Crédit photo, SAR
C’est la Société africaine de raffinage (SAR) qui donne l’information dans un communiqué en date du jeudi 13 février 2025. Le Sénégal a commencé à raffiner son propre pétrole dans sa raffinerie située près de Dakar.
La SAR « est fière d’annoncer le succès du raffinage du premier pétrole brut Sénégal, le Sangomar », du nom du site de production du pétrole offshore (centre-ouest), a indiqué l’entreprise dans un communiqué.
Créée en 1961, la Société africaine de raffinage ne traitait jusqu’ici que du pétrole importé. L’entreprise affirme avoir raffiné à partir du samedi 15 février, 650 000 barils de pétrole brut qui ont donné 90 000 tonnes de produits divers, dont du gasoil, du kérosène, de l’essence et du gaz butane.
Le raffinage du pétrole brut au Sénégal est une étape essentielle vers l’indépendance énergétique et la baisse du coût de l’électricité. Cette première constitue une avancée majeure dans la stratégie globale de souveraineté énergétique du Sénégal.
Avec des réserves de pétrole et de gaz récemment découvertes, le pays vise à réduire sa dépendance à l’égard des importations de pétrole raffiné et à stimuler la croissance économique.
Mais le raffinage local transformera-t-il réellement l’économie ou des défis financiers, économiques et environnementaux limiteront-ils son impact ?
BBC Afrique pose le débat.
Le Sénégal a démarré en juin 2024 sa production pétrolière dans le champ de Sangomar où opère le groupe australien Woodside Energy. Le pays est également devenu fin décembre producteur de gaz, qu’il partage avec la Mauritanie, à leur frontière maritime.
L’exploitation du pétrole de Sangomar a généré environ 595,17 milliards FCFA en 2024, selon les données publiées par l’opérateur Woodside.
La production annuelle de pétrole s’est élevée à environ 16,9 millions de barils de pétrole brut, dépassant ainsi l’objectif initial de 11,7 millions de barils.
Une production destinée à l’exportation et à la consommation domestique et qui est loin d’atteindre les niveaux des géants mondiaux et africains comme le Nigéria.
Mais des revenus en milliards de dollars en sont attendus, ainsi qu’une transformation accélérée de l’économie et une baisse du coût de l’électricité pour les ménages et les industries.
Quels sont les enjeux du raffinage du pétrole par la SAR ?
Le raffinage du pétrole est un procédé industriel qui permet de transformer le pétrole brut en différents produits pétroliers finis.
Le pétrole brut est transformé dans les raffineries en une série de produits de haute qualité tels que le GPL, le kérosène, l’essence, le diesel, le mazout et des matières premières de base pour l’industrie chimique.
Cela signifie qu’une raffinerie doit pouvoir traiter différents types de pétrole brut – dont la composition peut varier considérablement – et pouvoir également fournir les produits souhaités dans la proportion appropriée en fonction de la demande.
Selon Awa Traoré, Experte Climat, Consultante Internationale Senior en Transition énergétique juste, cette opération constitue « une avancée majeure vers la souveraineté énergétique revendiquée par les autorités sénégalaises. »
« Cela signifie concrètement que le Sénégal pourra approvisionner le marché sénégalais en produits pétroliers et mettre à disposition du marché domestique des produits dérivés tels que le fuel et le gasoil. Toutefois, les quantités de pétrole produites et raffinées devront être conséquentes pour permettre de satisfaire la demande domestique et assurer l’exportation de volumes considérables qui contribueront à générer des revenus importants », déclare Mme Traoré.
«Toutefois, en ce qui me concerne, je suis convaincue qu’une transition énergétique juste vers les sources d’énergie renouvelables serait une bien meilleure alternative pour le Sénégal, qui à travers son agenda national de transformation 2050 compte atteindre une souveraineté environnementale sur la base d’un 50/50 de gaz et d’énergie renouvelable », préfère tempérer la Consultante en Transition énergétique.
Pourquoi raffiner son pétrole brut ?
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Crédit photo, SAR
Aujourd’hui, le Sénégal importe la quasi-totalité de ses produits pétroliers raffinés, ce qui expose le pays aux fluctuations des prix mondiaux. Raffiner localement permet donc de capter une partie des bénéfices qui reviendraient autrement aux raffineries étrangères.
Selon Demba Seydi, consultant senior en gouvernance des ressources naturelles, le choix du Sénégal de raffiner son pétrole brut au niveau local obéit à une logique économique et de baisse des coûts de l’électricité.
« La SAR, après une longue expérience de raffinage de tout le produit brut qui sortait de l’exploitation de la compagnie Forteza au Sénégal, notamment à Gadiaga, dispose de la technique, de l’expérience et bien sûr de la connaissance requise pour pouvoir faire ce travail au niveau local. Donc naturellement, bien sûr, avec les productions aussi élevées, cela requiert le renforcement des capacités techniques et financières, mais toujours est-il que la SAR détient le savoir-faire de la transformation du produit brut au niveau local, donc bien sûr pour répondre au premier objectif, c’est-à-dire l’alimentation en termes d’énergie, notamment pour l’électricité et pour les carburants à des coûts beaucoup plus raisonnables que les produits importés », observe M. Seydi.
« Le Sénégal, a choisi de contrôler toute la chaîne de valeur, c’est pour cela qu’on parle de plus en plus d’aval pétrolier. C’est pourquoi on a eu maintenant Petrosen Trading et Services, il y a d’autres services qui naturellement pourront s’y ajouter à travers la loi sur le contenu local qui va favoriser la transformation au niveau local mais aussi créer une valeur ajoutée. Le fait de transformer sur place crée beaucoup plus de valeur ajoutée. Ensuite, on maîtrise toute la chaîne et puis cela crée davantage d’emplois », précise t-il.
Selon la Consultante Internationale Awa Traoré, trois raisons majeures peuvent expliquer ce choix stratégique : « Promouvoir le contenu local et permettre au marché sénégalais de se développer, devenir compétitif à long terme avec une maîtrise des technologies utilisées et des coûts le long de la chaîne de valeur du pétrole et du gaz et enfin lancer la machine de la révolution industrielle tant mentionnée par le nouveau gouvernement. »
Faisabilité et défis
Les défis sont de trois ordres : techniques, financiers et environnementaux.
Modernisation de la SAR (Société Africaine de Raffinage) : Actuellement, la seule raffinerie du Sénégal, la SAR à Mbao, a une capacité limitée et doit être modernisée pour traiter efficacement le pétrole brut local.
Qualité du pétrole brut : Selon sa composition, le brut sénégalais pourrait nécessiter des technologies spécifiques pour être raffiné efficacement.
Financiers et économiques :
Construire ou moderniser une raffinerie nécessite des investissements coûteux qui peuvent s’élever à plusieurs centaines de millions de dollars. D’où un recours à des financements publics, privés ou des partenariats public-privé.
Pour assurer sa rentabilité, une raffinerie doit fonctionner à pleine capacité, ce qui nécessite une demande locale et régionale suffisante pour maximiser la production.
Enjeux environnementaux :
La gestion des déchets et des émissions constitue un problème environnemental de taille. Le raffinage du pétrole génère des polluants et des déchets toxiques, nécessitant des mesures strictes de contrôle environnemental et de respect des normes.
L’obectif stratégique de la SAR est de traiter la totalité de la production quotidienne de 100 000 barils de Sangomar d’ici 2028, un objectif loin d’être insurmontable selon Awa Traore, Expert Climat et consultante.
« En termes de faisabilité, si l’affirmation de la SAR sur les résultats publiés est correcte, à savoir le raffinage de 650 000 barils de pétrole brut qui ont donné 90 000 tonnes de produits divers, dont du gasoil, du kérosène, de l’essence et du gaz butane, c’est dire qu’un potentiel existe vu que la première tentative a réussi », note estime Mme Awa Traoré.
Le Sénégal qui ambitionne de devenir un hub pétrolier en Afrique de l’Ouest, compte sur cette manne du pétrole pour stimuler la croissance économique et réduire sa dépendance énergétique.
Cependant, pour assurer son succès à long terme, il faudra surmonter des défis liés aux infrastructures, à l’environnement et à la concurrence régionale.
« Naturellement, il y a des défis qui sont liés à l’exploitation au niveau local. Parce que la SAR, ces dernières années, a connu des difficultés financières qui ont fait l’objet de beaucoup de bruit sur la place publique, y compris avec les emplois et même de la compagnie, donc qui ont organisé des grèves, etc. Donc je crois que tout ça constitue des défis. Et l’autre chose, c’est que si la production, à ce rythme, se confirme en termes de quantité attendue, la SAR peut se retrouver dans des difficultés de stockage. D’abord des produits bruts non transformés. Ensuite, même de la capacité technique de pouvoir transformer tout le produit à des délais raisonnables, ce qui fait que ça risque d’engendrer d’autres coûts parce que le produit est porté par d’autres bateaux qui aussi devront coûter à l’Etat du Sénégal de l’argent. Donc tout ça constitue des défis financiers qu’il faudrait intégrer dans la question », explique Demba Seydi.
« Les défis environnementaux restent une préoccupation dans le contexte où le Sénégal s’engage à limiter les émissions de gaz à effet de serre à travers tous les engagements internationaux et avec son engagement de pouvoir favoriser une transition énergétique en favorisant les énergies renouvelables. Donc, les techniques dont dispose la SAR aujourd’hui ne facilitent pas ce projet de transition ou bien ce projet de limitation des gaz à effet de serre. C’est le plus grand défi parce que les défis financiers sont faciles à résoudre parce que d’autres partenaires sont intéressés à collaborer avec la SAR. Je crois que la nouvelle équipe dirigeante de la SAR a défini des objectifs clairs de s’ouvrir à d’autres partenaires qui pourront bien sûr investir de façon considérable dans ce projet-là. Et c’est un projet assez rentable. Mais toujours est-il que les défis environnementaux ne sont pas faciles à régler en un seul jour. »
Retombées attendues

Crédit photo, SAR
Avec des prévisions de production quotidienne estimées à 100 000 barils, le projet Sangomar pourrait générer près de 60 milliards de dollars en revenus pour le Sénégal sur 25 ans, selon les estimations.
« Les retombées attendues sont chiffrées en milliards de dollars mais rien ne nous dit que ces chiffres seront atteints et très sincèrement si l’on effectue une analyse coût-avantage en prenant comme critère d’analyse l’environnement dans le lequel ces productions de pétrole se font (plateformes de forage pétrolier offshore c’est à dire en pleine mer), est-ce que réellement l’exploitation de ces ressources bénéficieront aux sénégalais si le prix à payer est de voir l’écosystème marin détruit » ? s’interroge Madame Traoré.
« Pour un pays de pêche comme le nôtre dans lequel des centaines de milliers de personnes comptent sur les ressources halieutiques pour subvenir aux besoins de leur famille, et des millions d’autres pour leur consommation, ne pensez-vous pas que la raréfaction de ces ressources halieutiques pourraient plus nuire et menacer la sécurité alimentaire des populations qu’un investissement dans un secteur pétro gazier à l’avenir incertain dans le long terme ? Je reste convaincue que la meilleure trajectoire pour le Sénégal c’est d’effectuer une transition énergétique juste qui priorise les énergies renouvelables. Nous avons le soleil et le vent de façon gratuite. L’Etat gagnerait mieux à accroître la part des énergies renouvelables dans son agenda de transformation, car si celles-ci sont maîtrisées, elles pourraient booster l’économie en créant des emplois verts, et en améliorant les rendements agricoles, et les conditions de vie des populations ( équipements à base du solaire, éclairage public, cuisson propre, etc.) »
Les retombées attendues par l’Etat du Sénégal :
Réduction du coût de l’énergie :
Un approvisionnement local peut en effet contribuer à stabiliser les prix des carburants et de l’électricité.
Le secteurs pétrolier représente un immense réservoir d’emplois directs et indirects. Construction, maintenance, exploitation de la raffinerie et développement d’industries connexes (chimie, logistique, transport, etc.).
Moins d’importations de produits pétroliers signifie une réduction des sorties de devises et par conséquent une bonne nouvelle pour les finances publiques.
Développement régional :
Le Sénégal a pour ambition de devenir un hub pétrolier en Afrique de l’Ouest et se positionne pour exporter des produits raffinés vers des pays voisins.
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Crédit photo, PRESIDENCE DU SENEGAL
Le pétrole brut importé est raffiné au niveau de la Société Africaine de Raffinage pour produire des produits pétroliers. Le raffinage assure près de la moitié des besoins du Sénégal en produits pétroliers finis.
La Société Africaine de Raffinage assure aujourd’hui près de 50 % des besoins du marché local, selon les données officielles.
En raffinant localement le pétrole de Sangomar, le Sénégal se positionne pour remporter la bataille de la souveraineté énergétique et baisser la facture pétrolière.
Entre 2022 et 2024, le Sénégal a cumulé plus de 1 600 milliards FCFA d’importations en produits pétroliers, selon le Bulletin Statistique du Commerce Extérieur.
Le business du pétrole est le plus gros commerce mondial en termes de revenus et de volume.
Après la Seconde Guerre mondiale, le pétrole s’est largement imposé en tant que matière première source d’électricité domestique et d’énergie pour alimenter les véhicules thermiques, se substituant au charbon.
C’est toujours le cas aujourd’hui, même si son exploitation soulève des questions environnementales, en raison des fortes émissions de dioxyde de carbone qu’il génère à la combustion du pétrole.
Le gaz naturel, le nucléaire et les énergies renouvelables sont de plus en plus plébiscités, en raison de leur moindre impact sur l’environnement.
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