Mohamed Bazoum, président « otage » et oublié qui refuse de céder contre la junte

Voilà presque 365 jours que Mohamed Bazoum est retenu prisonnier dans sa résidence du Palais. Le 26 juillet 2023, un putsch fomenté par sa garde rapprochée le démet. L’« otage » oublié de Niamey pourrait être jugé pour « crime de trahison » après l’organisation d’un supposé complot avec des puissances extérieures, dont la France, ayant pour but de renverser ses fossoyeurs. En exclusivité, ses proches ont accepté de se confier à « Marianne », décrivant un homme acculé.

À Niamey, le long du fleuve Niger, le palais présidentiel s’est transformé en forteresse. À l’intérieur, les militaires se relaient jour et nuit pour surveiller le prisonnier le mieux gardé du pays : Mohamed Bazoum, le président déchu qui refuse de céder face aux putschistes.

Depuis que des membres de sa garde présidentielle ont encerclé sa résidence il y a un an, l’ancien dirigeant de 64 ans y vit reclus avec son épouse dans une aile du bâtiment. « Ils ont été transférés dans un appartement plus exigu, il n’y a qu’une chambre, un salon et une cuisine, ils ne peuvent pas sortir, des militaires sont postés derrière chaque porte », détaille un membre de la famille, préférant rester discret.

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Le couple est coupé du monde depuis le 19 octobre. Les militaires, qui les accusent d’avoir tenté de « s’évader », leur ont confisqué leur téléphone portable, coupant leur dernier lien avec l’extérieur. Après le coup d’État, M. Bazoum avait multiplié les échanges téléphoniques avec ses soutiens, tel que le président Emmanuel Macron ou le secrétaire d’État américain Antony Blinken. Il avait même publié à titre « d’otage » une tribune dans le Washington Post pour lancer un appel à l’aide au gouvernement américain et à la communauté internationale.

Quelques semaines plus tard, Mohamed Bazoum était apparu, pour la première et dernière fois depuis son renversement, aux côtés d’émissaires de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) venus négocier son rétablissement dans ses fonctions. Ce jour-là, devant le Palais, il s’était montré souriant devant les caméras de la junte. Sans-doute espérait-il encore à cet instant une délivrance proche ? Depuis, toutes les tentatives de médiation pour sa libération ont échoué et le président renversé n’a plus donné signe de vie.

Lecture et vélo d’appartement

Sa famille n’a plus que des nouvelles au compte-goutte à travers son médecin, seule personne autorisée à lui rendre visite deux fois par semaine. « Il va bien et son moral est bon malgré le manque de soleil et de ne pas pouvoir marcher, à la place il fait des allers-retours dans un couloir », rapporte un proche. Pour se maintenir en forme, il pratiquerait un peu d’exercice sur un vélo d’appartement. Le reste du temps, cet ancien professeur de philosophie, féru de littérature, occuperait ses journées à lire dans sa chambre. « Il reste combatif, il a lutté toute sa vie pour la démocratie, il ne cédera pas », martèle son ancien directeur de cabinet Oumar Moussa.

Mais les journées sont longues. Son avenir de plus en plus incertain. Le 14 juin, la Cour d’État, une juridiction créée de toutes pièces par la junte, a levé son immunité présidentielle, ouvrant la voie à un possible procès pour « complot et attentat ayant pour but de porter atteinte à la sûreté de l’État » et « crime de trahison ». Si ces accusations, très lourdes, sont retenues, M. Bazoum encourt la prison à vie et même la peine capitale, selon le Code pénal nigérien.

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Ses avocats, qui n’ont jamais eu accès à leur client, dénoncent une « parodie de justice ». « Il n’a pas été présenté à un juge d’instruction et pour l’heure, on ne sait toujours pas exactement ce qui lui est reproché. Le tribunal militaire qui doit le juger est à la solde de la junte et ne garantit pas la tenue d’un procès équitable », s’inquiète Maître Mohamed Seydou Diagne, avocat au barreau de Dakar.

« On l’avait mis en garde »

Pendant ce temps à Niamey, les nouveaux hommes forts du pays semblent bien déterminés à régler leurs comptes avec les anciens tenants du pouvoir. Ces derniers n’ont jamais digéré la menace brandie par la CEDEAO – et soutenue par la France – de lancer une intervention militaire pour restaurer l’ordre constitutionnel au Niger. Les putschistes assurent avoir réuni des éléments « de preuve » contre Mohamed Bazoum, notamment des « échanges avec des nationaux, des chefs d’États étrangers et des responsables d’organisations internationales », en vue d’organiser cette opération.

Des accusations « absurdes » rétorquent ses proches qui dénoncent « un acharnement » et « une manœuvre pour l’éliminer politiquement ». Pour l’analyste nigérien Seidik Abba, le président déchu est devenu un « bouclier encombrant ». « Le cas Bazoum traduit le manque d’orientation politique de la junte qui semble hésiter sur son sort. Un procès pourrait se transformer en grand déballage sur la face cachée du coup d’État et révéler le nom de ses commanditaires », avance ce dernier.

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D’autant plus que le mystère plane toujours sur le rôle qu’aurait pu jouer son prédécesseur Mahamadou Issoufou, accusé par ses détracteurs d’avoir laissé faire ou pire d’avoir instigué le coup de force qui a porté au pouvoir un de ses fidèles, le Général Abdourahamane Tiani, alors à la tête de la garde présidentielle. L’entourage de Bazoum gronde de colère contre son ancien mentor. « On l’avait mis en garde mais le président refusait de nous écouter. Pour lui c’était de la folie, il ne voulait pas croire qu’il puisse le trahir », confie un ancien conseiller, réfugié en France.

« Plus de leçons à nous donner »

De son côté, la junte a acté la rupture avec la France et a fait appel aux mercenaires russes de la société paramilitaire russe Wagner. Après avoir obtenu le départ des quelque 1 500 soldats français déployés sur son sol et des forces américaines (qui doit s’achever d’ici le 15 septembre N.D.L.R.), le régime de Niamey a annoncé son retrait de la CEDEAO pour fonder avec ses voisins putschistes du Mali et du Burkina Faso une nouvelle coalition kaki : l’Alliance des États du Sahel, reconnue dans la foulée par Moscou.

Un pied de nez à l’organisation régionale et à sa Cour de Justice qui ordonnait quelques semaines plus tôt la « libération immédiate » de Bazoum. « On a chassé les Français et les Américains, de quoi voulez-vous que l’on ait peur ? Et puis regardez ce qu’il se passe en Ukraine, au Moyen-Orient, la communauté internationale n’a plus de leçons à nous donner », clame un conseiller du général Tiani.

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En coulisses, les leviers de négociations ne cessent de se réduire. Le Togo, pays médiateur dans cette crise, tente de poursuivre les discussions avec la junte, toujours inflexible. De son côté, la France mise désormais sur un soutien moins bruyant au président déchu et à son clan. « Les autorités françaises restent investies, on a des contacts réguliers mais elles préfèrent rester discrètes et nous aussi, parce que dès que l’on parle on nous traite de valets de la France », glisse un proche.

En attendant, deux groupes politico-militaires ont décidé de prendre les armes contre les putschistes. Ces derniers revendiquent l’enlèvement d’un préfet et le sabotage d’un pipeline pétrolier dans le sud du Niger. Un « premier avertissement », clame un cadre du mouvement qui menace de mener « une guérilla » jusqu’à la libération de Bazoum.

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