Plus d’un millier d’artisans-pêcheurs sénégalais ont été victimes en 2020 puis en 2021, d’une maladie de peau. Quatre ans après, les chercheurs ont déterminé avec certitude ce qui l’avait provoqué. Pourtant, des interrogations demeurent.
Plus d’un millier d’artisans-pêcheurs sénégalais ont été atteints de dermatite aigüe. Ils ont eu des inflammations cutanées sévères. Cela s’est manifesté par des sortes de boutons sur les bras, les jambes, le visage ou encore le sexe. Mais personne n’était en mesure d’expliquer pourquoi. Pour trouver la clef du mystère une quarantaine de scientifiques situés dans une quinzaine de laboratoire à travers le monde se sont mis en quête du ou de la coupable. « On est intervenus sans savoir vraiment ce qu’on cherchait », raconte Patrice Brehmer, chercheur à l’institut de recherche pour le développement, basé à Dakar.
Au début, les scientifiques pensent à « des polluants anthropiques » Des polluants d’origines humaines, des « polluants classiques. Il y avait le début de l’exploitation pétrolière au Sénégal, donc on s’était un petit peu orientés là-dessus », se souvient Patrice Brehmer. Il y a aussi eu des « hypothèses sur les phtalates qui seraient issus des filets. Et au fur et à mesure, en échangeant avec les pêcheurs, on s’est rendu compte qu’il n’y avait qu’une catégorie de pêcheurs qui était touchée. Il s’agissait des pêcheurs qui utilisaient des filets maillants dérivants de surface. C’était extrêmement curieux. Et cela nous a un petit peu orientés ».
Microalgue
Finalement, une toxine a été retrouvée dans de l’eau au fond de la pirogue de l’un de ces pêcheurs : la Portamine A. Après d’autres séries de tests les années suivantes, notamment lors du second épisode de la maladie, les chercheurs ont pu démontrer que c’est elle qui avait perturbé les cellules de la peau et déclenché une inflammation sévère. Ils en ont aussi identifié l’origine. La responsable, c’est une microalgue, la Vulcanodinium rugosum.
Le voile sur la « mystérieuse maladie » au Sénégal est donc levé. En revanche, on ne sait pas avec certitude, si la Portamine A est bien à l’origine des maladies de peau apparues en Guinée en 2023. Mais tout comme au Sénégal, ce sont des pêcheurs pratiquant un certain type de pêche qui ont été affectés.
Bouleversement environnementaux
Quant à savoir pourquoi cette microalgue et cette toxine ont tout d’un coup affecté les pêcheurs. On n’a pas encore de réponses certaines. La temporalité pourrait avoir une influence. En 2020 comme en 2021, les symptômes sont apparus en novembre au changement de saison quand des nutriments remontent des eaux profondes. Mais, cela n’était pas arrivé auparavant. Cela soulève donc la problématique des changements environnementaux. Les chercheurs émettent quelques hypothèses. « On suspecte fortement un transport par les eaux de ballast des navires, détaille Patrice Brehmer. C’est un phénomène qui est largement connu et documenté pour la dissémination de ces différents types de microalgues toxiques dans le monde ».
Pour faciliter la navigation, les bateaux pompent, en effet, de l’eau dans des cuves pour se stabiliser. Par exemple, quand le bateau a peu ou pas de marchandise, il peut remplir d’eau ces compartiments spéciaux et les vider dans un autre port lorsque la marchandise est chargée. Dans certains cas, des espèces du point A se retrouvent au point B, alors qu’elles n’y sont pas naturellement présentes.
Par ailleurs, « les bouleversements liés au réchauffement climatique : température et oxygénation de l’eau » ou encore l’acidification des océans provoqués par la plus grande concentration en CO2 dans l’atmosphère, favorisent la prolifération et la redistribution de certains micro-organismes. Cela pourrait donc être une piste contribuant à expliquer la maladie des pêcheurs, mais cela reste à prouver.
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