Monaco qui se meut dans le bleu éternel

Ce n’était pas un touriste ordinaire. Il avait le regard sans cesse en éveil et la plume débordante d’épithètes fleuries. Stéphen Liégeard, l’écrivain qui allait donner à notre région le nom de Côte d’Azur, découvrait en 1887 la Principauté de Monaco.

Il en donna une description idyllique dans son ouvrage précisément intitulé « La Côte d’Azur », qui fut l’un des grands succès littéraires de l’époque. On se fait un plaisir de lui redonner la parole : « Quand, par une douce soirée de printemps, le long des plages dentelées que caresse la mer, le touriste arrivant d’Italie aperçoit pour la première fois le royal domaine de Charles III, ébloui, hésitant, il enquête. Car, miracle ou mirage, il a cru voir comme un fourmillement d’astres qui flamboient dans l’ombre. Serait-ce que vient de choir devant lui un pan de ce ‘ciel azuré, tant richement contrepointé d’estoilles’, ainsi que parle Charron au livre de la « Sagesse » ? Ou bien, cherchant le pays de l’or, aurait-il d’aventure mis le pied au royaume des pierreries ? Eh non, c’est simplement Monaco qui scintille sous les papillons de gaz, c’est Monte-Carlo, le séjour enchanté où la nuit ne descend jamais que dans une robe de lumière. »

Hymne à Monaco

Suit, dans le texte de Stéphen Liégeard, un extraordinaire « hymne à Monaco ». En le lisant, il faut se rappeler qu’à l’époque, Monaco était une monarchie absolue – ce qui ravissait l’écrivain – non dotée d’un conseil d’élus du peuple.

« Heureuse capitale, heureux peuple ! Plus fortuné encore le Prince qui les gouverne ! Habiter au palais où l’art le dispute à la nature ; n’y entendre monter ni la voix de l’aquilon, ni les murmures de la plèbe ; se mouvoir dans le bleu éternel ; ceindre une couronne veuve d’épines, tenir un sceptre qui n’a jamais besoin de se changer en verge ; être grand maître d’un Ordre dont les Souverains s’honorent de devenir titulaires ; frapper monnaie à son effigie, sans extraire une paillette d’or de l’escarcelle du contribuable ; avoir le monde entier pour tributaire, pour sujets une poignée d’habitants qui portent la joie décrite sur leur visage ; entretenir, sans qu’il vous en coûte un monaco cette armée de cent trente hommes qui bat aux champs quand vous passez, manœuvre chaque matin sous vos fenêtres, tire le canon à la Saint-Charles et ne gâte jamais ses beaux habits au dur métier de la guerre ; devoir aux convulsions permanentes d’un grand état voisin l’admirable recrutement de ses services ; recueillir ici l’un des plus habiles préfets de l’Empire, là quelqu’un de nos magistrats les mieux versés dans la science du droit, ou bien un colonel qui a conquis ses grades sur les champs de bataille ; remettre en ses mains éprouvées des portefeuilles qui ne risquent pas de s’envoler au vent des urnes ; ne posséder ni Chambre où l’on joue du poing – en attendant le revolver, ni Sénat conservateur qui ne conserve que les haines des partis ; n’avoir pas plus à compter avec les intrigues de l’antichambre qu’avec les séditions de la rue ; laisser aux vulgaires Présidents de la République les coups de plume de la presse et à ses pigeons ordinaires les volées d’un plomb qu’ils partagent avec les monarques ; être maître enfin chez soi, maître absolu d’un peuple libre et reconnaissant – tout cela n’est-il pas l’idéal d’un songe, l’étincelant mirage de la féerie ? »

En venant de Nice…

Lorsque Stéphen Liégeard venait à Monaco, c’était par train depuis Cannes. Il décrit ici son arrivée. On notera que la cathédrale dont il est question n’est pas celle que nous connaissons aujourd’hui puisqu’elle n’était pas encore achevée, mais simplement son bâtiment en cours de construction. « Dix tunnels, en seize kilomètres, vous ont pris et repris tour à tour ; la sortie du onzième vous arrache une exclamation. Un roc surgit soudain, escarpé et majestueux, promontoire à cassure abrupte, lion couché qui s’allonge vers le sud. Des reflets fauves le colorent, de verdoyants bastions l’enserrent, une cité pittoresque le couronne. Le soleil africain y incrusta des baisers, le figuier de Barbarie ses raquettes ; l’aloès y fleurit, pareil à un sceptre, un palais s’y appuie – tel qu’un trône, l’ombre d’une cathédrale y descend, comme une protection. À son front les cyprès, à ses pieds la vague bleue qui, de toute éternité, les frappe ou les caresse sans que l’insensible, du haut de sa puissance souveraine, en paraisse un instant ému.

Voilà Monaco, antique et toujours vivante image de la puissance souveraine, dévouée à ses princes, fidèle à son Dieu ; voilà Monaco, piédestal superbe d’une famille dont, pas plus que la morsure du flot, la dent des révolutions n’a pu entamer le granit. Digne frère du château de Nice, ainsi que lui et avec plus de fierté encore, ce roc nimbé garde en dépôt tout ce que le fer et le feu y gravèrent de glorieux souvenirs. Neuf siècles rayonnent sur le nom des Grimaldi ». La description de Monaco et de ses trésors ne s’arrête pas là. Nous aurons l’occasion de publier d’autres extraits de ce texte magnifique.

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