Un vent de changement a balayé le sud-est du Niger, où l’armée nationale a proclamé, par le truchement de son bulletin des Forces de Défense et de Sécurité (FDS), son retrait de la Force Multinationale Mixte (FMM) pour donner naissance à l’opération Nalewa Dolé. Cette initiative, centrée sur la région de Diffa, s’érige en une réponse audacieuse visant à fortifier la protection des sites pétroliers, joyaux économiques d’un pays confronté à des défis sécuritaires persistants. Ce virage, loin d’être une simple réorganisation, reflète une volonté de reprendre les rênes d’une lutte jusque-là menée sous une bannière régionale, dans une zone où les échos de la menace jihadiste résonnent encore avec force.
La FMM : une création régionale face à une menace transnationale
Pour saisir la portée de ce retrait, il convient de remonter aux origines de la FMM. Initiée en 1994 sous l’impulsion de la Commission du Bassin du Lac Tchad (CBLT), cette force a pris véritablement corps en 2014 avec l’aval de l’Union Africaine, devenant opérationnelle en 2015. Réunissant le Nigeria, le Tchad, le Cameroun – le Bénin jouant un rôle d’observateur – et plus tard le Niger, elle s’est donnée pour mission de juguler l’expansion de groupes tels que Boko Haram et l’État Islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP) dans le bassin du Lac Tchad.
Son état-major, établi à N’Djamena, a coordonné quatre secteurs, dont le Secteur 4, basé à Diffa et correspondant à la Zone de défense 5 du Niger. Cette coalition a marqué des points notables, neutralisant des bastions jihadistes et redonnant espoir aux populations martyrisées par des années de violence. Pourtant, des fissures sont apparues : le Tchad, dès décembre 2024, avait brandi la menace d’un départ, signe d’une unité régionale vacillante.
Nalewa Dolé loin de : une réponse souveraine aux enjeux pétroliers
Le retrait du Niger de la FMM ne traduit pas un abandon de la lutte antiterroriste, mais une réorientation stratégique. L’opération Nalewa Dolé, dont le nom évoque une volonté de briser les chaînes de l’insécurité, s’ancre dans une logique de souveraineté renforcée. Diffa, située dans le sud-est du pays, n’est pas une région anodine : elle abrite des installations pétrolières cruciales, notamment liées à l’exploitation du bassin de l’Agadem, dont les ressources s’écoulent désormais via le pipeline Niger-Bénin, opérationnel depuis fin 2023 après des années de gestation sous l’égide de la China National Petroleum Corporation (CNPC).
Ces sites, vitaux pour l’économie nigérienne, ont déjà été la cible d’attaques, comme celle revendiquée en juin 2024 par des rebelles opposés à la junte, qui avait endommagé une section du pipeline et coûté la vie à six soldats. Nalewa Dolé se dresse ainsi comme un bouclier, destiné à sanctuariser ces actifs face aux assauts des groupes armés qui pullulent dans cette zone poreuse, à la lisière du Lac Tchad.
La FMM : un contexte régional en pleine mutation
Ce recentrage nigérien intervient dans un climat régional marqué par des bouleversements. Le coup d’État de juillet 2023, qui a porté la junte au pouvoir, a redessiné les alliances du pays. Le retrait des forces américaines en septembre 2024, suivi d’un pivot vers la Russie pour des partenariats sécuritaires, a signalé une rupture avec les partenaires occidentaux traditionnels.
Parallèlement, les tensions avec le Bénin, apaisées en juillet 2024 grâce à une médiation chinoise, ont permis la reprise des exportations pétrolières, mais la stabilité reste précaire. La décision tchadienne de remettre en question sa participation à la FMM ajoute une couche d’incertitude à une coalition déjà fragilisée par des divergences stratégiques et logistiques. Le Niger, en se désengageant, semble privilégier une approche unilatérale, misant sur ses propres forces pour sécuriser un secteur clé de son développement économique.
Une ambition à l’épreuve du terrain
L’opération Nalewa Dolé ne manque pas d’audace. En concentrant ses efforts sur Diffa, l’armée nigérienne entend non seulement protéger les infrastructures pétrolières, mais aussi réaffirmer sa présence dans une région où la menace jihadiste côtoie des défis humanitaires colossaux – des dizaines de milliers de déplacés y survivent dans des conditions désespérées.
Cependant, cette entreprise soulève des interrogations. La FMM, malgré ses imperfections, offrait un cadre de coopération et de mutualisation des ressources face à un ennemi transfrontalier. En solo, le Niger devra redoubler d’ingéniosité et de moyens pour contrer des groupes comme ISWAP, dont les ramifications s’étendent bien au-delà de ses frontières.
Un futur suspendu entre audace et incertitude
Le lancement de Nalewa Dolé marque un tournant, une affirmation de la junte nigérienne face à un monde en recomposition. Mais ce choix, aussi audacieux soit-il, ouvre un champ de possibles où triomphe et péril se côtoient. La sécurisation des sites pétroliers renforcera-t-elle l’économie nationale, ou exposera-t-elle davantage un Niger isolé face à des adversaires insaisissables ? La réponse, encore voilée par les sables mouvants de Diffa, dépendra de la capacité du pays à conjuguer ambition stratégique et résilience face aux tempêtes qui s’annoncent.
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