Une simple réunion politique, qui n’appelle aucun commentaire. Les autorités françaises ont réagi avec la plus grande prudence, vendredi 17 mai, aux propos virulents contre la France tenus la veille par Ousmane Sonko, l’ancien opposant sénégalais devenu premier ministre. Pour sa première participation à un événement public depuis qu’il est arrivé au pouvoir voici six semaines, après la victoire du candidat de son camp à la présidentielle, Bassirou Diomaye Faye, le chef du parti les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) a tenu jeudi une conférence sur les relations entre l’Afrique et l’Europe, aux côtés de Jean-Luc Mélenchon, le fondateur de la France insoumise (LFI), en visite depuis le 15 mai dans le pays.
Ousmane Sonko a profité de l’occasion pour régler quelques comptes avec Emmanuel Macron : « Beaucoup de gouvernants français s’accommodaient mal de notre discours souverainiste, ce qui explique le silence approbateur face à la répression contre notre parti politique », a-t-il lancé, en référence aux manifestations réprimées en 2021 et 2023. « Durant toute la période de persécution extrêmement violente ayant entraîné et causé la mort de plus d’une soixantaine de personnes (…), vous n’avez jamais entendu le gouvernement français dénoncer ce qui s’est passé. Vous n’avez jamais entendu l’Union européenne dénoncer ce qui se passait au Sénégal », a poursuivi le premier ministre, sous les applaudissements de l’auditoire, tandis que certains étudiants criaient « complices », « hypocrites » et « haute trahison » à plein poumon.
A Paris, les propos ne sont pas passés inaperçus, même si personne n’a voulu les commenter officiellement, tant à l’Elysée qu’au Quai d’Orsay. Les autorités françaises ont tout fait, lors de la suspension du récent processus électoral par Macky Sall, pour éviter de devenir la cible d’une nouvelle campagne antifrançaise, comme celle qui a accompagné depuis 2020 les putschs militaires dans les pays du Sahel, au Mali, puis au Burkina Faso et enfin au Niger, trois pays qui se sont rapprochés depuis de la Russie.
Le « casus belli » des droits LGBT
Ces dernières semaines, elles se félicitaient plutôt en privé d’avoir échappé à un tel mouvement d’opinion, notamment en entrant en contact avec Ousmane Sonko, avant même que l’opposant soit jeté en prison, en juin 2023, et soit ainsi privé de la possibilité de se présenter au scrutin présidentiel. Elles ont ensuite maintenu le contact avec ses proches pendant toute la récente crise institutionnelle, pressant le président Macky Sall de respecter les échéances électorales.
Après avoir la veille remercié Jean-Luc Mélenchon pour son « soutien sans faille et constant », Ousmane Sonko a cependant précisé qu’il ne parlait pas en tant que premier ministre, mais comme président du Pastef, ce qui ne l’a pas empêché de regarder au-delà des frontières du Sénégal, afin de dénoncer les embargos qui ont été imposés aux pays putschistes du Sahel – en premier lieu par la France. « Nous ne lâcherons pas nos amis du Sahel et nous ferons tout pour raffermir les liens », a-t-il déclaré, provoquant une ovation. « Les problèmes internes au pays doivent être réglés en interne. Certes, il y a eu des coups d’Etat, mais je refuse d’être parmi ceux qui analysent les symptômes et qui refusent d’analyser les causes réelles. »
Dans la foulée, et alors que les soldats français ont dû quitter le Mali, le Burkina Faso et le Niger, il a critiqué la présence de bases militaires étrangères au Sénégal et en Afrique, qui « suscite des interrogations », même s’il n’a pas pour autant remis en question les différents accords de défense. La France examine en ce moment la meilleure façon de réduire la voilure de sa présence militaire sur le continent, en bonne intelligence avec les quatre Etats où elle dispose de bases (Sénégal, Gabon, Côte d’Ivoire et Tchad).
Ousmane Sonko a poursuivi son discours sur la monnaie et la sortie du franc CFA, revendiquant le droit de poser le débat sans être diabolisé. Il a annoncé que « des réformes ne sauraient tarder ». Le premier ministre sénégalais a terminé par un autre point de désaccord avec la France et l’Europe, mais, cette fois-ci, aussi avec son invité Jean-Luc Mélenchon. « La question liée aux mœurs et aux LGBTQ risque d’être le prochain casus belli si ça continue à être posé de cette façon », a-t-il lancé, dénonçant un Occident qui essaie d’« imposer sa vision sur ces questions ». « Nous demandons au monde occidental un peu de retenue, de respect et de tolérance. » « Nous sommes en désaccord, je suis le premier législateur à avoir demandé le mariage des homosexuels. J’assume ma position politique, mais je ne chercherai pas à vous l’imposer », a répondu Jean-Luc Mélenchon, devant des étudiants se dressant debout en faisant des gestes désapprobateurs.
Ousmane Sonko « a une forme de sincérité, de brut de décoffrage qui est inhabituel », a glissé Jean-Luc Mélenchon à la fin de la conférence. Le fondateur de LFI devait terminer son voyage samedi sur l’île de Gorée au large de Dakar, symbole de l’exploitation humaine et de l’esclavage. « Notre ligne était la bonne. Jean Luc Mélenchon est reçu avant Emmanuel Macron et Ousmane Sonko le considère comme l’autre “voix” de la France », observe Arnaud Le Gall, député du Val-d’Oise, et membre de la délégation LFI en visite au Sénégal.
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