pourquoi plonger ou non avant les JO de Paris est devenu un enjeu politique

Pour célébrer le travail sur la qualité des eaux du fleuve, l’entourage de la maire promet un moment « festif », davantage que le plongeon en combinaison de la ministre des Sports samedi. D’autres préfèrent rester au sec, et questionnent le sérieux de cette communication.

Cette fois, promis juré, c’est la bonne. Après plusieurs reports pour cause de météo capricieuse et de débit trop élevé du fleuve, puis de dissolution de l’Assemblée nationale, Anne Hidalgo va se baigner dans la Seine, mercredi 17 juillet. Pour ne rien rater du plongeon de la maire de Paris, il faut se positionner à partir de 9h15 du côté du pont Marie, non loin de l’Hôtel de Ville. Ou compter sur les nombreuses caméras de télévision qui tenteront d’immortaliser l’événement.

A quelques jours de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, le 26 juillet, et des épreuves de triathlon et de natation en eau libre, la maire de Paris est en passe d’honorer un engagement pris il y a plusieurs mois. « Tout le monde affirmait que c’était impossible, nous l’avons fait. (…) Nous nous baignerons dans la Seine », déclarait-elle lors de ses vœux, en janvier. En début de semaine, la future nageuse avait le sourire aux lèvres : « Cela va être un moment joyeux, festif, collectif. Il va y avoir beaucoup de joie et on va essayer de faire de jolis plongeons ». 

Et pour rendre ce moment « joyeux, festif, collectif », l’élue socialiste n’a pas lésiné sur les invitations. Plusieurs personnalités ont accepté de l’accompagner dans l’eau : son adjoint aux Sports, Pierre Rabadan ; le patron de l’organisation de ces Jeux, Tony Estanguet ; le préfet de la région Ile-de-France, Marc Guillaume… On évoque aussi la présence de personnalités du monde du sport et de la culture. « On veut que la photo soit la plus belle possible », projette son entourage.

Anne Hidalgo, « plutôt bonne nageuse », s’est entraînée dans une piscine. Chlorée, donc. Elle ne portera pas de combinaison, contrairement à la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, qui est allée dans l’eau, samedi matin, « protégée de la tête aux pieds », à l’image des triathlètes habitués à nager dans des plans d’eau frisquets. « On veut montrer la baignabilité de la Seine, c’est ça le message, insiste l’entourage de la maire de Paris. On veut convaincre le public que l’eau est propre. » 

« Le public a vu une ministre qui se met à l’eau seule, un samedi matin. Nous, ce n’est pas juste un plouf, c’est une baignade collective autour de la maire de Paris. Ça n’a rien à voir. »

L’entourage d’Anne Hidalgo

à franceinfo

Plus qu’un enjeu de communication, ce « plouf » dans le fleuve parisien est devenu un acte politique. « Il y a du Jacques Chirac derrière cette séquence », rappelle Jean-François Lamour, qui fut ministre des Sports lors de son second mandat, de 2002 à 2007. « C’est lui qui a fait cette promesse en premier [alors qu’il était maire de Paris]. On en parlait régulièrement d’ailleurs. Quarante ans après, je trouve absolument louable cette volonté de rendre le fleuve baignable. Mais il ne faut pas que ce soit un coup, il faudra conserver cette qualité après les Jeux pour que tout le monde en profite. » L’histoire retiendra que Jacques Chirac ne s’est jamais baigné dans la Seine, comme il l’avait promis en 1988.

Amélie Oudéa-Castéra a donc « goûté » la Seine en premier. Mais au ministère des Sports, on se défend d’avoir voulu griller la politesse à quiconque : « La ministre était aux côtés d’Alexis Hanquinquant, qui fêtait son élection en tant que porte-drapeau tricolore pour les Jeux. Il avait promis de se baigner s’il était élu, elle était fière de relever ce défi avec lui le jour où les porte-drapeaux étaient réunis pour la première fois. »

« On n’est pas là pour compter les points de qui le fait quand, et avec qui. L’objectif était de rappeler que l’Etat s’était engagé à rendre la Seine baignable, qu’il a beaucoup investi et que la promesse est tenue. »

L’entourage de la ministre des Sports

à franceinfo

Preuve de l’importance du dossier, l’entourage de la ministre des Sports confirme que « des échanges ont eu lieu avec le cabinet de l’Elysée en amont de cette séquence, qui s’est organisée en lien avec la préfecture de région ».

Le président lui-même s’est engagé à se jeter à l’eau. « Et comment… Oui, j’irai », avait lâché Emmanuel Macron en marge de l’inauguration du village olympique, fin février. « Je ne vais pas vous donner la date, vous risqueriez d’être là. » Quatre mois plus tard, la promesse présidentielle est toujours dans les tuyaux. « Il le fera », confirme son entourage à franceinfo. Mais toujours sans donner de date précise.

Mais face à cette mise en scène, des dents grincent. Certains regrettent « un cinéma permanent ». D’autres estiment que cette séquence « bras de fer dans la Seine » a trop duré. « Que la maire se baigne et on passe à autre chose », persifle un élu d’opposition. Mi-juin, sur Sud Radio, Rachida Dati, rivale d’Anne Hidalgo dans la capitale, ironisait : « Elle a dit : ‘Ce que n’a pas fait Jacques Chirac, je vais le faire’. Bah, vas-y ! » Manifestement sceptique sur la réussite de l’opération dépollution, elle écartait l’idée de se mouiller : « Moi, non. L’eau n’est pas mon élément, d’une manière générale. Et me baigner dans la Seine, non ».

Des hauts fonctionnaires sollicités par franceinfo s’interrogent aussi tout bas : « Est-ce vraiment la place d’un préfet de la République de se mettre en scène dans l’eau ? » Jean-Jacques Brot, qui occupait cette fonction dans les Yvelines jusqu’en mars dernier, ne partage pas cet avis : « Si j’avais encore été en poste, j’y serais aussi allé !, jure-t-il. Cette baignade, il faut la voir comme une célébration d’un travail administratif fastidieux, coûteux, qui a porté ses fruits. Il faut la voir comme l’accomplissement des travaux, souvent lourds, entamés il y a des années, réalisés par les ingénieurs, par les équipes. Ce n’est pas que Paris, ce sont aussi les départements aux alentours. »

Au conseil régional d’Ile-de-France, qui finance pourtant les Jeux à hauteur de plus de 500 millions d’euros, personne n’a proposé à Valérie Pécresse de se jeter à l’eau. En tout cas, officiellement. « La présidente fait de la politique sérieusement », défend Patrick Karam, son vice-président chargé des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques. « Ce n’est pas son truc. La ministre des Sports et la maire de Paris s’étaient engagées à le faire, elles le font. Très bien. Mais bon, j’ai été moi-même champion de natation de Guadeloupe. Pour autant, est-ce que je vais me baigner dans la Seine ? Non ! »

« A l’époque des vaccins contre le Covid-19, les politiques se faisaient vacciner. Là, ils se baignent dans la Seine. »

Patrick Karam, vice-président de la région Ile-de-France

à franceinfo

Patrick Karam raconte à franceinfo avoir félicité la ministre des Sports, samedi, après sa baignade. « Je m’incline devant l’artiste. Tu as réussi à damer le pion au PR [président de la République] et à la maire de Paris », assure-t-il avoir écrit par SMS. « Elle m’a répondu : ‘Patrick, c’est carpe diem. Agir tant qu’on est là.' »


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