Présidentielle 2025 | Alain Claude Bilié bi Nzé : Le projet politique

Photo : Gabon – Alain Claude Bilié Bi Nzé, ancien 1er ministre, candidat indépendant à l’élection présidentielle du 12 avril 2025 © Photo : Gabon – Alain Claude Bilié Bi Nzé, ancien 1er ministre, candidat indépendant à l’élection présidentielle du 12 avril 2025

Dans un Gabon en quête de nouveaux repères après la chute du régime des Bongo, Alain Claude Bilié Bi Nzé incarne à lui seul les paradoxes d’une classe politique tiraillée entre son passé et ses aspirations à un renouveau. Ancien Premier ministre sous Ali Bongo Ondimba et candidat indépendant à l’élection présidentielle de 2025, cet homme, autrefois pilier du système qu’il défendait avec ferveur, tente aujourd’hui une mue audacieuse. Mais peut-il vraiment incarner le changement qu’il prône, ou n’est-il que le produit d’un système profondément enraciné ?

Un parcours au service d’un régime disparu

Né en 1967 à Makokou, Alain Claude Bilié Bi Nzé a construit sa carrière dans l’ombre des « Bongo », ces figures tutélaires qui ont dominé le paysage politique gabonais pendant près de cinq décennies. Licencié en droit, il débute comme directeur de communication à la mairie de Libreville, un poste modeste, mais stratégique qui lui permet de se faufiler dans les rouages du pouvoir. Sa première nomination ministérielle en 2006 marque le début d’une ascension fulgurante, marquée par une capacité étonnante à s’adapter aux besoins changeants du régime.

Surnommé le « ministre caméléon », il ne cumulera pas moins de treize portefeuilles ministériels en deux décennies, naviguant avec aisance entre des secteurs aussi variés que la communication, les transports, les sports, les affaires étrangères, ou encore l’énergie. Cette polyvalence apparente cache en réalité une stratégie bien rodée : être là où le pouvoir a besoin de lui, peu importe le domaine. Une loyauté sans faille qui lui vaudra de devenir le dernier Premier ministre d’Ali Bongo en janvier 2023, quelques mois avant le coup d’État militaire qui mettra fin à l’ère des « Bongo ».

Les limites d’un bilan en trompe-l’œil

Son passage à la primature, bien que bref (janvier-août 2023), illustre les contradictions de son action politique. Il multiplie les annonces sur des projets structurants, comme le Programme Intégré d’Alimentation en Eau Potable et Assainissement de Libreville (PIAEPAL) ou des mesures contre la vie chère, mais ces initiatives peinent à convaincre une population lasse des promesses non tenues. Le PIAEPAL, présenté comme une réalisation majeure, n’était en réalité qu’un projet recyclé, financé depuis 2018 par la Banque africaine de développement, et dont les résultats restaient invisibles pour les habitants de Libreville confrontés quotidiennement aux coupures d’eau.

Quant aux assises sur la vie chère, elles apparaissent davantage comme une opération de communication que comme un cadre pour des réformes structurelles. La principale mission de Bilié Bi Nzé en tant que Premier ministre était, en réalité, de préparer les élections générales d’août 2023, censées reconduire Ali Bongo pour un troisième mandat. Mais ces élections, organisées dans des conditions chaotiques et sans observateurs internationaux crédibles, précipiteront la chute du régime qu’il servait depuis près de vingt ans.

Une conversion politique opportuniste ?

Depuis le coup d’État du 30 août 2023, Alain Claude Bilié Bi Nzé a choisi une posture d’opposant au régime militaire dirigé par le général Brice Oligui Nguema. Contrairement à d’autres figures du régime déchu, qui ont rejoint les nouvelles structures de pouvoir, il se positionne comme un critique acerbe du système post-Bongo, accusant le régime militaire de « perpétuer les erreurs du passé ». En annonçant sa candidature à l’élection présidentielle de 2025, il présente un programme ambitieux baptisé Contrat National de Rupture et de Redressement (CN2R), axé sur des réformes institutionnelles majeures : suppression du Sénat et du Conseil économique et social, réduction de la dépendance aux ressources naturelles et transparence accrue.

Mais cette conversion aux valeurs de bonne gouvernance interroge. Comment un homme qui a justifié avec éloquence les pratiques autoritaires d’un régime peut-il aujourd’hui prôner une rupture avec ces mêmes pratiques ? Comment gagner la confiance d’un électorat qui vous associe à des décennies de prédation et d’injustice sociale ? Pour beaucoup, cette mue politique semble plus opportuniste que sincère. « Bilié Bi Nzé incarne cette élite politique qui pense que le peuple n’a pas de mémoire », souligne un analyste politique de Libreville sous couvert d’anonymat.

Un avenir incertain dans un Gabon en Transition

À 57 ans, Alain Claude Bilié Bi Nzé tente une réinvention politique dont l’issue reste incertaine. Entre un passé qui le discrédite et un présent qui le marginalise, son avenir dépendra de sa capacité à convaincre une population méfiante et fatiguée des mêmes visages qui incarnent un système corrompu. Son principal adversaire, Brice Oligui Nguema, issu lui aussi de l’ordre ancien, symbolise le défi existentiel auquel fait face toute une génération de dirigeants gabonais : réussir leur reconversion dans un Gabon post-dynastique.

Le parcours d’Alain Claude Bilié Bi Nzé est à la fois emblématique et symptomatique des défis qui attendent le Gabon. Un pays où les retournements d’alliance et les revirements politiques sont monnaie courante, mais où la mémoire collective peine à effacer des décennies de souffrances et d’injustices. Dans ce contexte, son programme ambitieux pourrait n’être qu’un mirage si son auteur ne parvient pas à transcender les contradictions de son propre parcours.

Comme le disait Machiavel, « dans l’art de la politique, il n’est pas toujours celui qui domine le jeu, mais plutôt celui qui sait s’adapter aux mutations du pouvoir ».

Reste à savoir si Alain Claude Bilié Bi Nzé possède véritablement cette capacité d’adaptation, ou s’il n’est qu’un acteur supplémentaire dans une pièce déjà jouée.

Par Anne-Marie DWORACZEK-BENDOME | Journaliste indépendante | 07 avril 2025

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