Est-il si loin ce temps où Corneille Nangaa, désormais chef et coordonnateur de l’Alliance fleuve Congo (AFC) – plateforme politico-militaire comprenant le Mouvement du 23 mars (M23), soutenu par le Rwanda –, se pavanait en costume dans les hôtels de standing de Kinshasa ?
Fin janvier, lorsqu’il reçoit la presse dans le calme d’un salon privé de l’hôtel Serena, à Goma, quelques heures à peine après une conférence de presse destinée à annoncer sa volonté non seulement d’administrer les Kivus mais aussi d’aller « jusqu’à Kinshasa pour chasser Tshisekedi », le volubile quinquagénaire, originaire de la province du Haut-Uele dans l’extrême nord-est de la République démocratique du Congo (RDC), soigne sa mise en scène.
Engoncé dans son treillis militaire, casquette enfoncée sur le crâne, Corneille Nangaa porte une barbe blanche que peu lui connaissent. Beaucoup peinent à croire en cette soudaine métamorphose en maquisard dans les cercles du pouvoir congolais. « Il a trouvé dans la rébellion un segment pour rentrer à nouveau dans le jeu politique », confie un ancien proche de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni).
« Sauver le Congo et éviter le chaos »
Celui qui incarne désormais la vitrine civile des combattants inféodés au Rwanda portait il y a quelques années encore le costume de notable. Après une carrière d’expert électoral où il arpente l’Afrique de l’Est pour observer les scrutins, il est bombardé en 2015 – sous l’influence du président d’alors Joseph Kabila et malgré une campagne d’opposition menée par l’Église catholique du Congo – président de la Ceni en RDC. En 2018, alors que l’élection présidentielle ne cesse d’être repoussée, Corneille Nangaa finit par valider des résultats, aujourd’hui reconnus comme truqués, et porte Félix Tshisekedi au pouvoir.
Des années plus tard, Corneille Nangaa reconnaît avoir modifié les résultats pour « sauver le Congo et éviter le chaos » et soutient qu’un pacte a été noué entre l’ancien chef de l’État Joseph Kabila et Félix Tshisekedi. Des malversations à double tranchant qui lui permettent d’intégrer les cercles du nouveau régime – son frère est nommé gouverneur du Haut-Uele –, mais qui lui valent aussi d’être sanctionné par le Trésor américain en 2019.
Rupture consommée
À mesure que les liens entre Félix Tshisekedi et Joseph Kabila se distendent, la position de Corneille Nangaa se complique. Favori du pouvoir, ses affaires périclitent. En 2021, tandis qu’il tente de conserver trois investissements aurifères dans sa région natale, des proches du pouvoir en place lui rachètent ses titres au rabais, selon une enquête du média Africa Intelligence en janvier 2022. Entre les autorités de Kinshasa et Corneille Nangaa, la rupture est consommée. En février 2023, il fonde son propre parti politique, Action pour la dignité du Congo et de son peuple (ADCP), pour briguer la présidence lors des élections de 2023.
Mais son opposition croissante à Félix Tshisekedi et ses sous-entendus sur les élections de 2018 le poussent à l’exil en août 2023. C’est à Nairobi, au Kenya, que Corneille Nangaa resurgit en décembre 2023 pour annoncer la création de l’Alliance fleuve Congo. Il prend la tête de la branche politique du mouvement et laisse son acolyte Sultani Makenga superviser les opérations armées du M23.
Tout en justifiant son alliance avec le M23 par une « convergence d’intérêts » car « l’ennemi de mon ennemi devient mon ami », celui que le gouvernement de Kinshasa considère comme un « pantin » du Rwanda, dans un raccourci bien rapide, ne cesse de répéter : « Si j’ai créé le monstre, je pense qu’il m’appartient de le défaire. » Aujourd’hui, Corneille Nangaa, dont le mouvement prend part à des discussions directes avec le pouvoir à Kinshasa, semble avoir choisi la voie du compromis et du dialogue.
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