Pour Haïti, Vox Sambou convoque les figures de l’histoire – RFI Musique





Vox Sambou, 2024.

© Jean de Peña

Les mots d’espoir que Vox Sambou adresse à ses compatriotes haïtiens à travers son nouvel album We Must Unite ont une résonance particulière au regard de l’actualité. Longtemps au sein du collectif Nomadic Massive, le rappeur installé au Canada a fait escale il y a quelques jours sur le Vieux Continent, à Marseille, dans le cadre du festival Babel Music XP.

Avant même d’ouvrir sa messagerie instantanée sur son smartphone, Vox Sambou sait quelle est la teneur des contenus qu’il a reçus : « J’ai prié pour toi et le groupe » ; « Vous allez faire un très beau show ce soir à Marseille » ; « Merci de m’envoyer un vocal, entendre ta voix me fait tellement de bien ». Où qu’il soit sur la planète, sa mère veille sur lui, même depuis Haïti qui traverse depuis quelques semaines une nouvelle crise majeure et où règne « une violence extraordinaire », selon le chanteur. À distance, mais quasiment en direct, il suit et vit cette situation préoccupante, avec une inquiétude de tous les instants pour la santé et la sécurité de ses proches.

Face au chaos et à l’anarchie qui prévalent sur place, l’appel qu’il avait tenu à lancer il y a onze mois en intitulant son nouvel album We Must Unite (« nous devons nous unir ») reste plus que jamais d’actualité. Pour appuyer un peu plus son propos, en guise d’illustration pour la pochette, il avait choisi un personnage symbolique : Sanite Belair, dans son uniforme militaire et coiffée de son bicorne. « C’est une des héroïnes de la révolution haïtienne, une des femmes qui a vraiment combattu pour sortir le pays du temps de l’esclavage”, explique-t-il afin de présenter cette affranchie engagée dans la lutte contre les Français menée par Toussaint Louverture à la fin du XVIIIe siècle.

Le quadragénaire poursuit la leçon d’histoire en rappelant le caractère mémoriel de la ville dans laquelle il a passé son enfance, Limbé – à laquelle une de ses nouvelles chansons est consacrée : quelques semaines avant l’ultime bataille de novembre 1803 qui allait conduire Haïti à l’indépendance, le général Jean-Jacques Dessalines y avait réuni ses troupes, soit près de 27 000 hommes. « Tout le monde devrait s’y rendre pour visiter », estime-t-il.

L’exil comme révélateur

Installé au Canada depuis près de trois décennies, Vox Sambou (Robints Paul, à l’état civil) s’efforce de retourner régulièrement sur sa terre natale. Ce qu’il y fait en premier lorsqu’il arrive ? « J’enlève mes chaussures ! Je me mets pieds nus, pour être connecté avec la cour où j’ai grandi », répond-il. Le processus de régénération fonctionne à plein. « Même au niveau de l’inspiration pour la musique, j’écris plus vite quand je suis là-bas. »

Dernier d’une fratrie de sept enfants, il raconte qu’avec ses copains, à l’adolescence, il interprétait le répertoire kompa que ses parents écoutaient, mais aussi le rap et le dancehall jamaïcain qui parvenaient jusqu’à leurs oreilles. « Ce n’était pas dans le but d’être musicien »”, assure-t-il.

L’exil en Amérique du Nord change la donne. Le sentiment de solitude le pousse à écrire, pour s’exprimer. Alors qu’il s’apprête à continuer ses études en droit à Ottawa, il assiste en 2003 à l’université Concordia de Montréal à un symposium sur le hip hop. L’événement fait office de point de départ de l’aventure Nomadic Massive, dont les futurs membres se rencontrent à cet instant-là.

« C’est devenu mon école de musique », dit-il au sujet de ce collectif reconnu dans le paysage local et avec lequel il enregistre plusieurs albums à partir de 2005, tout en assumant ses fonctions de directeur d’un centre dont la mission est de « prévenir la délinquance chez les adolescents en détresse ».

Les mots de Cheikh Anta Diop

Parce que « dans un groupe, il faut que tu fasses beaucoup de compromis” et aussi pour satisfaire ses envies de créativité, Vox Sambou démarre en parallèle une carrière solo en 2008 – il a fini par quitter Nomadic Massive, du moins officiellement, neuf ans plus tard.

Après The Brasil Session en 2015, son tropisme pour le Brésil, où il est programmé chaque année dans différents festivals, est à nouveau à l’origine de We Must Unite. DJ Mangaio, chargé de jouer en première partie de son concert, l’a séduit avec son mélange de candomblé, rap et dancehall. Un premier titre a aussitôt vu le jour, et la relation artistique entre les deux hommes s’est prolongée durant la pandémie.


Ses influences viennent aussi du continent africain. « On a beaucoup de rythmes Congo en Haïti », précise-t-il. Par l’intermédiaire de son batteur Lionel Kizaba, originaire de Kinshasa, il a fait enregistrer une guitare congolaise qui renforce le caractère à la fois cosmopolite et cohérent de l’ensemble. Ailleurs, il a glissé un extrait d’un discours de Cheikh Anta Diop. « Quand j’étais à Dakar en 2011 au studio Sankara, Didier Awadi n’arrêtait pas de parler de lui ; il fallait que je le découvre », confie-t-il.

Dans le clip de Right to Live, il en profite pour souligner le lien entre le célèbre historien et homme politique sénégalais et « un de ses mentors », l’Haïtien Antenor Firmin, premier anthropologue noir et coorganisateur en 1900 de la première conférence panafricaine. Son objectif : que ses jeunes compatriotes, qui connaissent tout de leur époque, aient conscience du rôle de ceux qui ont « contribué à [leur] épanouissement » et peuvent légitimement faire figure de modèles. En période troublée, comme celle à laquelle Haïti est à nouveau confrontée, la fierté est un sentiment qu’il n’est pas inutile de cultiver.

Vox Sambou We Must Unite (Les Arts Vox Sambou Inc) 2023
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