruits locaux pour faire ses jus de fruits
L’usine Denel s’approvise en grande partie en fruits locaux pour faire ses jus de fruits

© Radio France – Catherine Petillon


Crédit: Lien source

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.