Entretien Sceptique sur la réforme de l’assurance chômage annoncée, l’économiste appelle en revanche à « réfléchir à comment améliorer l’efficacité de la dépense publique ».
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Surprise ! Les verdicts de printemps des agences de notation Moody’s et Fitch sur la dette souveraine française sont tombés vendredi et contre toute attente, celles-ci ont décidé de maintenir la même note, malgré l’aggravation des finances publiques plus prononcée que prévue. Pourquoi ce maintien ? La réponse de l’économiste Philippe Aghion, professeur au Collège de France, à l’Insead et à la London School of Economics.
Tout le monde s’attendait à une dégradation de la note de la France, qui n’est pas arrivée. Beaucoup de bruit pour rien ?
Sans doute. La peur de la dégradation reposait sur le fait que nous avons manqué de recettes cette année, notamment parce que l’impôt sur les sociétés n’a pas rapporté autant que prévu [en 2023, les recettes fiscales de l’Etat ont diminué de -7,4 milliards d’euros, principalement à cause de la possibilité d’ajuster à la baisse le cinquième acompte d’impôt, pointe la Cour des comptes, NDLR]. Ce manque à gagner a creusé le déficit, mais c’est conjoncturel. Par ailleurs, les taux d’intérêt et les prix de l’énergie élevés ont certes aggravé la situation, mais à nouveau c’est passager. Après, il y a évidemment le problème de nos déficits structurels, la réforme de l’Etat reste encore à faire.
Cette dégradation pourrait n’être que partie remise puisque la note de l’agence Standard and Poor’s tombera le 31 mai et pourrait être moins clémente… Faut-il s’en inquiéter ?
Je crois qu’il n’y a pas lieu de dramatiser. Sur le fond, la France, malgré son déficit, a réussi jusqu’à présent à conserver une bonne notation parce qu’elle a un très bon système de collecte d’impôts. Si l’Éducation et la Santé marchaient aussi efficacement que la Direction générale des Finances, nous aurions l’Etat le plus efficace du monde ! Rien à voir avec la Grèce par exemple, qui a beaucoup plus de difficulté à collecter l’impôt. Par ailleurs, la croissance devrait repartir l’an prochain parce que les taux d’intérêt vont baisser – l’inflation étant largement maîtrisée – et surtout les fondamentaux de l’économie française sont bons : le marché du travail se porte bien avec un taux d’emploi qui a nettement progressé au cours des dernières années, la France se réindustrialise et elle est devenue véritablement attractive pour les investisseurs étrangers.
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Dégradation ou pas, le déficit est là. Le gouvernement entend renflouer les caisses notamment en s’attaquant à l’assurance chômage. Est-ce la solution ?
Ce n’est pas le conseil que j’aurais donné. Je ne vois pas pourquoi le gouvernement serre la vis sur le chômage en période de croissance faible, alors qu’Elisabeth Borne [la précédente Premier ministre, NDLR] a fait passer une réforme qui déjà durcit les modalités d’indemnisation et surtout rend celle-là contracyclique, c’est-à-dire plus dure en périodes d’expansion qu’en périodes de récession. Et qu’enfin sa réforme n’a pas encore été mise en œuvre.
Surtout, ma conviction est que les efforts et les sacrifices sont toujours mieux acceptés quand ils sont partagés. Le gouvernement aurait pu décider de faire ce qu’on appelle « une année blanche », en renonçant juste pour cette année, à pleinement indexer les points d’indice des fonctionnaires, les retraites, le Smic, etc. Je crois pour ma part en une année blanche modulée, dans laquelle on maintient les indexations pour les personnes les plus modestes, ce qui permettrait déjà d’économiser plus de 15 milliards d’euros.
Le gouvernement ne veut pas entendre parler d’augmentation des impôts. Qu’en pensez-vous ?
Je crois fermement dans les vertus d’une fiscalité progressive et redistributive. Mais la France est un pays où la fiscalité est déjà fortement redistributive. Augmenter encore les impôts risque de réduire les revenus fiscaux en décourageant l’investissement et l’épargne. C’est le « trop d’impôt tue l’impôt ». Des études récentes ont montré qu’en France il n’y a pas eu d’augmentation notable des inégalités après impôt depuis dix ans.
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Cela étant dit, il y a sans doute des niches fiscales qui peuvent être supprimées sans grand dommage pour l’économie, mais cela devra faire l’objet d’une réflexion d’ensemble à plus long terme. De même qu’il nous faudra réfléchir à comment améliorer l’efficacité de la dépense publique. D’autres pays font mieux que nous en dépensant moins, comme la Belgique sur la santé ou, pendant longtemps, la Finlande sur l’éducation. Au total, une bonne maîtrise de nos dépenses publiques récurrentes – retraites, administrations publiques… – nous permettra de dégager des marges de crédibilité supplémentaires pour investir davantage dans l’éducation, la recherche, l’intelligence artificielle, et la transition écologique, avec l’objectif d’une croissance plus verte et plus inclusive.
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