Les 13e Jeux africains, événement multisport qui a lieu sur le continent tous les quatre ans depuis 1965, se déroulent au Ghana du 8 au 23 mars 2024. Si on peut les considérer comme le deuxième événement sportif d’Afrique après la CAN de football, pour l’économiste Mohsen Abdel Fattah, directeur général de l’African Sports & Creative Institute (ASCI), ils peinent cependant encore à donner leur pleine mesure en termes financiers et marketing. Entretien.
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RFI : Mohsen Abdel Fattah, peut-on considérer les Jeux africains comme le deuxième plus grand événement sportif du continent après la Coupe d’Afrique des nations masculine de football ?
Mohsen Abdel Fattah : Oui, et sur certains éléments, on pourrait même les considérer comme le premier événement, le plus grand événement africain.
Le premier élément, c’est au niveau de la taille : le nombre d’athlètes qui est beaucoup plus important. Au Ghana, on attend près de 5 000 athlètes d’une cinquantaine de pays et 2 000 bénévoles. Au Maroc, lors de l’édition précédente, c’étaient plus de 6 000 athlètes. Il y aura également 29 disciplines cette année.
Le deuxième élément, c’est la connexion avec les Jeux olympiques, étant donné que comme les Jeux asiatiques et les Jeux panaméricains, les Jeux africains sont reconnus par le Comité international olympique. Il y a un engagement fort de l’Union africaine qui est la propriétaire de l’événement, qui travaille avec l’Association des comités nationaux olympiques d’Afrique (Acnoa) pour le côté marketing et commercial, et l’Union des confédérations sportives africaines (Ucsa) pour le côté technique. Ce lien avec les JO fait que sur plusieurs disciplines, une performance qualifierait aux Jeux olympiques de Paris. […]
Le troisième élément, je pense, c’est qu’il s’agit d’une vitrine géante pour la promotion de la pratique sportive en Afrique. C’est très, très puissant. C’est par ailleurs un laboratoire en préparation des grands événements intercontinentaux, puisque l’Afrique a déjà organisé la Coupe du monde de football et celle de rugby. Le Sénégal accueillera les Jeux olympiques de la jeunesse en 2026 et le Maroc co-organisera la Coupe du monde de football en 2030. […]
Ces Jeux africains feront aussi la promotion de sports peu pratiqués sur le continent. Par exemple, le cricket qui y sera sport officiel pour la première fois. Il y aura aussi le bras-de-fer. Mais aussi des sports en démonstration, comme le MMA. Ça aussi, c’est intéressant, car un ancien champion du monde poids lourd est camerounais, Francis Ngannou. Ce sport de combat a un gros potentiel en Afrique. […] Et il y aura aussi du sambo, qui est un art martial traditionnel russe. Ça montre peut-être aussi une nouvelle orientation en termes de politique culturelle. Il faut aussi noter l’intégration du e-sport, le sport électronique, un marché qui explose au niveau mondial. Mais l’Afrique ne représente pas plus de 2% de ce marché-là avec environ 250 millions de gamers (d’après la fédération internationale).
En revanche, il y a un élément qui n’est pas encore exploré et qui pourrait l’être : c’est l’intégration de sports africains, nés en Afrique. On pourrait par exemple avoir la lutte sénégalaise ou le dambe qui est la boxe nigériane. Et, si on pense aux échecs qui figurent à ces Jeux Africains, pourquoi pas l’awélé, qui est un jeu très pratiqué en Afrique ?
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Que représentent les Jeux africains en termes de poids économique et de marketing ?
Il y a quasiment une absence de données publiées sur les éditions précédentes. Ça ne permet pas de voir l’évolution dans la génération de revenus de ces Jeux.
Ce que je remarque aussi, c’est qu’il y a peu de pays qui candidatent à leur organisation. On en est à la 13e édition et quatre pays ont déjà organisé deux fois les Jeux africains : l’Algérie, le Congo-Brazzaville, l’Égypte [Le Caire doit abriter l’édition 2027, NDLR] et le Nigeria. C’est-à-dire que les pays ne se bousculent pas. Et même le Ghana – qui accueille cet événement avec un an de retard, entre autres avec l’impact du Covid –, malgré ce retard, doit réduire la voilure. Certaines disciplines accueilleront moins de participants que prévu […], ce qui crée une grosse déception et une grosse tension entre les différentes fédérations.
Troisième chose, je pense que cet événement aura certainement un impact moindre que les précédentes éditions pour deux raisons : le manque de préparation et le manque d’engouement populaire. Le Ghana est depuis une trentaine d’années un modèle démocratique sur le continent, un des rares qui a eu plusieurs transitions présidentielles sans heurts. C’est aussi un pays qui a crû par ailleurs de manière régulière d’un point de vue économique, un pays qui a un lien particulier avec les États-Unis et qui bénéfice de beaucoup d’investissements. Mais, depuis deux ans, le Ghana vit une crise économique très difficile, notamment avec une inflation de plus de 40%. Cette crise a poussé le Fonds monétaire international (FMI) à débloquer un fonds d’urgence de 3 milliards de dollars. C’est donc un contexte très difficile. […]
Au Ghana, beaucoup de gens se demandent si c’est de l’argent bien investi alors que le pays a tellement de difficultés. Ça, c’est un élément qui pourrait impacter le soutien des Ghanéens à cet événement.
Concernant les sponsors, il n’y a quasiment aucune information publiée. Les sponsors officiels dévoilés sont la compagnie aérienne Africa World Airlines, la société pétrolière Ghana Oil, NHIS qui est l’équivalent de l’assurance maladie. Ce sont toutes des organisations ghanéennes et liées à l’État. La seule société étrangère est Newmont, qui est une société américaine spécialisée dans l’extraction de l’or (une des grosses ressources ghanéennes). […] Et lorsqu’on va sur les sites de ces sponsors, on constate qu’ils ne communiquent pas sur les Jeux, pour promouvoir leur marque, pour créer un lien avec leurs employés et leurs partenaires, pour lancer des initiatives. Vraiment rien ne semble être fait. On se pose donc vraiment la question de la solidité de ces sponsors. Les deux seules organisations que j’ai vu communiquer autour de ces Jeux sont Absa Bank et Mastercard. Deux grandes entreprises qui investissent beaucoup dans l’employabilité en Afrique et qui, là, ont financé une initiative sur l’employabilité par le sport. C’est vraiment très maigre.
Pour moi, la seule lueur d’espoir, c’est cette tendance d’un intérêt croissant des fans sportifs du monde entier vis-à-vis des athlètes africains, comme Francis Ngannou, les footballeurs Mohamed Salah ou Sadio Mané, le basketteur Joël Embiid, ainsi que vis-à-vis des compétitions en Afrique. On a vu l’engouement pour la dernière CAN. Ce sont des éléments positifs qui pourraient donner une chance à cette compétition.
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