Pourparlers de Luanda sur le conflit à l’est de la RD Congo : Que peut-on attendre des négociations ?
Crédit photo, Getty Images
- Author, Pamela Amunazo & Chérif Ousman MBARDOUNKA
- Role, BBC Afrique
La république d’Angola qui assure la médiation dans le conflit qui oppose la République démocratique du Congo aux rebelles du M23/AFC soutenu par le Rwanda, a annoncé, le début de « négociations de paix directes » entre les partis au conflits.
Ces pourparlers de paix doivent se tenir le 18 mars, précise un deuxième communiqué.
Une annonce qui a suscité beaucoup de débats non seulement dans la classe politique congolaise mais aussi au sein de la population.
Dans les rues de Kinshasa, les kinois estiment qu’une participation à ces négociations seraient un « revirement de la position du président Tshisekedi ».
Le président congolais a jusqu’ici opposé un refus répété à toute discussion directe avec le M23, qu’il qualifie régulièrement de « groupe terroriste ».
Si la majorité des personnes rencontrées par la BBC sont contre toute forme de négociation avec le M23, d’autres souhaitent que cette rencontre soit médiatisée afin que le monde sache ce que veut réellement le M23. Le groupe a longtemps proclamé « lutter contre la mal gouvernance de Kinshasa ».
Participation de Kinshasa…

Crédit photo, Getty Images
Une délégation de la République démocratique du Congo (RDC) sera bel et bien mardi à Luanda.
L’annonce a été faite dimanche par la présidence congolaise. Elle ne s’est toutefois pas engagée à entamer des négociations directes avec le groupe armé M23.
« Une délégation de la RDC se rendra mardi à Luanda à l’invitation du médiateur pour aller écouter ce qu’il a à nous dire », a précisé à l’AFP Tina Salama, la porte-parole du président de la RDC Félix Tshisekedi.
Aucun détail sur la composition de cette délégation congolaise n’a été communiqué.
A la suite de la communication de l’Angola, Tina Salama avait déjà pris acte de l’initiative et disais attendre « la mise en œuvre de cette démarche de la médiation angolaise » tout en rappelant les précédants cadres de dialogues. « Nous rappelons par ailleurs qu’il existe un cadre pré-établi qui est le processus de Nairobi et nous réaffirmons notre attachement à la Résolution 2773 », explique la porte-parole du président de la RDC.
Dans la même logique, le président de la RDC avait salué l’initiative du Président angolais Joâo Lourenço qui avait convoqué le 11 mars dernier à Luanda une réunion pour accélérer la relance des Processus de Luanda et de Nairobi.
« Cette démarche qu’il assume pleinement et avec détermination témoigne de la volonté de l’Angola d’accompagner notre région vers une sortie de crise. Il est crucial que les décisions prises à cette occasion se traduisent rapidement en actions concrètes sur le terrain », a déclaré le Président de la RDC.
Pour Kinshasa, il y aura réellement négociation mais dans un cadre bien défini et connu de tous.
La médiation angolaise s’est-elle trompée en parlant de « négociations directes », les interrogations demeurent face rencontre qui se veut salutaire pour tous, selon le président angolais.
La réaction du M23 ne s’est pas fait attendre….
Le mouvement rebelle qui, dans un communiqué, a salué l’initiative angolaise, a cependant émis certaines conditions avant toute négociation avec Kinshasa.
Le M23 veut un engagement clair et public du président Félix Tshisekedi en faveur du dialogue. Le M23 demande, ainsi à la médiation angolaise d’obtenir des réponses claires sur trois points essentiels pour lui à savoir :
- Un engagement public et sans ambiguïté de Félix Tshisekedi en faveur de négociations directes avec le M23.
- Une clarification officielle des termes de référence de la médiation angolaise, étant donné que l’AFC/M23 n’a, jusqu’à présent, reçu aucune communication formelle à ce sujet.
- Des précisions sur la mise en œuvre des résolutions du sommet conjoint des chefs d’État de l’EAC et de la SADC, tenu à Dar es Salam le 8 février 2025.
En outre, le M23, qui avait plus tôt « accusé réception » de l’invitation de la médiation angolaise « au dialogue direct », a affirmé dimanche que le gouvernement de la RDC cherchait à « torpiller » ces discussions en menant des bombardements aériens dans l’est du pays.
Le président angolais Joao Lourenço, médiateur désigné par l’Union africaine dans ce conflit, avait appelé samedi à un cessez-le-feu dès dimanche 00H00, un appel auquel aucun des belligérants n’a répondu.
Ce cessez-le-feu a pour objectif de conduire « à la création d’un climat de détente pour favoriser le début des pourparlers de paix », indique la présidence angolaise.
A quoi pourrait-on s’attendre ?
La BBC s’est entretenue sur le sujet avec Christian Moleka, analyste politique congolais. Pour lui, la dynamique actuelle que ce soit au niveau régional ou au niveau international, c’est de pousser Kinshasa à trouver des solutions, à négocier, donc des pourparlers directs avec les parties prenantes y compris le M23.
« On peut supposer qu’il y a une forme de pression sur le gouvernement pour aller à la table des négociations. D’ailleurs le fait que ce soit l’Angola qui ait annoncé en premier les pourparlers montre qu’il y a une volonté de pousser Kinshasa à négocier », estime Christian Moleka.
Pour le moment, il y a encore des réticences du gouvernement ou une forme d’ambiguïté dans sa communication. Il y aura peut-être des prétextes pour ne pas aller directement en négociation.
« Mais la dynamique aujourd’hui c’est que Kinshasa doit aller vers des négociations malgré les tergiversations. Je crois qu’aujourd’hui c’est presque irréversible. Nous irons vers des négociations, peut-être pas dans le timing voulu, peut-être pas dans les formats tels que présentés aujourd’hui mais nous irons vers ces négociations » , a précisé le politologue congolais.
Pour Christian Moleka, le président avait déjà dit qu’il y avait une forme de ligne rouge, et donc ce changement narratif se construit avec une forme d’ambiguïté.
L’analyste congolais pense que le médiateur devrait tenter de concilier les différentes prises de positions pour essayer d’influencer les négociations. Chacun tente de se positionner pour ne pas perdre la face vis-à-vis de l’opinion notamment Kinshasa, qui a intérêt à gagner du temps. « La dynamique sur le terrain après les défaites de Goma et de Bukavu ont montré les limites de la réponse sécuritaire du gouvernement congolais et donc Kinshasa a besoin de temps pour coordonner une contre-offensive », conclut le politologue.
Le soutien du clergé au processus

Crédit photo, Getty Images
Les Églises catholique et protestante de la République démocratique du Congo ont accueilli favorablement l’annonce du gouvernement angolais d’entamer des négociations directes entre les parties prenantes au conflit à l’Est de la RDC.
Elles estiment que ce dialogue direct entre Kinshasa et l’AFC/M23 constitue « un prélude au dialogue global et inclusif devant forger un consensus national sur le processus accéléré de pacification et de redressement intégral » de la RDC.
Depuis plus d’un mois, elles mènent des consultations en RDC et à l’étranger dans le cadre de leur programme intitulé « Pacte Social pour la Paix et le Bien-Vivre Ensemble en République Démocratique du Congo et dans les Grands Lacs ». Une initiative visant à favoriser le retour de la paix dans l’est du pays.
Dans leur déclaration, la CENCO et l’ECC exhortent toutes les parties impliquées à négocier « sincèrement » afin de mettre un terme aux souffrances des populations meurtries par les violences incessantes dans la région.
« Nous invitons les acteurs concernés à saisir la main tendue du Président João Manuel Gonçalves Lourenço, à s’investir sincèrement dans ce processus de négociations de paix, dans un esprit constructif, et à réunir urgemment les conditions du cessez-le-feu immédiat », ont-elles souligné dans leur communiqué.
En analysant la crise sécuritaire actuelle de la RDC, Christian Moleka pense que le gouvernement congolais n’est pas en position de force pour imposer son diktat.
Il a cependant ajouté qu’il était même intéressant de relever que la rencontre du président congolais avec le président angolais s’est réalisée pratiquement quelque temps après le passage des évêques à Luanda.
« S’il n’y a pas de lien, on peut supposer que le travail de lobbying mené par les prélats notamment auprès du président angolais a peut-être participé à renforcer le déclic de dialoguer et d’ailleurs le communiqué que les églises catholiques et protestantes ont publié conforte ce soutien à ce processus de dialogue et témoigne d’un travail de bons offices probablement qui s’est mené pour pousser Kinshasa à aller à Luanda », a-t-il souligné.
En attendant, sur terrain, le M23 continue à conquérir des territoires dans le nord et le Sud-Kivu.
Crédit: Lien source