Quand l’Organisation internationale de la francophonie perd pied en Afrique de l’Ouest


Le calendrier ne devait rien au hasard. Alors que la semaine de la francophonie démarrait à peine, le Niger, le Burkina Faso ainsi que le Mali ont à tour de rôle annoncé leur retrait de l’organisation internationale du même nom (Organisation internationale de la francophonie, OIF). En rendant publique leur décision les 17 et 18 mars 2025, les trois nations – unies depuis juillet 2024 sous la bannière de l’Alliance des États du Sahel (AES) – n’ont fait que poursuivre leurs précédentes vitupérations. Pour rappel, le retrait progressif de ces mêmes régimes militaires de transition avait conduit à la dissolution pure et simple de la force armée conjointe G5 Sahel en 2023.

Autre rupture unanime avec la Cedeao, qui, en dépit des nombreuses négociations et autres sommets de la dernière chance, aura été définitivement consommée fin janvier 2025. S’agissant de l’OIF, ces déclarations quasi simultanées s’inscrivent donc dans la droite ligne de la dénonciation de l’influence étrangère – notamment française – sur fond de souverainisme. Mais le parti pris des trois États sahéliens a également ravivé de vifs débats qui secouent les fondements mêmes de l’organisation.

Un tournant politique

Interrogé sur le sujet, Seidik Abba, chercheur associé et président du Centre international de réflexions et d’études sur le Sahel (Cires), attribue les critiques croissantes au changement de cap de l’organisation. « L’image de l’OIF s’est dégradée à mesure que son mandat initial a glissé d’une coopération culturelle et technique vers quelque chose de plus politique. » L’écrivain et chercheur fait ici référence à la Déclaration de Bamako adoptée en 2000. Le texte, devenu central, avait réorienté la francophonie vers des objectifs dits « de bonne gouvernance », prévoyant notamment des missions d’observation électorale.

« L’ajout de cette dimension a eu pour effet de négliger ce que l’OIF sait faire de mieux ; c’est-à-dire la coopération universitaire et d’éducation », poursuit M. Abba. Outre les laboratoires de recherches, les systèmes de bourse ou d’échange, l’organisation a su développer de prestigieuses institutions. En témoigne l’université Senghor, qui depuis Alexandrie, en Égypte, réunit d’éminents professeurs pour former des cadres africains aux enjeux de développement durable.

« Deux poids, deux mesures »

Quant au retrait des États de l’AES, le sentiment de « deux poids, deux mesures » semble aussi avoir joué un rôle déterminant. En effet, le coup d’État survenu au Gabon en 2023 n’avait pas débouché sur une suspension du pays de l’OIF. Sentiment similaire à l’égard de la Guinée de Mamadi Doumbouya, dont la suspension a été levée en septembre dernier, là où le statut du Burkina Faso, du Mali et du Niger est resté inchangé. « La réintégration de la Guinée a été, à juste titre, mal perçue par les pays de l’AES. Il n’y a eu aucun progrès en matière de démocratie dans ce pays », répond, catégorique, Seidik Abba.

Ileana Santos formule un reproche similaire. La fondatrice de l’incubateur de politiques publiques Je m’engage pour l’Afrique blâme l’agenda de Paris : « La France doit-elle vraiment distribuer des points de bonne gouvernance ? On a plutôt besoin d’actions. » Celle qui signait une tribune évoquant « l’obsolescence » de l’OIF à la veille du sommet de Villers-Cotterêts, mise désormais sur une francophonie portée par des opérateurs plus modestes. « Je crois beaucoup à la force des coalitions dans l’espace francophone », détaille l’intéressée, citant le succès de l’Alliance des patronats francophones portée depuis une décennie par le Medef. La prochaine rencontre sur le continent devrait se tenir en juin à Brazzaville.

M. Abba souligne de son côté l’Association internationale des maires francophones, dont l’action proche du terrain, se révèle selon lui plus tangible aux yeux des populations. « La perception d’une structure bureaucratique composée de gens bien payés à Paris avec le statut diplomatique a pris le pas sur les réalisations concrètes de l’OIF », résume ainsi le chercheur.

Quelle suite pour l’organisation ?

Face à ce revers qui – selon ses propres chiffres – prive l’organisation de quelque 12 millions de locuteurs francophones, la direction a bien déploré un tel retrait simultané. Mais sa réponse est restée relativement discrète, principe de respect de la souveraineté des États oblige. Toujours est-il que la porte demeure entrouverte, si l’on considère le délai de rétractation de six mois prévu par les statuts de l’OIF. Un potentiel retour des pays concernés auquel ne croit pas un seul instant Seidik Abba. Malgré ce contexte de rupture, un autre chemin pourrait toutefois émerger. Conditionnés par l’accord préalable desdits États, certains programmes à destination de la société civile ou d’institutions indépendantes, telles des cours constitutionnelles, pourraient être maintenues, avance une source en interne.


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Pour pallier ce divorce annoncé, l’OIF miserait-elle aussi sur la République démocratique du Congo (RDC) ? Il faut dire que cet immense pays d’Afrique centrale voit l’usage du français exploser sous l’effet d’une croissance démographique supérieure à 3 % par an. En 2022, l’organisation estimait le nombre de francophones à 48 millions, soit environ la moitié de la population totale. Selon cette même source, l’OIF pourrait bientôt diligenter une délégation à l’allure diplomatique dans la région au centre des hostilités. Mais dans le cadre d’une possible médiation dans l’est de la RDC, le rôle de l’OIF interroge. Car du point de vue congolais, personne n’aura manqué le mandat de sa secrétaire générale, Louise Mushikiwabo, qui n’est autre qu’une ancienne ministre des Affaires étrangères du Rwanda.

En attendant, la francophonie se vit en premier lieu dans le quotidien des populations et existe parfois en dehors des murs de l’organisation siégeant dans le 7e arrondissement de Paris. Seidik Abba rappelle à ce titre que l’Algérie, l’un des plus grands pays francophones du continent, ne compte pas parmi les membres de l’OIF.


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