Olivier Passet, Xerfi – La France reste un pays de croissance externe et de fusacqs : voilà pourquoi – Décryptage éco

Le marché des fusions-acquisitions français a connu un violent retournement depuis le début 2022. Hausse des taux, incertitudes géopolitiques, dégradation des perspectives de croissances, coup de frein du capital investissement ont porté un rude coup aux opérations de croissance externe. La France demeure néanmoins un pays leader du point de vue du nombre et du périmètre de ses multinationales, du point de vue aussi de la balance des revenus qu’elle tire des investissements directs, avec un excédent nettement positif et croissant, avec 12 multinationales non financières classées dans le top 100, en termes de taille d’actif détenu à l’étranger, avec les banquiers d’affaires les plus actifs d’Europe. Pays cible des investisseurs internationaux, la France est aussi un pays prédateur, signe d’une reconfiguration permanente de ses groupes. Financiarisés, ces derniers privilégient la croissance externe à la croissance organique, pour renforcer leur pouvoir de marché, pour garder leur leadership en termes d’innovation. Et cette plasticité joue un rôle clé dans le repositionnement de son économie et une résistance qui défie les diagnostics les plus noirs sur sa perte de substance productive et le caractère inhospitalier de son territoire. Bref le capitalisme hexagonal prend une part très active dans le grand mécano financiaro-industriel mondial.


Le recensement certes perfectible des opérations de fusion acquisition depuis près de 8 ans témoigne de leur activisme. Aussi bien en termes d’acquisition de pépites de la Tech que d’achat de concurrents étrangers. Au-delà de LVMH qui a bâti le leader mondial du luxe, on retrouve au sommet de la hiérarchie les grands paquebots hexagonaux, Total, Engie, Saint Gobain, Accor, Vinci, L’Oréal, Michelin, … et notamment nos énergéticiens confrontés au défi climatique. Mais on y trouve aussi des groupes moins connus du grand public. Notamment le laboratoire d’analyses Eurofins scientific avec 62 000 employés déployés à travers le monde, faisant main basse sur les laboratoires à travers le monde, surfant sur les besoins de la santé, de l’alimentaire et du climat. Spie, dans le génie électrique, mécanique et climatique, multi-implantée qui compte 48 000 collaborateurs à échelle monde ou encore Elis, dans le nettoyage et l’hygiène. Forte de 54 000 collaborateurs. Ces services B-to-B, peu visibles où la France excelle. Avec à la clef, des opérations qui renforcent la position concurrentielle hexagonale, mais qui défraient moins la chronique que lorsqu’une entreprise star française change de contrôle.


Pourquoi une telle financiarisation du capitalisme hexagonal ? On ne peut se livrer ici qu’à un jeu d’hypothèses, à défaut d’enquêtes rigoureuses et comparatives. Ce sont les entraves domestiques, qu’elles soient fiscales, sociales, réglementaires, financières ou la rareté des compétences qui sont le plus fréquemment évoquées pour évoquer la préférence française pour la croissance externe. Les grandes entreprises iraient chercher leur oxygène ailleurs, ou préfèreraient l’acquisition d’un projet déjà éprouvé, se détournant de la prise de risque et privilégiant l’optimisation et les synergies. C’est aussi la quête de débouchés en forte croissance, en dehors de la vielle Europe qui pourrait expliquer que le capitalisme français prend le large. C’est ensuite la nature même de la spécialisation hexagonale, son repositionnement sur les services, B-to-C ou B-to-B, qui pousseraient à la multi-implantation. Par nature, ce type d’activité ne peut se déployer qu’en développant une relation de proximité avec l’utilisateur final. Mais cela ne nous dit pas pourquoi, la France, pays d’ingénieur, de tradition entrepreneuriale, tend à délaisser l’industrie en dure, et développe une telle appétence pour le mécano des industries plus dématérialisées.


Peut-être faut-il alors s’interroger aussi sur la sélection de nos élites. Entre des ingénieurs qui ont été longtemps happé par les sirènes de la finance et du conseil, délaissant les grands corps de l’État et la R&D ; des écoles de commerce qui survendent la promesse d’un réseau, d’un entre-soi où se développent les passerelles entre la finance, l’État, et la sphère productive, au détriment de l’acquisition de compétences techniques. Ou encore un enseignement qui privilégie la version anglo-saxonne de l’entreprise conçue comme un portefeuille d’actifs  diversifiable, nos élites sont profilés pour être des assembleurs plus que des créateurs, des inventeurs et des développeurs. De ce cocktail est né un capitalisme hexagonal, « designé » par une  élite, déconnectée des métiers de la production, qui a finalement plus de parenté avec celui des États-Unis qu’avec celui de l’Allemagne ou de l’Italie.

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