Plus d’un demi-siècle après la mort commanditée de Patrice Lumumba à seulement 35 ans, certains esprits libres s’interrogent parfois sur ce que la République démocratique du Congo serait devenue.
Si l’on considère en effet les déclarations, le courage et l’engagement politique du personnage historique et emblématique, tout porte à croire que l’homme rêvait d’une RDC grande, en paix et libérée de toute emprise de quelque forme que ce soit. Pour celui qui est né en 1925, cette emprise, c’était la colonisation et le néocolonialisme et ses différentes facettes.
“Nous aspirons peut-être, et certains trouveront cela utopique, à fonder au Congo une nation dans laquelle les différences de race et de religion s’effaceront, une société homogène composée de Belges et de Congolais qui, d’un seul élan, lieront leurs cœurs aux destinées du pays”, avait-il déclaré dans une lettre en 1957.
De Raoul Peck à Yves Pinguilly, nombreux sont les auteurs et réalisateurs qui ont à leur manière rendu hommage à son combat pour un Congo libre.
Les origines
Il est un héros national et africain. Cet homme dont la coiffure (avec une longue raie du côté gauche de la tête) est devenue aussi célèbre que le béret d’Ernesto Che Guevara, a vu le jour à Onalua dans l’actuelle province du Sankuru.
Après une formation scolaire à la fois des missions catholique et protestante, Patrice va lui-même développer son amour pour les sciences par ses propres moyens.
Curieux, vif et entreprenant, après quelques menus emplois dans sa région natale, le futur premier ministre va faire parler sa plume en qualité de journaliste dans l’actuelle capitale, Kinshasa.
À 29 ans, alors qu’il travaille comme agent à la poste de Kisangani, il continue d’écrire dans des journaux de la place. Ses écrits et ses idées s’affirment de plus en plus dans le courant des indépendantistes, c’est-à-dire des autochtones qui font feu flèche de tout bois pour que leur pays soit libre.
L’entrée en politique et le début des ennuis
Pour structurer son combat politique et rendre plus dynamiques ces actions, Patrice Emery Lumumba fonde en 1955 l’APIC (l’Association du personnel indigène de la colonie), avant d’intégrer un an plus tard le Parti libéral qui comptait parmi ses membres des Congolais et d’élus belges qui, eux aussi, appellent à l’indépendance.
La même année, à son retour d’un bref séjour en Belgique, Patrice passera une année en prison après une condamnation pour détournement de fonds des comptes de chèques postaux.
À sa sortie de prison, il reprend avec plus de vigueur son combat pour la défense des peuples du Congo et apporte son soutien à diverses associations et centrales syndicales exigeant de meilleures conditions de travail et de meilleurs salaires.
En 1958, avec Gaston Diomi Ndongala, Joseph Ileo, il crée le Mouvement national congolais et gagne en aura. En décembre de la même année, le leader congolais rencontre l’un des grands théoriciens du panafricanisme à Accra, en la personne de Kwame Nkrumah, et d’autres figures africaines qui militent pour les indépendances sur le continent.
De retour au pays, devant une foule de plus de 10 000 personnes, il décline la vision du Mouvement national congolais MNC qui consiste ni plus ni moins à mettre fin au colonialisme.
Cette déclaration signera de facto l’acte de décès de cette plateforme politique.
La répression en 1959 d’un rassemblement interdit de l’association indépendantiste ABAKO coûte la vie à 42 personnes et conduit à la déportation de son leader Joseph Kasa-Vubu (premier président du pays) en Belgique.
Cet événement aura pour effet de tendre encore plus le climat politique et social dans la colonie en pleine ébullition émancipatrice.
Peu après, lors du congrès national du MNC dans l’actuelle Kisangani, des gendarmes tirent sur la foule et tuent au moins 30 personnes, arrêtant Lumumba qui est ensuite condamné en janvier 1960 à 6 mois de prison.
Toutefois le nom Lumumba est devenu si populaire que la pression de la rue va contraindre l’administration coloniale à le libérer.
Dans la foulée, le gouvernement belge se trouve confronté à un front uni des représentants congolais fixant au 30 juin 1960 l’indépendance du pays.
Avant cela, des élections générales sont organisées afin de déterminer qui aura les rênes du pays après le départ des colons.
À cet exercice, le parti de Lumumba arrive en tête et décide de donner le rôle de président de la République au dirigeant de l’ABAKO Joseph Kasa-Vubu, tandis que Lumumba sera Premier ministre.
C’est donc après 80 ans d’occupation et d’exploitation humaines et économique que les colons belges cèdent à l’air du temps comme c’est également le cas dans la plupart des colonies française et anglo-saxonnes. Enfin les colons consentent à retirer leur genou du cou des Africains.
Le discours historique
Lors de la cérémonie de l’indépendance du 30 juin 1960, seuls le roi Baudouin et le président congolais Kasa-Vubu devaient s’exprimer.
Le discours du roi Belge présentait l’indépendance comme un acte émanant de la bonne volonté de la Belgique ; ce que ne contredit point le président congolais.
Lumumba lui surgit sur l’estrade avec ses mots et son ton à lui.
»Si elle est proclamée aujourd’hui dans l’entente avec la Belgique, pays ami avec qui nous traitons d’égal à égal, nul Congolais digne de ce nom ne pourra jamais oublier cependant que c’est par la lutte qu’elle a été conquise, une lutte de tous les jours, une lutte ardente et idéaliste, une lutte dans laquelle nous n’avons ménagé ni nos forces, ni nos privations, ni nos souffrances, ni notre sang ».
« C’est une lutte qui fut de larmes, de feu et de sang, nous en sommes fiers jusqu’au plus profond de nous-mêmes, car ce fut une lutte noble et juste, une lutte indispensable pour mettre fin à l’humiliant esclavage, qui nous était imposé par la force. […] »
« Nous avons connu le travail harassant exigé en échange de salaires qui ne nous permettaient ni de manger à notre faim, ni de nous vêtir ou de nous loger décemment, ni d’élever nos enfants comme des êtres chers. Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions des nègres. Qui oubliera qu’à un Noir on disait “Tu”, non certes comme à un ami, mais parce que le “Vous” honorable était réservé aux seuls Blancs ?
« Nous avons connu nos terres spoliées au nom de textes prétendument légaux, qui ne faisaient que reconnaître le droit du plus fort ».
“Nous avons connu que la loi n’était jamais la même, selon qu’il s’agissait d’un Blanc ou d’un Noir, accommodante pour les uns, cruelle et inhumaine pour les autres. Nous avons connu les souffrances atroces des relégués pour leurs opinions politiques ou croyances religieuses : exilés dans leur propre patrie, leur sort était vraiment pire que la mort même.
“Nous avons connu qu’il y avait dans les villes des maisons magnifiques pour les Blancs et des paillotes croulantes pour les Noirs : qu’un Noir n’était admis ni dans les cinémas, ni dans les restaurants, ni dans les magasins dits européens, qu’un Noir voyageait à même la coque des péniches au pied du blanc dans sa cabine de luxe. […]
Qui oubliera, enfin, les fusillades où périrent tant de nos frères, ou les cachots où furent brutalement jetés ceux qui ne voulaient pas se soumettre à un régime d’injustice ?
Tout cela, mes frères, nous en avons profondément souffert, mais tout cela aussi, nous, que le vote de vos représentants élus a agréés pour diriger notre cher pays, nous qui avons souffert dans notre corps et dans notre cœur de l’oppression colonialiste, nous vous le disons, tout cela est désormais fini.
« La République du Congo a été proclamée et notre cher pays est maintenant entre les mains de ses propres enfants […] ».
Le reste du discours du leader politique congolais abordait dans le même temps des questions de paix nationale, de stratégie de développement économique et même des questions de coopération équitable entre l’Afrique et l’Occident.
Les mots et l’attitude de Patrice Lumumba ont été perçus par la jeunesse congolaise et africaine comme un exemple de courage et d’audace. À l’inverse, ce discours a eu un goût amer, avec l’effet d’une pilule difficile à avaler, d’autant plus que quand il le prononçait, l’administration coloniale belge n’avait pas encore passé la main.
Très vite, certains Congolais ont fait un peu de zèle, allant pour certains jusqu’à la confrontation avec l’ancien régent.
Des officiers et aussi des cadres belges de l’administration avaient été chassés, certains d’entre eux furent tués selon la partie belge.
Le chaos qui va se généraliser dans tout le pays va ensuite servir de prétexte pour le déploiement de soldats belges et d’autres forces étrangères.
Sous la pression de certains alliés internationaux, dont les États-Unis, le 4 septembre 1960, le président Joseph Kasa-Vubu annonce à la radio la révocation de Lumumba ainsi que des ministres jugés nationalistes.
De son côté, Lumumba déclare qu’il restera en fonction et révoque le président Kasa-Vubu, sous l’accusation de haute-trahison. Dans ce méli-mélo, Joseph Désiré Mobutu prend le pouvoir par coup d’État.
Le cruel assassinat des trois leaders
Le 10 octobre 1960, le nouvel homme fort du pays Mobutu assigne à résidence Lumumba ainsi que d’autres de ses ministres.
Un mois plus tard, Lumumba s’échappe avec sa famille de la résidence Tilkens, à Kalina, et tente de gagner l’actuelle capitale dans l’espoir de mobiliser des sympathisants, mais il sera arrêté le 1 décembre de la même année dans le district de la Sankuru.
Le 17 janvier 1961, Patrice Lumumba et deux de ses partisans, Maurice Mpolo et Joseph Okito, sont livrés aux autorités locales du Katanga où ils seront ligotés et torturés. Ils seront ensuite fusillés le soir même par des soldats sous le commandement d’un officier belge.
De nombreux documents et divers témoignages indiquent que le corps de Lumumba a été ensuite dissous dans l’acide pour ne laisser aucune trace de lui ou du crime.
Toutefois, la sortie médiatique d’un officier belge se vantant de détenir des reliques du disparu des dizaines d’années après, dont une dent, a permis à beaucoup d’imaginer un peu plus l’horreur orchestrée pour éliminer ces trois martyrs du Congo.
La dent en or du héros national congolais a été saisie en 2016 par la justice belge qui l’a ensuite remise aux autorités congolaises en 2022 au cours d’une cérémonie officielle. La dent de Patrice Lumumba est actuellement entre les mains des membres de sa famille.
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