Niger, les Assises nationales n’ont pas tout réglé

Photo de famille du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) en novembre 2023. Kémi Séba est en blanc, au centre.

Les rideaux sont tombés le jeudi 20 février 2025 à Niamey, la capitale nigérienne, sur les Assises nationales convoquées par le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP). Les participants ont, entre autres, décidé de fixer la durée de la transition à cinq ans renouvelables, de dissoudre les partis politiques existants jusqu’au coup d’Etat du 26 juillet 2023, d’instaurer le multipartisme limité et de doter le pays d’une nouvelle charte des partis politiques. Ils ont en outre proposé que le général Abdourahamane Tiani prenne le titre de président de la République, après avoir prêté serment et reçu le grade de général de corps d’armée.

Dans ce texte que Mondafrique publie sous forme de libre Opinion, Eric Topona Mocnga, journaliste à la rédaction Afrique francophone de la Deutsche Welle  (la radio allemande) estime que les Assises nationales nigériennes n’ont pas apporté plus visibilité au cap vers lequel le pouvoir militaire veut conduire le Niger. Le journaliste déplore le rétrécissement de l’espace civique au Niger comme dans les deux autres pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) et regrette que la profondeur des actes cède le pas au superficiel.  Il souligne enfin le sentiment de tâtonnement et d’improvisation que laissent certaines mesures prises tant au Niger que dans les deux autres Etats de l’AES.  

Éric Topona Mocnga 

Les assises nationales au Niger se sont refermées ​le 20 février 2025 après 5 jours de travaux. Ce grand rassemblement de la refondation du ​pays, aurait été dénué d’intérêt médiatique et géopolitique si depuis quelques ​années ne se posait pas en Afrique, plus précisément en Afrique de l’Ouest, une question lancinante dont nul ne peut dire à ce jour qu’elle a reçu une réponse qui fait l’unanimité : où vont les nouveaux régimes militaires de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) ?

Les observateurs sont d’autant plus portés à se poser cette question que certaines des raisons fort louables, qui ont conduit ces juntes à prendre le pouvoir ne manquaient pas de pertinence, à savoir : la restauration de la sécurité considérablement dégradée à leurs frontières ; quoique dans les cas spécifiques du Niger​, du Mali et du Burkina Faso, des régimes démocratiquement élus, donc investis de la souveraineté populaire, seule onction pour la dévolution du pouvoir dans une démocratie, ont été renversés. 

Raidissement des régimes militaires 

​À posteriori et à mi-parcours de leur cheminement aux affaires, il s’est très vite avéré qu’au lieu de retrouver la sécurité des personnes et des biens, ces pays s’enfonçaient plutôt dans une insécurité grandissante et une confiance de plus en plus incertaine en l’avenir. Au Niger, au Mali​ et au Burkina Faso, on assiste plutôt à un raidissement de ces régimes militaires et à un rétrécissement drastique de l’espace des libertés. La Guinée, bien que ne faisant pas partie des Etats de l’AES, n’échappe pas à cette glaciation de l’espace des libertés. La promesse d’un retour à l’ordre constitutionnel a été renvoyée aux calendes grecques et les uns et les autres, ont mis en place des sortes de constituantes, qui apparaissent manifestement comme des voies de contournement de la souveraineté populaire.

Revenons aux récentes assises nationales au Niger, elles en sont une parfaite illustration comme en 2024 au Burkina Faso voisin. Le régime militaire​ dirigé par le général Abdourahamane Tiani a réuni des citoyens de l’intérieur du pays et certains autres de la diaspora​ (un peu plus de 700 participants) autour de cinq commissions thématiques : « Paix, sécurité, réconciliation nationale et cohésion sociale », « Refondation politique et institutionnelle », « Économie et développement durable », « Géopolitique et environnement internationale », « Justice et droits de l’homme ». 

Si l’on peut relever a priori que ces choix thématiques épousent les grandes problématiques auxquels le Niger est actuellement confronté, et permettent d’en faire un tour d’horizon efficient pour peu que ces travaux soient motivés par une réelle volonté politique de refondation, trois résolutions au moins parmi les nombreuses autres prises à l’issue de ces assises ne manquent pas de laisser perplexe tout analyste rigoureux : l’élévation de chef de l’Etat au grade de général d’armée cinq étoiles, la prolongation de la transition militaire pour une durée de cinq ans, la suppression des partis politiques.

Symbole, folklore

Pour ce qui concerne la première résolution, il y’a lieu de relever que les Etats membres de l’AES dans leur ensemble, se sont illustrés depuis leur arrivée aux affaires par certaines mesures qui relèvent davantage du symbole, voire du folklore que d’une réponse appropriée aux attentes majeures de leurs concitoyens, même si force est de reconnaître que le symbole a toute son importance en politique.

Nous pouvons citer entre autres les nouveaux noms attribués à certaines rues, la création d’un drapeau​ de l’AES, le choix de dates comme l’expression d’un nouveau départ historique. La promotion du chef de l​a junte militaire du Niger au grade de général d’armée appartient à ce registre, comme ce fut le cas récemment au Mali, ce d’autant plus que ces promotions en grades ne sont pas sans incidence sur le budget de fonctionnement de l’Etat. 

Thomas Sankara qui serait une source d’inspiration pour ces régimes, est demeuré dans son grade de capitaine jusqu’à sa disparition tragique​ le 15 octobre 1987, mais demeure dans la mémoire des héros de l’Afrique postcoloniale et des mouvements révolutionnaires mondiaux pour son détachement légendaire et son désintérêt pour le folklore.

Les deux autres résolutions sont sans doute les plus préoccupantes de ces assises.

Comment est-il possible de prolonger une transition pour 60 mois et parmi les résolutions prises, annoncer la préservation de l’indépendance de la justice ?

Qu’adviendrait-il si durant la transition militaire, un juge, en s’appuyant sur des indices graves et concordants, prenait la décision d’enquêter sur l’une des personnalités les plus éminentes de la transition, voire sur ceux qui la conduisent ? On ne peut décider a priori de la durée d’un mandat, en l’absence de toute consultation populaire, si on n’a pas l’assurance que ce mandat sera exécuté en l’absence de garde-fous démocratiques. Seul le peuple souverain dont on se réclame confère cette prérogative. Dans la même dynamique politique, la suppression des partis politiques, donc du pluralisme, est la preuve que l’on se soustrait à toute possibilité de contestation d’une éventuelle dérive gestionnaire ou autoritaire, donc à la nécessaire reddition des comptes. 

Stratégie d’improvisation

Au plan diplomatique, les conclusions de ces assises confirment ce qui apparaît à l’observation depuis quelque temps comme une improvisation dans la création de l’AES. Parmi les résolutions de la commission ​« Géopolitique et environnement international », on peut lire ce qui suit : ​«Stratégies de l’opérationnalisation de l’AES ».

Autrement dit, l’AES est-elle une locomotive qui ne sait toujours pas comment parcourir le chemin diplomatique qu’elle s’est proposé d’emprunter ?

Ces quelques lignes de réflexion parmi tant d’autres, vont certainement faire débat dans un proche avenir au Niger, comme dans les autres Etats de cette nouvelle AES qui, à ce jour, demeure encore une nébuleuse aux contours et aux objectifs difficilement identifiables.

 

 

Crédit: Lien source

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.