Menaces sur l’info, une série d’été sur les journalistes qui accomplissent leur travail en dépit des difficultés auxquelles ils sont confrontés : pressions politiques, menaces sécuritaires, guerres, dictatures, les entraves au travail des journalistes sont nombreuses, pourtant l’accès à l’information, et à une information fiable et indépendante, est peut-être plus nécessaire que jamais. Aujourd’hui, RFI vous propose le portrait du journaliste malien Malick Konaté. Ce dernier a, lui, été contraint à l’exil, pour sauver sa vie. Il vit actuellement en France. Rencontre.
Lorsqu’il quitte Bamako, en septembre 2022, Malick Konaté pense que la mise au vert ne durera que deux ou trois mois. Le temps que la situation s’apaise, que les menaces cessent. Après la diffusion d’un reportage sur BFM-TV sur la présence au Mali du groupe Wagner, dont il n’est pas l’auteur mais pour lequel il a fourni des images, Malick Konaté est assailli d’injures et de menaces de mort, au téléphone et sur les réseaux sociaux. Sa voiture est caillassée par des hommes en cagoule. Actes commandés ou spontanés ? La vie de Malick Konaté est en danger. Cela va faire deux ans qu’il n’a pas revu son pays. Malick Konaté n’a reçu aucun soutien de BFM.
« Les Maliens ont le droit de savoir ce qui se passe dans le pays »
Fondateur de la chaîne d’info en ligne Horon TV, Malick Konaté poursuit, de Paris, son activité de journaliste. Notamment sur les réseaux sociaux : près de 176 000 abonnés sur X — anciennement Twitter — suivent ses révélations. Sur la rémunération des membres du Conseil national de transition, les arrestations de personnalités politiques, ou encore sur l’entreprise publique d’électricité EDM (Energie du Mali).
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« C’est un devoir pour moi, revendique-t-il avec une fougue qui n’exclut pas l’humilité, c’est un métier que j’ai choisi. Je dois continuer à informer mes concitoyens, parce qu’ils ont le droit de savoir ce qui se passe dans le pays ». Une mission qu’il s’assigne avec d’autant plus d’abnégation qu’il connaît la situation de ses confrères restés au pays : « ce n’est pas facile, dans le Mali actuel, pour les journalistes. Soit tu suis la ligne, soit tu te tais, tu t’auto-censures. Ou il y a l’autre chemin, comme je l’ai fait : quitter le pays. Tout ce que je fais ici est lu à Bamako ! »
« Que chacun joue son rôle »
Malick Konaté continue de pouvoir compter sur d’innombrables contacts au Mali, qui lui permettent de recouper ses informations. Ses posts sur les réseaux sociaux, il les conclut systématiquement par cette expression en bambara : « Beki Take ». « Quand le Premier ministre Choguel Maïga a été nommé, explique Malick Konaté, j’ai constaté que toutes ses déclarations allaient à l’encontre de ce qu’il avait dit avant d’être nommé. Sur le pouvoir géré par les militaires par exemple. Tout ce qu’il avait dénoncé, il faisait la même chose. Donc je me suis dit : ce n’est pas ‘Mali kote’, ce n’est pas dans l’intérêt du Mali. ‘Beki take’, cela veut dire : que chacun joue son rôle. Si on arrive à jouer notre rôle pleinement, comme il se doit, je pense qu’on avancera. »
Malick Konaté a reçu beaucoup de menaces. Des insultes aussi. La plus utilisée par les soutiens des militaires qui ont pris le pouvoir au Mali, mais aussi au Burkina ou au Niger, c’est « apatride ». Malick Konaté l’a malheureusement trop souvent lue ou entendue. « C’est de l’ignorance, relativise le journaliste. Dire que je ne suis pas d’accord avec la ligne des autorités de la Transition, cela ne veut pas dire que je suis un apatride. Je suis un citoyen malien et personne ne m’a vu un seul jour avec le drapeau d’un autre pays. Mais ceux qui me traitent d’apatride sont les mêmes qui aujourd’hui disent ‘vive la Russie’ et brandissent le drapeau russe. Moi je n’ai jamais dit ‘vive la France’ ni brandi le drapeau français. Aujourd’hui, certains de ceux qui me traitent d’apatride vivent ici (en France, ndlr). Moi, je n’ai pas choisi de venir en France, je suis là malgré moi. Je suis toujours Malien et fier d’être Malien ».
Rentrer au mali
Depuis qu’il est en France, Malick Konaté a aussi repris des études : il suit une formation sur la transformation digitale des entreprises de communication. Pour se perfectionner, dans la perspective d’un retour au Mali… dès qu’il le pourra. « Si aujourd’hui on me donne l’opportunité, là tout de suite, je prends mes cliques et mes claques et je rentre à Bamako. Je suis là malgré moi, rappelle le journaliste. J’ai l’habitude de dire : un bon journaliste, c’est un journaliste en vie et en toute liberté. Si ta vie est menacée quelque part, il faut t’éloigner et continuer d’exercer ton métier, raison pour laquelle je suis là. Ça peut être tout de suite, dans dix ans ou dans vingt ans, conclut Malick Konaté avec l’espoir et la force de ceux qui n’abandonnent jamais, mais si les choses rentrent dans l’ordre, je veux vraiment retourner au Mali ».
Le Mali occupe la 114e place sur 180 du classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières (RSF). Les antennes de RFI et France 24 y sont coupées depuis mars 2022, après la diffusion sur RFI de témoignages révélant les exactions du groupe Wagner et de l’armée malienne sur des civils. Les journalistes occidentaux ont tous quitté le pays et les journalistes maliens se contraignent à l’auto-censure, pour éviter la suspension de leur antenne ou la prison.
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