Matthieu Bracchetti: «L’IA, la RA et la RV sont appelées à converger»

Comment en êtes-vous arrivé à développer des services autour de ces technologies particulièrement innovantes que sont la réalité virtuelle ou la réalité augmentée?

. – «Quand nous nous sommes lancés en 2017, on voyait apparaître les premiers casques de réalité virtuelle. Cette technologie, qui permet de s’immerger dans un autre environnement, est apparue, comme vous le dites, comme ultra-innovante, mais aussi très décalée. À l’époque, si des entreprises ont fait l’acquisition d’un tel dispositif, intriguées peut-être par le potentiel innovant de la technologie, elles se sont rapidement demandé quoi en faire.

Dans cet environnement particulier, nous avons décidé de développer une activité, pour aider les organisations à tirer avantage de cette technologie, en explorant et en présentant divers cas d’usage. Il s’agissait, dès le départ, de montrer que c’était plus qu’un gadget.

L’adoption des casques de réalité virtuelle, dans le monde professionnel, semble loin d’être généralisée…

«Lorsque nous avons commencé à développer notre activité, il y avait un réel engouement, soutenu par les acteurs industriels, le monde hospitalier, notamment pour des applications dans le domaine de la formation. Beaucoup d’acteurs se sont emparés de la technologie, ont développé divers cas d’usage répondant à des problématiques bien identifiées.

Avec le Covid, cependant, ce développement a subi un gros ‘stop’. Pendant et après la crise sanitaire, équiper des personnes avec un casque que d’autres avaient préalablement porté s’est avéré délicat. La production, en outre, a considérablement ralenti. C’est à ce moment que la réalité augmentée, une technologie qui vise, par l’intermédiaire d’une tablette par exemple, à offrir une vue de la réalité enrichie de données, s’est davantage développée.

Il y a un réel intérêt pour la réalité virtuelle dans tout ce qui touche à la formation

Matthieu Bracchetti, CEO, Virtual Rangers

Que l’on parle de réalité virtuelle ou de réalité augmentée, quels sont les principaux cas d’utilisation de ces technologies?

«Il y a un réel intérêt pour la réalité virtuelle dans tout ce qui touche à la formation. En les immergeant dans un environnement bien déterminé, la technologie permet à des opérateurs de s’entraîner à l’exécution de tâches délicates ou dangereuses, sans pour autant prendre de risque. C’est à ce niveau que les cas d’utilisation sont les plus évidents. Nous avons par exemple développé un module de formation à la vigilance médicale avec les Hôpitaux Robert Schuman, ou un autre relatif aux opérations de levage au sein d’un site industriel d’ArcelorMittal.

La réalité augmentée, elle, a fait une importante percée dans le monde de la culture, dans les musées. Au niveau du Musée national des mines de Rumelange, par exemple, par le biais de la tablette, la réalité augmentée et la réalité virtuelle permettent de mieux rendre compte du travail des mineurs. Dans le domaine de la construction, ces technologies doivent permettre aux acquéreurs d’un futur bien ou aux porteurs d’un projet de rénovation de se projeter dans leur futur environnement, de le composer de manière didactique.

Enfin, il y a beaucoup d’opportunités en lien avec les opérations de maintenance préventive, la création de nouvelles expériences au niveau marketing ou événementiel.

Que manque-t-il pour que ces techno­logies soient plus facilement adoptées?

«Si l’on parle de la réalité augmentée, via une tablette, on peut déjà accéder à une vision enrichie de la réalité qui se présente à nous. Cependant, si l’on veut une expérience de qualité, que l’on parle de réalité augmentée ou de réalité virtuelle, il manque encore des dispositifs qui permettent d’accéder à une vraie liberté de mouvement, qui garantissent une expérience remarquable.

L’Apple Vision Pro, que la firme de Cupertino vient de sortir, devrait porter cette révolution sur le marché. Ce casque de réalité mixte particulièrement innovant permet de passer d’un monde virtuel immersif au monde réel très simplement. Ce device, j’en suis convaincu, dessine l’avenir de l’informatique. C’est le premier ordinateur spatial.

Ces outils vont constituer des leviers d’amélioration de la productivité au travail, vous aider dans la réalisation de vos tâches professionnelles. Tous les secteurs vont être impactés.

Matthieu Bracchetti

Matthieu Bracchetti, CEO, Virtual Rangers

En quoi ce casque peut-il faciliter l’adoption de ces technologies?

«Jusqu’à présent, le casque de réalité virtuelle était encore perçu comme un outil de geek. Simplement parce qu’il manquait encore un équipement qui soit vraiment efficient, qui puisse répondre à la multiplicité des usages. J’ai compris que cela était révolutionnaire lorsque j’ai vu des personnes se promener dans la rue avec le casque sur la tête. Cela révèle un changement majeur. Nous sommes parvenus à nous en procurer un. Actuellement, le prix, autour de 3.500 dollars, est encore rédhibitoire. Il faudra quelques années avant que la technologie devienne plus accessible. Mais elle ouvre de nouvelles perspectives. Elle permet d’initier un nouveau mouvement.

Comment, au regard de ce potentiel, voyez-vous les choses évoluer?

«Beaucoup de choses vont changer. Pour prendre la mesure de la transformation à venir, il ne faut pas considérer les équipements ou une technologie de manière isolée. Il faut voir comment, notamment, la réalité augmentée, la réalité virtuelle et l’intelligence artificielle vont converger, pour créer par exemple des assistants personnels qui vous accompagnent partout au quotidien, vous aident à interagir avec la réalité, en poussant à votre connaissance des informations, ou vous rappelant vos obligations.

Ces outils vont constituer des leviers d’amélioration de la productivité au travail, vous aider dans la réalisation de vos tâches professionnelles. Tous les secteurs vont être impactés. Pour une opération de maintenance, un artisan disposera directement de toutes les informations relatives à l’équipement sur lequel il doit intervenir. Un artiste qui souhaite réaliser une fresque pourra projeter le croquis qu’il vient de réaliser directement sur le mur, à travers ses lunettes, et commencer à peindre. Si vous souhaitez repenser votre intérieur, la technologie, soutenue par l’IA, pourra rapidement effectuer une modélisation de l’espace en 3D et proposer de nouveaux styles via votre casque.

Le risque d’isolement associé à l’utilisation de ces technologies ne doit pas être négligé. Il faut pouvoir le considérer. Cependant, cette tendance n’est pas propre à la réalité virtuelle ou augmentée.

Matthieu Bracchetti

Matthieu Bracchetti, CEO, Virtual Rangers

Ces développements ne suscitent-ils pas aussi des craintes?

«Si, évidemment. Le risque d’isolement associé à l’utilisation de ces technologies ne doit pas être négligé. Il faut pouvoir le considérer. Cependant, cette tendance n’est pas propre à la réalité virtuelle ou augmentée.

Considérant ces évolutions, quels conseils donneriez-vous à un CIO appelé à être confronté, à un moment ou un autre, à ces technologies?

«En tant que CIO, l’un des enjeux est de pouvoir opérer une veille sur l’ensemble des évolutions technologiques, pour par exemple identifier les possibilités offertes par chacune, pouvoir envisager la manière avec laquelle elles peuvent contribuer aux objectifs poursuivis par l’organisation ou soutenir les collaborateurs.

Au cœur de ces évolutions, c’est celle relative à l’intelligence artificielle qui produira ses premiers effets. Un bon moyen de prendre la mesure de son potentiel est notamment de souscrire à la version pro de ChatGPT, pour une vingtaine d’euros par mois, afin de la tester.

Si l’on parle de réalité virtuelle, il faut aussi se familiariser avec la technologie, à travers l’acquisition d’un premier casque au sein d’un laboratoire d’innovation. On trouve aujourd’hui de bons équipements pour 300 euros. Ce n’est qu’en vivant l’expérience, en expérimentant à travers l’utilisation de la technologie, que l’on peut avancer. Sans s’y essayer soi-même, on ne peut pas imaginer les possibilités que cela offre. Il faut pouvoir se mettre à la place de l’utilisateur.

Petit à petit, chacun va comprendre comment les technologies fonctionnent, comme elles peuvent converger. Chacun peut alors se préparer.

Parce que la création d’applications ne se fait pas du jour au lendemain?

«Si l’on parle de réalité virtuelle, qui constitue l’expérience ultime, il faut évidemment parvenir à modéliser les environnements. Pour enrichir la réalité, en y apportant des informations, en localisant des éléments via les lunettes, il faut aussi disposer des données, pouvoir les traiter, les faire évoluer dans le temps. Tout cela doit être pensé, préparé, afin de proposer une expérience utilisateur optimale. Cela requiert aussi de la puissance de calcul.

Comment se positionne le Luxembourg vis-à-vis de ces évolutions technologiques?

«Les organisations au Luxembourg ont les mêmes besoins que les entreprises à l’étranger. Il faut pouvoir les accompagner dans l’adoption de ces technologies. Il existe déjà des acteurs spécialisés dans ce domaine. Nous disposons aussi d’une infrastructure de pointe, avec des réseaux performants ou encore la possibilité d’accéder à des supercalculateurs, via Meluxina. Cet environnement nous permet d’explorer les possibilités offertes par la technologie, d’innover au départ de ces technologies qui auront besoin d’une importante puissance de calcul. Le gouvernement soutient ces développements. L’un des enjeux sera de parvenir à attirer davantage de start-up, de studios, pour soutenir le développement de solutions au départ du Grand-Duché.»

Besoin de puissance

Les évolutions technologiques s’accompagnent d’un besoin croissant en puissance de calcul. «D’une part, il s’agit de traiter et de gérer un volume toujours plus important de données. D’autre part, la volonté est d’intégrer un nombre croissant de dimensions à gérer», explique , CEO de LuxProvide. «Les acteurs, contribuant au développement de l’économie digitale et s’inscrivant dans une démarche d’innovation, doivent pouvoir accéder à des capacités de calcul toujours plus grandes.» Au Luxembourg, Meluxina, l’un des rares supercalculateurs positionnés pour répondre aux acteurs du secteur privé, entend répondre à ces nouveaux besoins. «Je compare souvent un HPC à une formule 1, c’est-à-dire un équipement spécialement conçu pour atteindre un haut niveau de performance. Si, face aux besoins de ressources informatiques, le cloud a des atouts, un HPC répond à des exigences plus élevées, pour explorer des modèles complexes ou profiter de vitesses de traitement supérieures», poursuit le CEO. Dans cette optique, LuxProvide accompagne divers acteurs écono­miques, de la start-up à la PME, ou encore des acteurs soucieux de préserver la confiden­tialité de leurs données, dans la mise en œuvre de simulations numéri­ques complexes, de développer des modèles complexes, d’entraîner des moteurs d’intelligence artifi­cielle dans un contexte privé et sécurisé (à travers la certification ISO 27001), suivant une approche Private AI.

La quantique émerge

Aujourd’hui, les supercalculateurs (HPC), à l’instar de Meluxina au Luxembourg, sont mobilisés pour répondre aux besoins croissants en puissance de calcul, liés à l’utilisation de l’intelligence artificielle et à la modélisation d’environnements complexes. Considérant la vitesse à laquelle la technologie se développe, et l’émergence de nouveaux besoins, l’apparition de la technologie quantique pourrait nous emmener dans une autre dimension. «Le calcul quantique, qui est en train d’émerger, relève d’une approche de traitement bien différente de celle que nous connaissons. L’information ne réside plus dans une succession des 1 et des 0, mais prend une autre forme. Si elle n’est pas encore mature, la technologie ouvre de nouvelles perspectives», explique Arnaud Lambert, CEO de LuxProvide. Le gestionnaire du HPC luxembourgeois mène des initiatives dans ce domaine, en vue d’accompagner ces évolutions, faire profiter le pays des avancées dans le domaine et soutenir le développement de compétences en la matière. L’informatique quantique sera complémentaire à l’HPC. «Les deux vont fonctionner ensemble, précise le CEO. Meluxina, par exemple, accueille trois modules de simulation quantique, permettant notamment de tester des algorithmes au regard de cette nouvelle approche de calcul», conclut-il.

Cet article a été rédigé pour le supplément Leading CIOs de l’édition de parue le 28 février. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam. 

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