L’ancien président Moussa Traoré, qui a dirigé le Mali d’une main de fer pendant près de vingt-trois ans (1968-1991), s’est éteint le 15 septembre 2020 à l’âge de 83 ans. Sa disparition est survenue en pleine concertation nationale sur l’organisation de la transition politique, alors que la junte militaire venait de renverser le président Ibrahim Boubacar Keïta le 18 août 2020.
Bamada.net-Comment un homme condamné à mort pour crimes de sang et crimes économiques a-t-il pu réintégrer la scène politique et même devenir un conseiller respecté ? Son parcours permet d’appréhender certaines constantes de la politique malienne, notamment la quête récurrente d’un « homme providentiel » et les lacunes du système judiciaire.
Un destin militaire marqué par le coup d’État de 1968
Moussa Traoré est né le 25 septembre 1936 à Sébétou, dans la région de Kayes. Fils d’un soldat de l’armée coloniale française, il intègre l’école militaire de Kati avant de poursuivre sa formation à l’École de formation des officiers ressortissants des territoires d’outre-mer (EFORTOM) à Fréjus, en France. De retour au Mali, il gravit rapidement les échelons au sein de l’armée nationale.
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Le 19 novembre 1968, alors que le régime socialiste de Modibo Keïta est en proie à une crise économique et politique grandissante, un groupe de jeunes officiers dirigé par Moussa Traoré renverse le premier président du Mali indépendant. Modibo Keïta est emprisonné et mourra en détention en 1977 dans des circonstances encore floues.
Traoré, à la tête du Comité militaire de libération nationale (CMLN), instaure rapidement un régime militaire et élimine progressivement ses compagnons de putsch.
Un règne dictatorial sans partage (1968-1991)
Durant près de vingt-trois ans, Moussa Traoré dirige le Mali avec une poigne de fer. Il fait adopter en 1974 une nouvelle constitution instaurant un parti unique, l’Union démocratique du peuple malien (UDPM), et s’octroie des pouvoirs absolus. Les opposants sont pourchassés, torturés et emprisonnés. Plusieurs figures de la contestation, comme l’universitaire Ibrahima Ly, subissent une répression implacable.
Dans les années 1980, le Mali s’enfonce dans une crise économique aiguë, aggravée par les plans d’ajustement structurel imposés par le FMI et la Banque mondiale. Le mécontentement populaire grandit, et des mouvements étudiants et syndicaux commencent à réclamer des réformes politiques.
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En mars 1991, une répression sanglante contre des manifestants fait près de 200 morts et précipite la chute du régime. Le 26 mars, Moussa Traoré est renversé par un coup d’État militaire mené par le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré.
Procès et condamnations : une impunité partielle
Arrêté avec son épouse, Moussa Traoré est jugé et condamné à deux reprises à la peine de mort, d’abord en 1993 pour « crimes de sang » et en 1999 pour « crimes économiques ». Toutefois, ces peines sont commuées en emprisonnement à vie, puis graciées en 2002 par le président Alpha Oumar Konaré.
De l’oubli à la réhabilitation politique
Après sa libération, l’ancien dictateur réapparaît progressivement sur la scène politique. En 2012, lors du coup d’État contre Amadou Toumani Touré, certains de ses anciens proches occupent des postes clés. Le nouveau président Ibrahim Boubacar Keïta lui rend hommage en le qualifiant de « grand républicain ».
Sa maison devient un lieu de pèlerinage pour les nouveaux dirigeants qui viennent chercher ses conseils. Il acquiert ainsi une stature de « sage » malien, malgré son passé de dictateur. Cette réhabilitation illustre une tendance récurrente dans l’histoire politique du Mali : l’impunité et l’oubli des crimes passés au nom de la réconciliation nationale.
Les leçons d’une histoire inachevée
L’itinéraire de Moussa Traoré soulève des questions cruciales sur la mémoire collective malienne. Sa réhabilitation progressive montre combien la soif de stabilité et d’un « homme fort » demeure prégnante au Mali. Pourtant, l’absence de justice pour les victimes de la répression sous son régime affaiblit les bases d’un État de droit solide.
Si l’histoire de Moussa Traoré peut servir de leçon, c’est bien celle de la nécessité d’une justice transparente et équitable pour garantir une paix durable au Mali. Sans un véritable travail de mémoire et de responsabilisation, le pays risque de voir se répéter les erreurs du passé.
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Moussa Keita
Source: Bamada.net
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