Dix jours après l’annonce du président béninois Patrice Talon de mettre sous embargo le pétrole nigérien en rétorsion à la réticence de la junte militaire de ce pays à ouvrir sa frontière, la tension reste palpable entre les deux pays. Pour débloquer la situation, plusieurs observateurs estiment qu’il faut rapidement trouver un interlocuteur majeur pour jouer le rôle de bons offices entre les deux parties. Si tant est qu’une médiation est encore possible, il n’y a pas grand monde qui se bouscule au portillon pour jouer ce rôle.
Le mercure ne cesse de monter entre le Bénin et le Niger depuis le 26 juillet 2023 date à laquelle les militaires dirigés par le général Tchiani ont pris le pouvoir au Niger en renversant le président régulièrement élu Mohamed Bazoum. Depuis le 06 mai dernier, la tension est montée d’un cran, lorsque le Bénin, a décidé de bloquer l’exportation du pétrole nigérien en représailles à l’intransigeance des autorités du Niger qui s’obstinent à garder leurs frontières terrestres fermées avec le Bénin.
Cette décision sera confirmée par le président béninois, Patrice Talon deux jours plus tard et il la décrit « comme une mesure difficile mais nécessaire ».« Il est impératif de rétablir des échanges économiques formels pour permettre le transit de biens, y compris le pétrole, à travers le Bénin pour leur expédition. Nous avons communiqué cette exigence aux autorités nigériennes sans recevoir de réponse satisfaisante« , a déclaré M. Talon le 8 mai 2024.
L’objectif ultime pour le chef de l’État béninois est d’obliger son homologue nigérien à lâcher prise dans le bras de fer qui les oppose et d’ouvrir ses frontières terrestres. En effet, malgré l’ouverture de la frontière côté béninois suite à l’allègement des sanctions prises par la Cedeao pour contraindre la junte militaire à rétablir l’ordre constitutionnel, la circulation et le transport des marchandises n’a pas pour autant repris à ce jour. De leur côté les autorités nigériennes ne calment pas le jeu.
Comme si cette décision du président béninois, pourtant lourde de conséquences pour les deux pays ne lui fait ni chaud ni froid, le Premier ministre nigérien Mahaman Lamine Zeine déclare en réponse : « si ce blocage devait survenir, il reviendrait d’abord aux Chinois de régler l’affaire avec les Béninois. Le Niger, quant à lui, s’en tiendrait au contenu de l’Accord ». Et pour justifier le maintien de leurs frontières terrestres fermées, les autorités nigériennes affirment que le nord du Bénin abrite des camps militaires français où « s’entraînent des terroristes » prêts à attaquer leur pays. Puis le lundi dernier, la crise entre les deux pays franchit un nouveau palier dans l’escalade.
Les autorités nigériennes donnent un nouveau tour de vis aux relations exécrables avec leur voisin en décidant d’exclure les transporteurs béninois de l’acheminement de leurs marchandises en provenance du Togo. Aujourd’hui, tout le monde est à cran et se demande quelle va être la réaction du côté béninois. Va-t-on franchir la ligne rouge ? A ce jeu du chat et de la souris qui sera le premier à céder sans avoir l’air de perdre la face ?
En fait, une crise de confiance s’est installée entre la junte militaire nigérienne et le président Patrice Talon depuis qu’il s’était engagé de commun accord avec les autres dirigeants de la CEDEAO d’une option militaire comme possible solution pour rétablir le président déchu Mohamed Bazoum dans ses fonctions régaliennes. Ce qui n’a pas plus à la junte militaire nigérienne. Même si Talon s’est ravisé entre-temps et a reconsidéré sa position, une crise de confiance s’est installée et n’a fait que s’exacerber au fur et à mesure que le temps passe. A l’heure actuelle, la chose la plus importante serait une démarche plutôt diplomatique et stratégique, bien réfléchie, visant à rapprocher les positions tranchées des deux parties plutôt que la confrontation. Malheureusement, les voix des partisans de la médiation sont de moins en moins audibles.
Il n’y a presque personne dans la sous-région pour jouer les bons offices. Il faut reconnaître aussi que le président Patrice Talon n’a pas beaucoup d’amis dans la sous-région et même en Afrique. Depuis plus de huit ans qu’il est au pouvoir, très peu de chefs d’État africains lui ont rendu visite. Pour diverses raisons il n’est pas en odeur de sainteté avec plusieurs de ses homologues. La junte militaire nigérienne aussi. Elle a rompu les amarres avec les autres pays de la Cedeao pour créer l’Aes avec les putschistes du Mali, Burkina et la Guinée.
Toute chose qui amenuise les chances d’avoir un facilitateur. Certes, les anciens chefs d’État de la sous-région par la voix de l’ex-président béninois Nicéphore Soglo se sont donnés volontaires pour servir de courroie de transmission. Mais, il faudra d’abord que les deux parties acceptent la proposition. La Chine, partie prenante dans ce bras de fer pourrait jouer un rôle majeur. Là aussi, il faudra attendre de voir.
Risque d’enlisement de la situation
Au stade actuel, personne ne peut prédire l’issue de cette confrontation qui pour le moment semble se limiter au plan diplomatique et économique. Mais la crise de confiance où chacune des parties semble faire preuve d’un ego surdimensionné peut entraîner l’enlisement de la situation. Chacun y va la fleur au fusil pour montrer sa force et sa détermination. Les risques de pourrissement sont d’autant plus grands que chacune des parties a les moyens de sa politique sauf le Bénin.
Du côté nigérien les frontières terrestres d’avec le Bénin peuvent rester fermées pendant encore de longs mois sans aucun problème. En effet, la longue traversée du désert au moment de l’imposition des lourdes sanctions de la Cedeao contre le pays a entraîné une résilience des Nigériens. Cette situation leur a permis de trouver d’autres partenaires et d’autres voies pour acheminer leurs produits. Le Togo, qui cherche régulièrement à jouer un rôle de médiateur dans la région ouest-africaine avait joué un rôle important dans l’allègement des sanctions de la Cedeao contre le Niger.
Mais aujourd’hui les choses ont changé. C’est plutôt le pays du président Faure Gnassingbé qui tire les marrons du feu allumé par le président Talon et ses pairs de la Cedeao en engrangeant d’énormes profits pour son économie du fait que tout le trafic portuaire nigérien a été déporté vers celui de Lomé. Le Togo est devenu un atout majeur pour la junte militaire et les liens économiques entre les deux pays se sont consolidés de sorte qu’aujourd’hui le Niger peut se passer allègrement du pont de Malanville, point de passage de ses marchandises désormais fermé. D’autant plus que le fleuve Niger ouvre une autre porte de sortie et d’entrée des marchandises de l’informel, facilite le commerce entre les deux paysages depuis des lustres.
De jour comme de nuit, des centaines de pirogues font traverser des biens et des personnes malgré quelques frayeurs. La frontière avec le Nigeria longue de plus de 1800 km a été également ouverte des deux côtés et constitue un troisième passage des marchandises. Tout compte fait, l’embargo imposé par Patrice Talon pourrait ne pas suffire pour contraindre son homologue nigérien à ouvrir ses frontières terrestres. Pour rappel, dans un précédent bras-de-fer avec la première puissance mondiale les États-Unis et le pays colonisateur la France, la junte militaire est sortie vainqueur en parvenant à les chasser de leur territoire.
Le général Tchiani et ses compagnons pourraient s’enorgueillir et se dire que ce n’est pas le « petit » Bénin qui les fera fléchir. Du côté de la Chine, elle pourrait tout simplement prendre son temps en attendant des jours meilleurs avant d’agir. Certes, le pétrole nigérien est très important pour booster son économie énergivore. Mais, l’Empire du Milieu s’approvisionne en Russie et à bas coût, depuis que ce pays a engagé une guerre avec son voisin ukrainien. Les Chinois peuvent alors décider de garder le pétrole nigérien en réserve pour l’avenir en attendant que les deux pays trouvent une solution à leur crise.
Ils peuvent aussi attendre le changement de régime au Bénin en 2026 tout en continuant à payer au Niger les dizaines de milliards de dollars en contrepartie du contrat pétrolier. Ils peuvent enfin décider de déplacer le pipeline d’á peine une dizaine de kilomètres vers le Nigeria pour continuer à exporter le pétrole nigérien. Le président Tinubu ne trouvera aucune objection à cette option.
D’ailleurs, ce pays convoitait déjà ce projet depuis sa mise en œuvre. En même temps, les autorités chinoises pourraient entreprendre des actions judiciaires contre le Bénin pour rupture abusive de contrat et s’attendre à être dédommager à coup de milliards de dollars. En fin de compte, c’est le Bénin qui sort perdant de cette confrontation. Le pays ne recevra plus les 10 milliards de FCFA annuel du projet et tous les avantages y afférents.
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