La suspension de l’USAID vire au casse-tête pour les ONG qui font face à une crise humanitaire inédite avec le conflit entre les rebelles du M23 et l’armée congolaise. L’aide américaine finance 70% des programmes humanitaires au Congo.
Coup de tonnerre pour les ONG en République démocratique du Congo (RDC). Alors que le pays s’enfonce dans une crise sécuritaire sans précédent, l’annonce de la suspension de l’aide américaine au développement (USAID) a sidéré les acteurs de l’humanitaire qui doivent faire face à un conflit armé et à plus de 6 millions de déplacés, dont 2,5 millions uniquement dans la province du Nord-Kivu. Il faut dire que depuis 30 ans, le Congo vit sous perfusion de l’aide internationale. Les plus de 250 organisations humanitaires internationales et nationales pallient tant bien que mal aux carences de l’Etat congolais. Les ONG interviennent partout : éducation, accès à l’eau, à la santé, gestion des camps de déplacés, insécurité alimentaire… Sans compter les multiples crises sanitaires, comme le choléra, la rougeole, Ebola, ou le Mpox… Plus de 25 millions de Congolais sont aujourd’hui en insécurité alimentaire. Cette assistance vitale pourrait drastiquement diminuer avec le gel de l’USAID décidé par l’administration Trump.
910 millions de dollars d’aide américaine en 2024
Après l’Ukraine, la République démocratique du Congo est le principal bénéficiaire de l’aide américaine. Au cours des dix dernières années, l’USAID a fourni plus de 6 milliards de dollars d’aide humanitaire et au développement au Congo. En 2024, le pays a reçu 1,3 milliard de dollars d’aides internationales, soit le montant le plus élevé jamais obtenu. 910 millions de ce total proviennent des États-Unis. Ce qui représente 70 % du financement total, qui sont donc appelés à disparaître. L’ambassade américaine à Kinshasa a récemment recensé les principales actions de son aide humanitaire et au développement en RDC. Une liste qui donne le tournis. L’année dernière, 5,3 millions de Congolais ont reçu une assistance alimentaire. Les programmes d’eau, d’assainissement et d’hygiène (WASH) de l’USAID et les activités de résilience pour la sécurité alimentaire ont touché près de 1,2 million de personnes dans l’Est de la RDC, ainsi que dans les provinces du Kasaï oriental et du Tanganyika.
De l’aide humanitaire, mais pas seulement…
Plus grand donateur bilatéral, l’USAID travaille dans 25 des 26 provinces congolaises, et fournit des traitements vitaux à plus de 11 millions de personnes pour des maladies telles que la tuberculose, le VIH, la diarrhée, la pneumonie ou le paludisme. Mais l’USAID, c’est aussi de l’aide au développement. Les États-Unis avaient annoncé un financement de 4 milliards de dollars pour les grands projets d’infrastructures le long du Corridor de Lobito pour relier par rail les riches régions minières de Zambie et de RDC au port angolais de Lobito avec un débouché sur l’Atlantique. D’ici 2030, 110 millions de dollars étaient prévus dans le développement du système agroalimentaire congolais. 350.000 enfants vivant dans des zones de conflit bénéficient de formations d’apprentissage. Que vont devenir ces projets sans financement américain ?
Des coupes budgétaires drastiques
Mais l’impact le plus lourd portera sur l’aide humanitaire d’urgence. Aujourd’hui, ce sont 10.000 subventions qui ont été supprimées par Donald Trump, d’un trait de stylo. Avec des conséquences dramatiques. Pour Interaction, la plus importante coordination d’ONG internationales, ce sont « des femmes et des enfants qui souffriront de la faim, de la nourriture qui pourrira dans les entrepôts pendant que des familles mourront de faim, et des enfants qui naîtront avec le VIH ». Le Norwegian refugee council (NRC), l’une des plus grandes organisations humanitaires d’Europe a confirmé la réduction de ses activités dans 21 pays, dont la RDC. Des coupes budgétaires qui « priveront des centaines de milliers de personnes d’eau, de nourriture, d’abris et d’aide sanitaire ». En France, l’ONG Solidarités International, qui opère fortement au Congo, a annoncé « avoir reçu d’USAID, dans la nuit du 26 au 27 février, des lettres de fin de contrat signifiant l’arrêt de [ses] opérations financées par les États-Unis, y compris celles relatives à l’aide humanitaire vitale ». Selon Kevin Goldberg, le directeur général de l’ONG, l’arrêt du financement américain « devait représenter pour l’année en cours 60 millions d’euros de projets humanitaires déployés dans 21 pays ». Pour l’instant, seuls 6 pays pourraient être impactés. La RDC n’y figure pas.
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Tout un éco-système touché
Du côté de Médecins sans frontières (MSF), autre poids lourd de l’humanitaire en RDC, la situation est différente. « MSF ne perçoit aucun financement de l’USAID », nous explique Emmanuel Lampaert, responsable pays de l’ONG. « MSF n’est pas dépendante du financement américain, et notre indépendance financière est une vraie force dans une géopolitique mondiale aussi incertaine ». Pourtant, l’ONG va devoir s’adapter, car c’est tout l’éco-système humanitaire qui est touché au Congo. « Cela va mettre une pression supplémentaire beaucoup plus forte sur certains projets parce qu’il y aura davantage de besoins qui ne seront plus couverts, et vu le contexte, il faut qu’on puisse garder nos capacités de réponses mobiles et rapides sur le terrain ». Suite aux combats et aux ordres d’évacuation donnés par le groupe M23/AFC, des centaines de milliers de civils ont quitté les camps de déplacés autour de Goma. Face à cette nouvelle situation humanitaire tendue, les équipes de MSF ont dû adapter leur appui en envoyant des équipes mobiles afin de venir en aide aux populations poussées une nouvelle fois sur les routes.
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Des grands projets humanitaires à l’arrêt
Les organisations humanitaires ont commencé à faire des projections sur l’impact de l’arrêt de l’aide américaine. Il est clair que certains programmes, ou certaines thématiques seront restreints ou abandonnés, comme l’interruption thérapeutique et volontaire de grossesse, l’aide aux personnes touchées par le VIH ou la tuberculose. Aujourd’hui, le gel de l’USAID affecte déjà la collecte des données et la coordination des besoins, notamment avec la perte de postes de « facilitateurs », ce qui handicape l’action effective des ONG auprès des populations. L’USAID avait également porté de grands projets, mobilisant des dizaines d’ONG internationales, mais aussi locales, comme le projet « Tumaini », lancée en octobre 2024 pour soutenir 1,2 million des personnes vulnérables dans les domaines de la santé, de la nutrition et de la protection, et à l’accès à l’eau potable. Ces actions étaient portées par des ONG internationales comme Care, Mercy Corps, ou Help a Child. Mais aussi des structures locales comme Heal Africa, Feconde, PADi, Ppssp, Ajadec et Uvuds. Le projet est à l’arrêt. Certaines ONG contactées n’ont pas souhaité s’exprimer. D’autres sont déjà aux abonnés absents sur internet et au téléphone.
Christophe Rigaud – Afrikarabia
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