« Quand un site archéologique a été pillé, on ne peut plus rien en dire »

Quand il était petit, Dominique Garcia ne voulait pas devenir archéologue. Mais il était déjà très curieux et aimait, au grand dam de sa mère, ramasser les objets qui l’intriguaient pour les glisser dans sa poche. C’est cette curiosité, qu’il a « toujours entretenue », qui l’a conduit à s’intéresser à l’archéologie.

« L’archéologie, ce n’est pas très compliqué, glisse le président de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap). C’est juste baisser les yeux, être sensible à ces documents-là », puis les « mettre en perspective, raconter une histoire ». « À un moment donné, cette passion est devenue mon métier ».

Dominique Garcia, qui nous a reçus fin février dans son bureau au siège d’une institution qu’il pilote depuis maintenant dix ans, a participé ou dirigé de nombreuses fouilles, surtout en France mais aussi en Grèce, en Italie et en Syrie. Très vite, il s’est spécialisé dans l’étude des sociétés protohistoriques méditerranéennes.

« Ce qui m’intéressait, c’était de donner la parole aux Gaulois », de raconter « comment ils vivaient avant que César ne leur tombe dessus », de leur « redonner leur vraie place dans l’histoire de France », confie-t-il. Il a notamment travaillé sur les sites de Bibracte, d’Alésia, de Gergovie et du port antique de Lattes, dans l’Hérault, dont il est originaire.

Un métier qui a « totalement changé »

En plus de trente ans de carrière, Dominique Garcia a vu le métier « totalement changer ». L’archéologie préventive a ouvert de nouveaux champs à explorer alors que « jusqu’aux années 90, il y avait 300 archéologues » travaillant essentiellement à l’étranger. « Aujourd’hui, il y en a 3.000 », dont « la très grande majorité fouille sur le territoire métropolitain », fait-il remarquer.

L’archéologue n’est plus « cette personne qui sait, connaissant le latin et le grec, entouré de quelques étudiants et ouvriers ». « Un chantier de fouilles aujourd’hui, c’est devenu un laboratoire à ciel ouvert », avec une équipe dont les membres ont chacun leur spécialité : géologues, anthropologues, médecins, biologistes, historiens, spécialistes de l’ADN.

L’archéologie s’est aussi beaucoup « modernisée », assure-t-il. « On utilise des nouvelles technologies pour faire des relevés, pour repérer les sites. Ce n’est plus l’archéologue qui arrive avec sa petite balayette et qui va faire perdre du temps à l’aménageur. C’est le spécialiste qui va tout faire pour sauver les vestiges avec des outils qui sont appropriés. »

Aujourd’hui, les chantiers de fouille sont devenus de véritables « laboratoires à ciel ouvert » rassemblant des dizaines d’archéologues spécialisés.
© (Photo NR, Julien Pruvost)

Avec les élus, des relations normalisées

Cette efficacité est ce qui, à ses yeux, a permis aux archéologues de devenir « crédibles » vis-à-vis des élus, des particuliers et des entreprises lorsqu’ils interviennent sur un chantier pour un diagnostic ou une fouille. « On sait quand il va y avoir des travaux, on nous ordonne de venir et quand l’aménageur arrive, les travaux archéologiques sont terminés à la date prévue. » On est loin de la fin des années 70 et du début des années 80, « où on allait fouiller quand les tractopelles ne marchaient pas, la nuit ou le week-end ».

Il estime d’ailleurs que si elles ont pu être tendues, les relations avec les élus et les aménageurs se sont normalisées. « Aujourd’hui, très sincèrement, il n’y a plus de projet de loi visant à démonter l’archéologie préventive », observe Dominique Garcia. « Les élus se sont rendu compte que c’est une archéologie citoyenne, populaire » et « les aménageurs voient aussi que ça leur donne un rôle qui peut être valorisant ».

Il peut y avoir encore quelques frictions, « parce que le mec sur qui ça tombe n’est pas forcément content », ou « des pressions politiques » d’un élu qui trouve que les fouilles retardent les travaux. Mais c’est rare. « En 10 ans, alors qu’on fait 2.000 fouilles par an, j’ai eu moins d’une dizaine de gens qui m’ont appelé en me disant : “ C’est quoi ce bazar ? ” ».

Ce qui n’a pourtant pas empêché la nouvelle ministre de la Culture, Rachida Dati de déclarer, début avril, envisager la limitation des fouilles aux « prescriptions archéologiques indispensables », avant de faire rapidement marche arrière et d’assurer que la loi « ne sera pas modifiée ».

Prompt à monter au créneau pour défendre les principes de l’archéologie préventive, Dominique Garcia a, cette fois-ci, laissé ses collègues le faire. Il n’est pourtant pas du genre à mâcher ses mots.

À Carnac, il y a bien « eu un couac »

Lorsqu’on lui parle de l’affaire des menhirs détruits à Carnac, qui a fait grand bruit en juin 2023, il admet sans détour qu’ « il y a eu un couac ». « Il ne faut pas être dans le déni. Il y aurait dû y avoir une fouille sur ce secteur-là », même s’il y a pu y avoir un emballement médiatique « parce que Carnac, ça résonne à l’oreille » et que les gens ont pensé que « c’était les alignements », du fait des photos utilisées par certains médias pour illustrer leurs articles.

Il ne s’étonne pas non plus qu’« il y ait eu un trou dans la raquette ». Si les travaux d’aménagement sont très encadrés depuis la loi sur l’archéologie préventive de 2001, qui a amélioré la protection des sites, il y a tout de même « 700 km² qui sont aménagés chaque année en France ». « Ça fait beaucoup », souligne-t-il. Même si « en 2023, on a fait 2.500 opérations de diagnostic et de fouille ».

Dominique Garcia est « persuadé qu’en ce moment même, il y a un site archéologique quelque part en France qui est détruit » par quelqu’un qui fait des travaux sans demander d’autorisation. « Si vous approchez de Carnac, de Vaison-la-Romaine, ça se voit. Mais pour les sites dans des endroits plus reculés, moins cartographiés », le scientifique est convaincu que « ça peut passer inaperçu ».

En plus de « voler le patrimoine commun », les détectoristes « sortent les objets de leur contexte » et « on ne peut rien en dire ».

En plus de « voler le patrimoine commun », les détectoristes « sortent les objets de leur contexte » et « on ne peut rien en dire ».
© (Photo Flickr, Les Chatfield – CC-BY)

Les « terribles » dégâts des détectoristes

L’archéologue est encore plus sévère lorsqu’il s’agit de condamner les « terribles » dégâts causées par les détectoristes, ces chercheurs de trésors qui sillonnent les campagnes avec leur détecteur de métaux, à la recherche de vestiges archéologiques.

En faisant cela, non seulement « vous volez le patrimoine commun » et le propriétaire, si la découverte est faite sur un terrain privé, mais « vous sortez les objets de leur contexte, dont on ne connaîtra plus rien, parce que nous, quand on fouille un site qui a été pillé, on ne peut plus rien en dire », déplore-t-il.

La loi est pourtant claire, rappelle le président de l’Inrap : « C’est illégal. Vous n’avez pas le droit de faire de l’archéologie sans autorisation. C’est du vol, du recel, du trafic. » Et cela peut coûter très cher.

Malheureusement, « c’est devenu rentable ». « Si vous trouvez une monnaie gauloise et que vous la mettez sur eBay, même si vous n’y connaissez rien, il y aura quelqu’un à l’autre bout de la Terre qui va la connaître et qui va vous la payer au bon prix », se lamente-t-il. Et même quelqu’un de bien intentionné, qui ferait ça par passion, « détruit un site ». « Si vous aimez l’archéologie, venez nous voir, allez voir les associations », conseille Dominique Garcia. « Vous pouvez faire des découvertes, vous former et même peut-être en faire votre boulot ».

Bio express

> Dominique Garcia, 61 ans, est né à Clermont-l’Hérault, dans l’Hérault. Il est président de l’Inrap depuis 2014, professeur en archéologie à l’université d’Aix-Marseille et membre de l’Institut universitaire de France.

> Il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages dont « La Celtique méditerranéenne » (Errance, 2004), « Archéologie des migrations » (La Découverte, 2017), avec Hervé Le Bras, « La Protohistoire en France » (Hermann, 2018), avec Jean Guilaine, et « Atlas archéologique de la France » (Taillandier, 2023), avec Marc Boiron.

> Il est aussi l’auteur d’un « Livre blanc de l’archéologie préventive » remis à l’ancienne ministre de la Culture Aurélie Filippetti en 2013.


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