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14 chercheurs français et camerounais viennent de publier, après deux ans de recherche, un rapport sur le rôle de la France au Cameroun entre 1945 et 1971.
Le rapport du volet « Recherche » de la Commission franco-camerounaise sur le rôle et l’engagement de la France au Cameroun dans la lutte contre les mouvements indépendantistes et d’opposition a été remis aux présidents français et camerounais.
Après le Palais de l’Elysée à Paris le 21 janvier, le Palais de l’Unité à Yaoundé a accueilli le mardi 28 janvier 2025, les membres de la « Commission mixte ».
En effet, le Président Paul BIYA, a présidé ce jour-là, la cérémonie de remise des conclusions des chercheurs sur les événements qui se sont déroulés au Cameroun pendant la colonisation et après l’indépendance.
La genèse du rapport

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C’est le 26 juillet 2022 que le président français annonce sa volonté de mettre sur pied une commission mixte d’historiens camerounais et français pour « faire la lumière » sur l’action de la France au Cameroun pendant la colonisation et après l’indépendance. C’était lors d’une conférence de presse après sa rencontre avec le président Biya.
Le chef de l’Etat français avait également annoncé l’ouverture en totalité des archives françaises sur des moments « douloureux de l’histoire du Cameroun ».
Emmanuel Macron répondait en effet à la question d’un journaliste qui voulait savoir si la France allait « soit demander des excuses, soit prévoir des réparations pour les crimes commis au Cameroun. »
Pour le Cinéaste et auteur camerounais, Jean-Pierre Bekolo, « le rapport naît d’une espèce de doute que le président français émet sur les crimes qui ont été commis au Cameroun pendant la période coloniale et après. »
L’historien Jacob Tatsitsa disait déjà dès l’annonce que « la création d’une commission d’historiens est un stratagème pour contourner la reconnaissance des massacres coloniaux ».
Cependant pour le président Paul Biya, la mise sur pied de cette commission franco-camerounaise avait pour objectif de « briser un tabou vieux de plusieurs dizaines d’années, pour que la relation entre la France et le Cameroun puisse connaître de nouveaux développements ». Pour lui, il s’agissait en effet d’une suite logique des idées qu’il avait énoncées dans son livre « Pour le libéralisme communautaire », publié en 1987.
Paul Biya indiquait déjà que « l’indépendance de notre pays (Cameroun) fut conquise de haute lutte. L’indépendance de notre pays fut arrachée au colonisateur à travers des luttes acharnées, menées par les combattants qui avaient en commun l’amour de la patrie. »
Méthodologie de travail
La Commission mixte franco-camerounaise pluridisciplinaire sur le rôle et l’engagement de la France au Cameroun dans la lutte contre les mouvements indépendantistes et d’opposition entre 1945 et 1971 a été co-présidée par la chercheuse française Karine Ramondy et l’artiste camerounais Blick Bassy.
Le volet recherche dirigé par Karine Ramondy et composé de 14 chercheurs camerounais et français a rendu un rapport scientifique de près de 1000 pages.
La commission indique avoir travaillé sur 1100 cartons d’archives, et avoir eu accès à 2300 documents déclassifiés afin de combler le « vide mémoriel » de cette période, entre 1945 et 1971.
Les membres ont conduit un travail de dépouillement dans les grands centres d’archives nationaux en France et au Cameroun. Au Cameroun en occurrence, plusieurs centres d’archives ont accueilli également les membres du volet « Recherche » de la Commission et ont mis à disposition des quantités importantes de documents.
Si beaucoup de documents étaient déjà librement communicables, les chercheurs ont pu consulter, collectivement, des documents sous dérogation.
L’historienne Karine Ramondy ajoute qu’ils ont également eu accès à des archives à l’ONU, à Londres, aux Pays Bas, en Suisse. « On a aussi utilisé les archives orales parce que dans un pays où l’oralité est centrale, on ne peut pas faire l’économie des archives orales », précise-t-elle.
« On a mobilisé plus d’une centaine d’entretiens qui ont été faites soit par le volet recherche, soit par d’autres personnes qui nous les ont fournis », explique l’historienne.
Les conclusions du rapport

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Le volet recherche dirigé par Karine Ramondy a rendu un rapport scientifique de près de 1000 pages, accompagné de recommandations mémorielles, en accès libre sur le site Vie Publique .
La version physique de l’ouvrage est publiée aux éditions Hermann. Structuré en quatre parties chronologiques, il analyse notamment l’évolution de la répression en une véritable « guerre ». Une expression jusque-là exclue du discours officiel français sur la période coloniale au Cameroun.
Lors de la présentation du Rapport par Mme Ramondy le 28 janvier à Yaoundé, il est apparu que les forces françaises ont exercé une répression implacable au Cameroun avant l’indépendance. Cette répression s’est poursuivie après l’accession du pays à la souveraineté.
S’appuyant sur des milliers de pages d’archives accessibles, ainsi que sur des récits et témoignages recueillis au Cameroun et en France, la Commission a rétabli les faits sur les événements survenus.
Placée en grande partie sous mandat français après la Première Guerre mondiale en 1918, la gestion du Cameroun passe sous tutelle française en 1945, à la suite de la Deuxième Guerre mondiale. Le rapport souligne qu’à partir de ce moment, les autorités françaises instaurent une « répression multiple » (policière, administrative, judiciaire et politique) afin d’empêcher les responsables indépendantistes de faire entendre leur voix à l’ONU.
À partir de 1955, la répression des autorités s’intensifie et l’UPC, l’Union des populations du Cameroun, un parti indépendantiste, est interdite.
Ses responsables entrent dans la clandestinité dans le pays, et mènent des actions de guérilla, des assassinats d’hommes politiques camerounais et des enlèvements.
En réponse, la répression des autorités « va se généraliser à l’ensemble de la société », écrit le rapport.
Après l’indépendance (1960-1971), la répression continue.
Selon le rapport, « l’indépendance formelle (en janvier 1960) ne constitue absolument pas une rupture nette avec la période coloniale ». Les chercheurs expliquent qu’elle n’a pas pu « mettre un terme à l’implication des autorités françaises dans la répression des mouvements désormais d’opposition ». C’est ainsi que Ahmadou Ahidjo, président en 1960, va mettre en place « un régime autocratique et autoritaire avec le soutien des autorités françaises. »
Mme Ramondy explique que la personnalité d’Ahmadou Ahidjo ne « faisait pas l’unanimité » et était appelé « l’homme des Français ».
Ahmadou Ahidjo avait donc besoin d’être « assisté militairement et politiquement pour tenir son rôle ». C’est ainsi que les autorités françaises vont lui offrir un soutien militaire, politique, judiciaire très important qui va lui permettre peu à peu d’éloigner les menaces des « nationalistes indépendantistes ».
Réactions mitigées
Dès son annonce, la création de cette commission mixte sur l’histoire du Cameroun avait suscité des débats.
Les controverses entourant cette décision, et plus largement ce projet, ont ravivé le débat sur l’initiative lancée par le gouvernement camerounais, quelques années auparavant, en vue de rédiger une « histoire générale du Cameroun ». Mais, cette initiative peine à se concrétiser.
Dans un communiqué, la Société Camerounaise d’Histoire (SCH) avait qualifié de « mascarade » le projet annoncé par Macron en juillet 2022.
Son président d’alors, feu Prof Daniel Abwa s’indignait de la nomination de « l’historienne Karine Raymondy pour le volet recherche et le chanteur Blick Bassy pour un volet artistique ». Pour lui, « c’est plus qu’une insulte pour les historiens camerounais ». Il y voyait une « volonté française d’écrire l’histoire du Cameroun sans les historiens camerounais ». Pour Jean Pierre Bekolo, « le choix du Camerounais dans cette commission est une moquerie à l’intelligence africaine, camerounaise. »
En outre, Daniel Abwa indiquait également que « les crimes et les massacres de la France au Cameroun sont des faits historiques dont les prémisses sont déjà connues ». Il fallait selon lui, les creuser davantage pour mettre la France devant ses responsabilités et « justifier la transformation de l’accusation formulée contre ces actes en crimes contre l’Humanité. »
Le cinéaste Jean Pierre Bekolo rencherit en expliquant que les massacres en masse de nationalistes camerounais ont déjà été documentés. Il cite notamment les ouvrages « Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique, 1948-1971 (éd. La Découverte, 2019) et « La Guerre du Cameroun, L’Invention de la Françafrique » (La Découverte, 2016) de l’historien, Jacob Tatsitsa, Thomas Deltombe et Manuel Domergue. Il y ajoute les travaux de l’historien Achille Mbembe. Réputé proche de Macron, le cinéaste s’étonne que Achille Mbembe n’aie pas été convié à la recherche.
Jean Pierre Bekolo estime que les conclusions de ce rapport ne sont pas nouvelles. Il s’attendait à une réponse claire de la France sur sa responsabilité des massacres au Cameroun.
« On demandait un pardon, on demandait des réparations, c’est la seule chose qu’on demandait. La question qui a été posée à Macron, c’était cette question-là. Et en gros, la réponse est non », se désole-t-il.
Cependant, certains chercheurs ayant consacré de nombreuses années à cette question se réjouissent de la publication de ce rapport qui selon eux vient étayer et consolider leurs travaux antérieurs. Ce rapport représente indéniablement une avancée dans la compréhension de l’histoire coloniale du Cameroun. Désormais, il n’est plus possible de prétendre ignorer les massacres de la France au Cameroun.
Lors des cérémonies de remise, à Paris et Yaoundé, les deux présidents ont évoqué la création d’un comité de suivi des recommandations, la révision des programmes d’enseignement et le soutien à la recherche en histoire sur la période.
Pour le président Paul Biya, « il nous appartient dès à présent, d’enseigner et surtout de vulgariser ces travaux méritoires de co-construction entre la France et le Cameroun »
« La Commission Mémoire, a fait une œuvre qui impactera indubitablement les générations futures », se réjouit le président camerounais.
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