OPINION. L’urgence d’une formation éclairée des décideurs face aux technologies numériques transformatives
Le Sommet international sur l’Intelligence Artificielle de ce début d’année à Paris a souligné un enjeu crucial : la nécessité de former les décideurs aux implications profondes des technologies émergentes. Le débat public reste marqué par une forme de polarisation préoccupante : certaines organisations forçant l’adoption de nouveaux outils tandis que d’autres tentent de les bloquer. La moitié des employés utilisant l’IA générative le font avec des outils censément interdits par leur entreprise (1), une dynamique paradoxale qui révèle notre difficulté collective à appréhender sereinement ces transformations.
Au-delà des idées reçues : une réalité contrastée
L’IA générative connaît actuellement une croissance sans précédent dans le paysage technologique. Toutefois, en termes de maturité industrielle, elle reste encore en développement comparée à d’autres technologies plus établies comme l’IA descriptive traditionnelle ou les technologies relatives aux énergies renouvelables et à leur stockage, qui continuent de dominer en volume de publications académiques et de brevets. Les réactions des professionnels à ces innovations varient considérablement selon les secteurs d’activité (2). Cette diversité de perception démontre qu’aucune technologie n’est universellement pertinente pour tous les domaines d’application.
Face à cette complexité, l’enseignement supérieur doit évoluer. L’approche traditionnelle, souvent cantonnée à de simples descriptions des tendances, ne suffit plus. Nous devons développer chez les étudiants une capacité d’analyse critique des technologies nourrie par trois sources complémentaires : Cette approche doit aussi s’ancrer dans des espaces de discussion neutres, où les enjeux peuvent être débattus d’une façon éclairée, dépassionnée et avec un horizon temporel séparé des lancements de produits et de l’agenda politique. Car l’innovation technologique n’est jamais neutre : elle s’inscrit dans des rapports de force économiques et politiques que les futurs dirigeants doivent savoir décrypter. La formation doit conjuguer approche transversale et compréhension sectorielle approfondie. Les études récentes montrent que la même technologie peut susciter des réactions diamétralement opposées selon les industries, à l’instar du secteur du luxe dont les professionnels ont une attitude ambivalente envers les contenus générés par IA (2). Former les étudiants à cette complexité, c’est les préparer à orchestrer des transformations adaptées à leurs futurs contextes sectoriels. Plus fondamentalement, il s’agit de leur inculquer que la technologie n’est jamais une fin en soi, mais un moyen au service d’une vision. Les tendances actuelles révèlent que malgré l’attention médiatique considérable dont bénéficie l’IA générative, son adoption et son impact concret varient sensiblement selon les contextes d’application. Dans cette perspective, la question du ‘pourquoi’ primera toujours sur celle du ‘comment’. L’objectif n’est pas de développer une simple familiarité avec le numérique, mais de promouvoir une véritable culture du discernement. Les dirigeants de demain devront savoir évaluer la pertinence des innovations sans céder aux effets de mode, identifier les risques sans tomber dans la technophobie, et surtout, comprendre que la réussite des transformations technologiques repose sur leur capacité à créer du dialogue entre les différentes expertises. C’est en formant des leaders capables de cette lecture équilibrée que les écoles de commerce contribueront à l’émergence d’un capitalisme technologique plus mature et responsable. Notre objectif devrait être de développer un regard critique sur l’évolution des technologies émergentes, au-delà des effets de mode, en nous concentrant sur une question essentielle : quelle valeur et quel impact réel pour chaque secteur? (1) Etude Salesforce 2023. (2) Données issues de la Digital Disruption Matrix 2025, ESSEC (*) Jérémy Beaufils dirige la Chaire Digital Disruption de l’ESSEC. Avec un parcours international entre l’Asie, l’Europe et les États-Unis, il a contribué au développement de technologies d’IA, de réalité augmentée et de blockchain. Ses travaux actuels se concentrent sur l’analyse des tendances technologiques à travers la Digital Disruption Matrix et l’accompagnement stratégique auprès de startups et d’institutions. Jan Ondrus est professeur en systèmes d’information et titulaire de la Chaire Digital Disruption à l’ESSEC. Ses recherches portent sur le rôle stratégique des technologies de l’information dans le développement des écosystèmes numériques, avec un intérêt particulier pour l’impact transformateur des technologies numériques sur l’innovation des modèles d’affaires et l’impact social. Jan Ondrus et Jérémy Beaufils Crédit: Lien sourceCommentréinventerlaformationdesleaders technologiques ?
L’impératif d’une approche sectorielle
Vers une culture du discernement technologique