Mobilisation des livrets d’épargne, actionnariat : comment la France peut-elle financer la défense ?

Comment renforcer la défense de la France, sans plomber les finances publiques ? Le gouvernement, qui réunit investisseurs et entreprises de la défense jeudi à Bercy, planche sur plusieurs pistes. Puiser dans les produits d’épargne des Français fait partie des mesures privilégiées.

Face au rapprochement spectaculaire amorcé par les États-Unis de Donald Trump avec la Russie de Vladimir Poutine, potentiellement aux dépens de l’Ukraine, mais aussi de l’Europe, l’Union européenne souhaite renforcer sa défense de manière massive. Côté français, Emmanuel Macron veut rapidement mettre en musique cette décision qui répond à la nécessité de rendre autonome le continent.

Mais cette situation se heurte à deux problèmes de financement en France : celui du budget de la Défense au moment où l’État tente désespérément de combler son déficit public, et celui de la montée en puissance des fabricants d’armes, dont le passage en « économie de guerre » réclamé par les autorités depuis l’invasion russe de l’Ukraine en 2022 reste progressif. Comment investir plus dans la défense sans altérer le modèle social français ni augmenter les impôts ou creuser le déficit public ? Voici les pistes que le gouvernement peuvent mobiliser.

La souscription nationale, une piste de plus en plus écartée

François Bayrou a affirmé début mars qu’un emprunt national était une « possibilité », mais que la décision n’était « pas du tout prise ». Une telle souscription, qui permet de lever l’épargne des Français, sur base volontaire ou forcée, ne serait pas une première en France, même si le dernier grand emprunt remonte à 1993 sous Edouard Balladur. En juin 2009, le président Nicolas Sarkozy avait souhaité lancer un nouvel emprunt auprès des Français, avant d’y renoncer parce que le coût aurait alors été beaucoup plus élevé que d’aller sur les marchés.

La France se finance habituellement auprès d’investisseurs institutionnels (banques, assurances, fonds, etc.). Avec un emprunt national, « l’avantage est qu’on ne s’adresse pas directement au marché », où les taux d’intérêt ont nettement remonté, explique à l’AFP Eric Dor, directeur des études économiques à l’IESEG School of Management. Cela pourrait en outre être un moyen de rassurer les investisseurs, en montrant la capacité de l’État à « mobiliser assez facilement l’épargne nationale », développe Eric Dor. Et « cela peut même être un moyen de faire baisser les taux » sur les marchés, selon lui, comme ce fut le cas pour la Belgique en 2023.

Si cette mesure fait partie de la boite à outil du gouvernement, elle semble être écartée à ce stade, car trop coûteuse et peu efficace, selon les informations de François Bayrou.

Puiser dans les produits d’épargne existants

La création d’un livret spécifique pour mobiliser des fonds afin de financer un effort accru en matière de défense a aussi été mis sur la table. Le ministre de l’Économie Eric Lombard a indiqué mercredi dernier vouloir plutôt privilégier des produits d’épargne existants. L’épargne des Français constitue déjà une manne importante : l’encours de l’assurance vie dépassait 2.000 milliards d’euros à fin janvier, et celui des Livrets A et des livrets de développement durable plus de 600 milliards. Le ministère de l’Économie et des Finances se veut toutefois rassurant : « hors de question de confisquer l’épargne de qui que ce soit ».

Une autre piste serait de flécher une partie de l’épargne réglementée existante vers la défense, comme le Sénat l’avait voté en 2024, avant la dissolution.

« Nous avons besoin d’argent privé » pour soutenir les entreprises de la défense

Des investisseurs et des entreprises de défense se réunissent ce jeudi 20 mars à Bercy pour réfléchir aux meilleures façons pour les premiers de financer les seconds. Quelque « 5 milliards d’euros » sont nécessaires au secteur pour monter en cadence dans le cadre de l’effort national de défense, a annoncé jeudi matin sur TF1 le ministre de l’Économie. « Ce sera de l’argent public de (la banque publique d’investissement, NDLR) Bpifrance, de la Caisse des dépôts, de l’État, mais nous avons besoin d’argent privé » également, a détaillé Eric Lombard.

Les investisseurs publics français, comme la Caisse des dépôts et Bpifrance, investiront 1,7 milliard d’euros pour renforcer les fonds propres des entreprises de la défense, a indiqué le locataire de Bercy à l’ouverture du colloque. Eric Lombard a estimé jeudi qu’il était « responsable » d’investir dans le secteur de la défense, appelant les investisseurs privés à dépasser leur « frilosité » dans ce domaine. Selon le ministre, « il n’y a pas d’armes controversées. Il y a des armements qui sont proscrits par les textes et par les traités internationaux. (…) Le reste est autorisé », a-t-il développé.

Des Français volontaires bientôt actionnaires ?

Il a aussi annoncé que Bpifrance allait lancer un nouveau fonds de 450 millions d’euros : les Français pourront ainsi « pour 500 euros devenir indirectement actionnaires des entreprises du secteur de la défense » et par ces « tickets de 500 euros » minimum « placer leur argent sur du long terme », via un capital « bloqué pendant au moins cinq ans ». « C’est très important d’associer l’ensemble des Françaises et Français à cet effort, ce seront des bons placements. Les grands réseaux bancaires et d’assurances vont mettre à disposition d’autres fonds purement privés pour que ceux qui le veulent, sur une base de volontariat », puissent participer, a résumé Eric Lombard.

La « base industrielle et technologique de Défense » (BITD) française, c’est-à-dire l’ensemble des industries nationales spécialisées dans la défense, comporte neuf grands groupes, comme Dassault Aviation, Safran, Thales ou Airbus, mais aussi 4.000 PME et entreprises de taille intermédiaire (ETI), dont 1.000 sont stratégiques.

« Il ne peut pas y avoir de nouveau quoi qu’il en coûte »

Le gouverneur de la Banque de France François Villeroy de Galhau a déclaré jeudi matin qu’il ne pouvait pas « y avoir de nouveau quoi qu’il en coûte » pour financer l’industrie de défense, en référence à la phrase utilisée par Emmanuel Macron pendant la pandémie de Covid-19 pour désigner le plan d’aides déployées pour soutenir les entreprises. « Il y a un effort légitime, mais il doit être mesuré, il doit être financé », a souligné le gouverneur sur BFM TV/RMC, dans le contexte économique et budgétaire dans lequel se trouve la France. Pour le gouverneur, la réunion de jeudi à Bercy répond à « une première question : ‘qui va prêter au début aux industries de défense ?' ». « Mais la question plus difficile qui viendra ensuite, qui est plus difficile, c’est: ‘Qui va payer à la fin ?' », a poursuivi M. Villeroy de Galhau. « Et là la réponse est malheureusement claire, c’est forcément de la dépense publique : il n’y a que l’État qui puisse acheter le matériel militaire, ou payer la solde des militaires, etc », a-t-il souligné.

Cette année, le gouvernement veut limiter le déficit public à 5,4% du PIB, contre environ 6% l’an dernier, et compte toujours le ramener en dessous de 3% en 2029, « malgré l’effort de défense accru », a indiqué le ministère de l’Economie mercredi.

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