Panafricanisme, antisémitisme, liens avec la Russie… Qui est Kemi Seba, le militant béninois privé de sa nationalité française ?
L’activiste, qui affirme lutter contre l’influence coloniale de la France en Afrique, prône également des idées racistes, misogynes et antisémites. Il bénéficie du soutien de nombreux régimes autoritaires, dont la Russie de Vladimir Poutine.
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Il décrit cette procédure comme « une médaille pour [lui]« . Le militant panafricaniste Kemi Seba, connu pour ses critiques virulentes à l’égard de la France, a perdu sa nationalité française, selon un décret pris lundi 8 juillet et paru le lendemain au Journal officiel.
L’activiste béninois de 42 ans, de son vrai nom Stellio Gilles Robert Capo Chichi, est une des principales figures francophones de l’anticolonialisme sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui à la tête de l’organisation Urgences panafricanistes, Kemi Seba milite pour l’indépendance et l’unité de toute la population noire africaine face aux puissances étrangères.
Sur les réseaux sociaux et dans des conférences, il dénonce l’influence des pays occidentaux (notamment la France) et de leurs entreprises dans leurs anciennes colonies. Elle formerait encore un système « colonial », le militant évoquant même sur X un « génocide de masse des peuples du sud global ». Ce discours bénéficie d’une large audience : Kemi Seba cumule aujourd’hui plus de 1,3 million d’abonnés sur Facebook, 340 000 sur TikTok, ou encore 272 000 sur X.
Les engagements de l’activiste, qui a quitté la France en 2011 pour le Sénégal avant d’être expulsé et de s’installer au Bénin en 2017, ne datent pas d’hier. En France, il s’est notamment fait connaître au début des années 2000 en tant que fondateur de la Tribu Ka, un groupuscule prônant le suprémacisme noir, et rejetant tout métissage entre les « khémites » (noirs) et « leucodermes » (blancs). Ce groupuscule a été dissous en 2006 par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, deux mois après une expédition de plusieurs de ses membres au cœur d’un quartier juif du 4e arrondissement de Paris.
Kemi Seba avait alors expliqué au Nouvel Observateur vouloir « demander des comptes » aux membres de deux organisations juives et que « justice soit faite pour les Noirs qui ont été frappés et dont les agresseurs semblent bénéficier d’une totale impunité dans ce pays« . A l’annonce de sa dissolution, il avait émis de nombreuses menaces : « L’homme blanc est un détail pour nous (…) Vous n’avez encore rien vu. Dans les prochains mois, le sang va couler », relatait un autre article du Nouvel Observateur de l’époque. Kemi Seba a ensuite créé le groupe Génération Kemi Seba en 2007, renommé Jeunesse Kemi Seba, lui aussi dissous en 2009.
Le militant, qui a parlé de Dieudonné comme « un frère et un ami », a lui-même été condamné pour provocation à la haine raciale en 2009. Dans des écrits, il affirmait que les institutions internationales comme la Banque mondiale, le FMI ou l’Organisation mondiale de la santé étaient « tenues par les sionistes qui imposent à l’Afrique et à sa diaspora des conditions de vie tellement excrémentielles que le camp de concentration d’Auschwitz peut paraître comme un paradis sur Terre ».
Sur les réseaux sociaux, il reprend également des éléments de langage antisémites (il évoque sur X le stéréotype antisémite de l’« élite apatride financière ») et complotistes (Volodomyr Zelensky « est objectivement au mieux une marionnette, au pire un outil consentant de l’élite néolibérale », cite Le Monde d’après une émission diffusée sur YouTube).
Face aux entités qu’il qualifie de « coloniales » ou « néocoloniales », Kemi Seba a trouvé plusieurs alliés objectifs : sur X, il assure avoir reçu « des fonds des pays du Sud global », notamment des régimes autoritaires ou dictatoriaux. Sur le même réseau social, Kemi Seba défend les juntes militaires arrivées au pouvoir suite à des coups d’Etat au Niger, au Mali ou au Burkina Faso. Il a récemment entrepris une tournée chez plusieurs parias de la communauté internationale comme l’Iran, le Venezuela ou Cuba.
Il semble surtout particulièrement proche de la Russie de Vladimir Poutine, qui étend depuis plusieurs années son influence sur le continent africain en attisant, tout comme Kemi Seba et d’autres activistes, le ressentiment anticolonial. Dans une interview donnée au Venezuela et publiée sur son compte X, Kemi Seba a décrit l’autocrate russe comme « le héros [et] le messie de la Russie ».
Kemi Seba a été invité en mars 2023 devant le Parlement russe pour y donner un discours. Le militant panafricain a même rencontré Evguéni Prigojine, défunt patron de Wagner dont les mercenaires sont accusés de nombreux crimes en Afrique. Cet ex-proche de Vladimir Poutine, mort dans un accident d’avion après s’être rebellé contre le président russe, a donné plus de 400 000 euros à Kemi Seba pour que ce dernier développe ses activités et gagne en influence, selon une enquête de plusieurs médias dont Jeune Afrique. Kemi Seba a répondu auprès de « Quotidien » que ce n’est pas « une somme exacte »).
Kemi Seba assume ces relations et les justifie par une stratégie « multipolaire », pour ne pas dépendre d’un seul pays ou camp. Ces Etats ne sont « pas des pays d’anges, loin de là, mais ils sont opposés à l’impérialisme occidental, et ça me va », défend-il au micro de « Quotidien ». Il ajoute que « les Russes sont des alliés mais pas nos messies », et que « alliance ponctuelle ne veut pas dire éternelle ».
En 2023, Kemi Seba avait publié sur le site d’Urgences panafricanistes un courrier présenté comme envoyé par la direction générale des étrangers en France, qui annonçait l’ouverture d’une procédure de perte de nationalité française à son endroit. Cette procédure, prévue par l’article 23-7 du Code civil, autorise le ministère de l’Intérieur (après avis conforme du Conseil d’Etat) à retirer à un binational sa nationalité française s’il « se comporte en fait comme le national d’un pays étranger ». Une procédure distincte de la « déchéance » de nationalité, prévue dans certains par les articles 25 et 25-1.
Selon la lettre dévoilée par l’activiste, la direction générale des étrangers en France reprochait à Kemi Seba « des messages particulièrement virulents voire outranciers contre la France » et « des accusations graves », ainsi qu’« une posture constante et actuelle résolument anti-française, susceptible de porter gravement atteinte aux intérêts français et de nature à caractériser une déloyauté manifeste ». Contacté par franceinfo pour vérifier l’authenticité du document, le ministère de l’Intérieur n’a pas répondu dans l’immédiat.
La perte de sa nationalité française ne semble pas affecter Kemi Seba : il a réagi mardi sur X en se disant « libéré (…) de ce fardeau », en rappelant qu’il avait déjà brûlé un document présenté comme son passeport français en mars. Son conseil, l’avocat Juan Branco, assure à l’AFP que son client « est très heureux » : « Il m’avait confié une lettre de renonciation [à la nationalité française] avant même que la procédure ne soit entamée », a-t-il affirmé.
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