- Author, Armand Mouko Boudombo
- Role, Journaliste -BBC Afrique
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- Reporting from Dakar
Les députés camerounais ont adopté mardi, un projet de loi prorogeant d’un an leur mandat. L’acte reporte d’office les élections législatives prévues début 2025, et aura des répercussions sur la liste de départ pour la présidentielle de la même année.
C’est un projet de loi déposé samedi 6 juillet par le gouvernement qui a lancé le processus de cette prorogation, adoptée « après de longues heures de discussion » par les parlementaires camerounais, a confirmé mardi, Cameroon Tribune, le quotidien à capitaux publics, sur sa page Facebook.
Dans l’exposé des motifs du texte déposé samedi devant les députés, et qui a été défendu par le ministre des Relations avec les Assemblées, François Bolvine Wakata, les autorités justifient « ce décalage » par « la nécessité d’alléger le calendrier électoral qui prévoit quatre (04) élections au cours de l’année 2025 à savoir : l’élection des Députés à l’Assemblée nationale et des Conseillers Municipaux, ainsi que l’élection du président de la République et des Conseillers Régionaux ».
À cet égard, poursuit l’exposé des motifs, « en dehors de l’élection des Conseillers régionaux, les autres élections qui sont des scrutins directs, nécessitent un déploiement aussi bien humain que matériel et financier important ».
Le texte final adopté repositionne donc les prochaines élections et par conséquent, proroge d’un an le mandat des députés du 10 mars 2025 au 30 mars 2026.
Ce n’est pas la première fois que Yaoundé reporte les élections législatives et municipales. Cela était déjà le cas en 2012, lorsque les autorités avaient évoqué la nécessité pour Elecam, l’organe chargé de l’organisation et de gestion du processus électoral qui venait d’être mis sur pied de bien prendre ses marques.
Puis en 2018, les autorités avaient évoqué les mêmes raisons financières pour décaler les scrutins législatifs et municipaux de 15 mois.
Pour le moment, il n’est pas clair si le mandat des conseillers municipaux sera également prorogé, malgré le léger sous-entendu contenu dans l’exposé des motifs du projet de loi adopté mardi à l’Assemblée nationale.
Mais, il n’y a pas grand doute sur cette éventualité, dans la mesure où en 2018 et en 2013, le président Biya avait pris un décret pour acter la prorogation du mandat des conseillers municipaux.
L’opposition parmi les dégâts collatéraux ?
Si les précédentes prorogations des mandats de ces élus locaux n’ont pas eu un véritable impact sur des acteurs politiques de premier plan, il est clair qu’au moins un acteur majeur de la scène politique sera impacté, et le report pourrait lui coûter son droit de participer à cette élection.
Il s’agit de l’opposant Maurice Kamto, arrivé deuxième lors de la présidentielle de 2018, avec officiellement 14,23 % des voix, derrière le président Biya dont il a bruyamment contesté la réélection.
M. Kamto a, avec son parti le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun, MRC, boycotté les législatives de 2020, dénonçant « des fraudes lors des précédentes élections de 2013 » et exigé au préalable la résolution de la crise sanglante qui sévit dans les régions anglophones du pays depuis 2016.
Le président du MRC n’a pas directement réagi à nos sollicitations après l’adoption de la nouvelle loi qui, du point de vue du code électoral l’écarte de la prochaine présidentielle.
La loi électorale camerounaise exige en effet des potentiels candidats d’être investi par un parti ayant au moins un élu sur l’ensemble du territoire, ou d’obtenir 300 signatures d’élus locaux et chefs traditionnels à travers le pays. Un deuxième verrou qu’aucun homme politique n’a jamais réussi à franchir au Cameroun.
Mais, ces derniers mois, l’homme politique qui réclame toujours la victoire à la dernière présidentielle a exigé le respect du calendrier électoral.
« Le MRC exige le respect du calendrier électoral, pour la tenue des législatives et municipales en 2025 », a déclaré Maurice Kamto fin juillet 2023.
Il y a quelques jours, le ministre de l’Administration territoriale qui gère l’activité des partis politiques au Cameroun n’a pas exclu la tenue d’une présidentielle dans le pays, sans le principal opposant à Paul Biya.
« On a donné une chance au mandataire du MRC de rentrer dans le jeu républicain… Il a déclaré qu’il va boycotter une élection et cela a des conséquences sur toute la chaîne jusqu’à l’élection présidentielle ».
Loi décriée par l’opposition
La classe politique semble unanime sur la condamnation. Le député Jean-Michel Nintcheu député à l’Assemblée nationale élu sous la bannière du Social Democratic Front, qui soutient Maurice Kamto, dans le cadre d’une coalition dénommée Alliance politique pour le changement (APC), qualifie la prorogation de « grossière et pathétique manipulation politicienne.»
Pour Adamou Koupit, député de l’Union Démocratique du Cameroun, UDC, un parti qui s’est toujours présenté à la présidentielle depuis 1992, cette prorogation n’est pas justifiée « les textes disent que le mandat peut être prorogé si le pays fait face à une crise grave, nous savons tous qu’il n’y a pas de crise dans le pays », lance le député.
Sa collègue du Parti Camerounais pour la Réconciliation Nationale avait déjà annoncé quelques jours avant qu’elle voterait contre le projet de loi. Les autorités n’ont pas publié les résultats du vote de ce projet de loi, dans une assemblée dominée par les députés du parti au pouvoir.
Le président de ce parti, Cabral Libii, également député, contacté par la BBC, se dit déçu. « Nous avons voté contre, mais nous sommes minoritaires », a-t-il confié, ajoutant que ce report donne « l’impression d’une impréparation de la part du gouvernement ».
Membre de la commission des Lois constitutionnelles, Cabral Libii, confie que son parti préparait déjà les candidatures, dans l’attente d’une éventuelle convocation en novembre prochain, du corps électoral pour les législatives et municipales.
Pour lui, ce report du mandat des députés et probablement des conseillers municipaux aura aussi pour conséquence, une élection des conseillers régionaux par des conseillers municipaux illégaux. « On l’avait déjà fait en 2020, pourquoi continue-t-on à le faire ? », s’interroge le candidat arrivé troisième lors de la dernière présidentielle.
Paul Biya candidat sans véritable adversaire ?
Pour le moment, Paul Biya, 91 ans, dont 42 au pouvoir n’a pas encore dit s’il est candidat à la présidentielle d’Octobre 2025.
« Ce sera su, lorsque ce mandat arrivera à expiration, vous serez informés sur le point de savoir si je suis candidat, ou si je rentre au village », avait lancé de manière ironique le dirigeant camerounais, lors d’une visite de son homologue français, Emmanuel Macron à Yaoundé.
Mais à l’heure qu’il est, il y a très peu de place pour le doute. Les textes de son parti sont clairs, « le président du parti est le candidat naturel lors de l’élection présidentielle ».
Et c’est Paul Biya le président du parti, élu lors du dernier congrès du parti tenu en 2011, à la veille de la présidentielle. Il s’est présenté en 2018 à ce titre. Malgré des appels internes pour la tenue d’un nouveau congrès, celui-ci n’a plus jamais été organisé.
À défaut d’un tel congrès qui redistribue les cartes au sein du parti, celui qu’on appelle le Sphinx est le seul à concourir pour le compte du parti.
La question actuelle, c’est : qui sera face à lui ? D’un côté, Maurice Kamto, ancien ministre délégué à la justice, devenu farouche opposant au régime de Yaoundé, arrivé officiellement deuxième lors de la dernière présidentielle est en ballotage défavorable.
Son boycott des dernières législatives pourrait lui être fatal. À l’heure qu’il est, il ne lui reste que la carte d’une alliance avec un parti ayant des élus, soit à l’Assemblée nationale, soit dans un Conseil municipal, l’option des parrainages n’ayant jamais donné lieu à une candidature dans le pays.
Des cas de candidats adoptés par d’autres partis politiques existent au Cameroun. Le cas du Pasteur Franklin Ndifor, l’un des candidats malheureux à la dernière présidentielle peut l’attester. Cabral Libii en est également une illustration. Officiellement sans parti politique et il a concouru en 2018, sous la bannière du Parti Univers, de l’universitaire Prospère Nkou Mvondo, d’avec qui il a divorcé quelques mois après Présidentielle.
Devenu député, Cabral Libii, candidat arrivé troisième risque également gros à quinze mois de la présidentielle. Il n’a jamais réussi à avoir l’agrément du gouvernement pour la création de sa formation politique.
L’opposant a dû se rabattre sur une alliance avec le Parti Camerounais pour la Réconciliation Nationale, dont il est devenu président National en novembre 2019, et dont il a conduit les listes aux législatives de 2020.
Depuis l’année dernière, le président-fondateur du parti, Robert Kona, un ancien fonctionnaire à la retraite lui conteste la présidence du parti, et a porté l’affaire devant les tribunaux, pour annuler le congrès ayant porté Cabral Libii au poste de président national.
L’ancien fonctionnaire a récemment appelé à une candidature de Paul Biya. Il a, dans une lettre signée en mars dernier, annoncé l’exclusion de Cabral Libii et 23 autres membres de cette formation politique, quelques jours après un acte similaire à son encontre, pris par le bureau politique du parti.
L’affaire est pendante devant la justice, et Cabral Libii dit avoir confiance en la justice dont confie-t-il, le procureur du tribunal de Kaélé où l’affaire a été enrôlée, a requis que le président-fondateur soit débouté, lors d’une récente audience.
Interdiction des alliances de l’opposition
À l’approche de la présidentielle, l’opposition camerounaise tente de s’organiser en coalition, pour affronter le président sortant.
Deux d’entre elles émergent : l’Alliance politique pour le changement, APC, dirigée par le député Jean-Michel Nintcheu et dont fait partie l’opposant Maurice Kamto, et l’Alliance politique pour la transition APT, dirigée par l’universitaire et homme politique Olivier Bile, soutenu par le député Cabral Libii.
Les deux coalitions proposent « une transition pacifique », si l’un des candidats est élu à la prochaine présidentielle. Mais, dans une sortie médiatique en mars, le ministre de la communication et porte-parole du gouvernement a déclaré que le pays n’avait pas besoin d’une transition.
Quelques jours plus tard, c’était au ministre de l’administration territoriale, Paul Atanga Nji, d’interdire lesdites coalitions, les qualifiant d’ « illégales », et de » mouvements clandestins ».
Ce que l’ONG de défense de droit de l’homme a qualifié de répression. « La mesure prise par le gouvernement contre ces coalitions montre comment les autorités camerounaises agissent pour fermer l’espace à l’opposition et au débat public à l’approche des élections présidentielles de 2025 », a déclaré Carine Kaneza Nantulya, directrice adjointe de la division Afrique à Human Rights Watch dans un communiqué.
Selon l’analyste politique Aristide Mono, « le ministre de l’administration territoriale dans ce dossier a outrepassé largement le périmètre de ses compétences tout en étalant à la fois l’ignorance totale des lois et des pratiques qui gouvernent le jeu politique au Cameroun ».
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