Opération 1000 piscines ou comment la France a appris à nager

La natation et les Français, c’est une histoire d’amour et de désamour. Une histoire qui trouve étrangement sa source dans une guerre. Le documentaire « Dans le grand bain, comment les Français ont appris à nager » retrace le cours de l’histoire de l’apprentissage de la nage en France. A travers la nostalgie des piscines Tournesol.

Être à l’aise dans l’eau, savoir nager, c’est un enjeu de société. Pour éviter les noyades d’une part, mais aussi pour triompher avec ses champions. L’histoire de la natation en France, qu’elle soit sportive ou de loisirs, ne coule pas de source. C’est tout l’objet du documentaire Dans le grand bain, comment les Français ont appris à nager d’Anne-Cécile Genre.

Voici trois bonnes raisons de le regarder.

Ça ne saute aux yeux de personne. Quel lien pourrait-il y avoir entre la guerre de 1870 et la natation ? Pourtant, il est direct. Avant la guerre franco-prussienne, les Français ne savent pas nager. Ils n’en ont pas besoin. Même si les citoyens français sont censés apprendre à nager, depuis la Révolution, dans les faits, personne ne sait. 

Au XIXe siècle, les noyades sont courantes (de 3.000 à 5.000 par an). L’effondrement d’un pont en 1850 entraînant la noyade de plusieurs centaines de soldats, oblige l’armée à proposer des cours de natation hors eau, dont l’efficacité reste à prouver. En 1870, la débâcle de Sedan donne le coup de semonce : les soldats n’ont pas pu franchir la Meuse et se sont retrouvés piégés par l’armée de Bismarck. 

La défaite se solde par l’annexion de l’Alsace et la Moselle par la Prusse. 

Pour ne pas réitérer une telle erreur stratégique, il est décidé que tous les jeunes gens doivent apprendre à nager. L’historien Thierry Terret explique : « Des débats ont lieu après la défaite de Sedan et la perte des territoires du nord-est ; l’enseignement obligatoire de la natation a pour vocation d’apprendre aux jeunes Français à traverser le Rhin, lorsque l’heure sera venue d’attaquer l’Allemagne.« 

Mais les choses vont évoluer lentement.

Car même les champions et les championnes ont dû un temps apprendre à nager. Leur point commun, la joie d’être dans l’eau, d’évoluer dans un milieu dans lequel l’apesanteur se fait sentir différemment.

Roxana Maracineanu, championne du monde de natation, l’exprime d’ailleurs exactement ainsi : « J‘ai toujours été passionnée d’espace, d’astronomie et la sensation de sauter dans l’eau se rapproche beaucoup de la sensation qu’on peut avoir dans l’espace. Cette apesanteur qu’on peut sentir quand on est dans l’eau.« 

Esther Baron, championne d’Europe de natation, se souvient : « toute petite, je me régalais à la piscine, j’étais dans mon élément, comme un poisson dans l’eau« . Mais ce n’était certainement pas le sentiment de tous.

Alain Bernard, champion olympique de natation, donne son explication à l’appréhension de certains à sauter dans le grand bain : « L’être humain n’a pas évolué pour se déplacer dans l’eau. On a évolué pour être à la surface de la terre sur des appuis solides et à la verticale. Dans l’eau, on est à l’horizontal sur des appuis fuyants. C’est un peu comme si on apprenait à marcher tous les jours, sauf que la marche, on s’y entraîne à chaque instant de notre vie. » 

En revanche, on n’a pas la mer, l’océan, une rivière ou une piscine sous la main pour s’entraîner régulièrement.

Et tout particulièrement des fameuses piscines « Tournesol » qui ont fleuri dans les années 1970. Ces piscines en forme de champignon ou de vaisseau spatial et aux couleurs flashy. 

En 1969, la France compte 408 piscines. C’est à la fois peu au regard du territoire, mais beaucoup par rapport aux années 1920. 

Julien Beneyt, architecte urbaniste, précise : « le gros problème des piscines sur le territoire, c’est qu’elles ne sont pas couvertes ni chauffées. On peut les utiliser trois à quatre mois dans l’année. Un vrai problème pour le développement de la natation.« 

Cette même année 1969, le gouvernement Pompidou, à travers son ministre de la Jeunesse et des Sports, lance l’opération mille piscines.

Un grand concours d’architecture est lancé, qui pose deux conditions : que les piscines soient préfabriquées d’une part et qu’elles doivent être praticables en hiver d’autre part. La piscine Tournesol, la piscine canard et d’autres modèles moins connus commencent à couvrir le territoire, avec les souvenirs qui vont avec. Comme le banc bleu en béton qui retient l’eau en son fond et garde les petites fesses mouillées même hors du bassin, un souvenir en mode madeleine trempée.


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