- Le groupe armé M23, soutenu par le Rwanda, et l’Alliance Fleuve Congo qui lui est alliée, ont menacé, placé en détention et attaqué des journalistes, des détracteurs et des activistes de la société civile depuis la prise de Goma en janvier.
- Le rétablissement d’une certaine normalité dans les villes de Goma et de Bukavu, toutes deux occupées par le M23, exige de permettre aux journalistes et aux activistes de faire leur travail sans menaces, violences ou pire.
- L’Union européenne, ses États membres et les autres gouvernements préoccupés par la situation devraient adopter d’urgence de nouvelles sanctions ciblées contre le M23, ainsi que contre les hauts fonctionnaires rwandais et congolais responsables d’abus graves.
(Nairobi) – Le groupe armé M23 soutenu par le Rwanda, ainsi que l’Alliance Fleuve Congo (AFC) dont le M23 fait partie, ont menacé, placé en détention et attaqué des journalistes, des détracteurs et des activistes de la société civile depuis leur prise de Goma dans l’est de la République démocratique du Congo à la fin du mois de janvier 2025, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. L’Alliance Fleuve Congo est une coalition politico-militaire qui inclut le M23.
Dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, les combattants du M23 ont fait des descentes dans des maisons et proféré des menaces de mort et de représailles, sapant le travail des médias indépendants et d’organisations de la société civile. Les combattants du M23 ont également placé en détention des leaders de la société civile et commis des exécutions sommaires, notamment le meurtre d’un chanteur qui était aussi activiste à son domicile et de cinq hommes soumis à du travail forcé.
« Le M23, soutenu par le Rwanda, harcèle et attaque des activistes, des journalistes et des détracteurs pacifiques dans les zones qu’il contrôle à l’est de la RD Congo », a indiqué Clémentine de Montjoye, chercheuse senior sur la région des Grands Lacs à Human Rights Watch. « Le rétablissement d’une certaine normalité dans les villes de Goma et de Bukavu, toutes deux contrôlées par le M23, exige de permettre aux journalistes et aux activistes de la société civile de faire leur travail sans menaces, violences ou pire. »
Depuis la fin du mois de janvier, Human Rights Watch a mené des entretiens avec plus d’une vingtaine d’activistes congolais et de journalistes nationaux et étrangers dans les villes de Goma, Kinshasa et Bujumbura, et a examiné des enregistrements audio d’appels téléphoniques, des captures d’écran de messages et des enregistrements vidéo et audio de discours prononcés par des responsables de l’AFC et du M23. Human Rights Watch a reçu des informations crédibles indiquant que plus de 200 activistes ont fait des demandes de protection depuis que le M23 a lancé son offensive sur Goma en janvier puis a pris la capitale provinciale du Sud-Kivu, Bukavu, en février.
Les autorités du M23 et de l’AFC ainsi que le gouvernement rwandais sont tenus de respecter le droit international humanitaire dans les zones qu’ils occupent. Ils devraient permettre aux activistes de la société civile et aux journalistes de travailler et de se déplacer librement, sauf pour des raisons impérieuses de sécurité, et faire rendre des comptes à leurs membres responsables d’abus.
Le 5 mars, Human Rights Watch a transmis par courrier électronique ses conclusions préliminaires aux autorités rwandaises pour solliciter une réponse, mais n’a reçu aucun retour au moment de la publication du présent rapport.
Après la prise de Goma par le M23 et les forces rwandaises le 27 janvier, l’AFC a remplacé la police et d’autres institutions gouvernementales nationales dans la ville. Depuis lors, des combattants du M23 ont battu et exécuté sommairement des personnes suspectées de soutenir les forces armées congolaises et leurs alliés, ainsi que des criminels présumés, et ont pillé des maisons.
Un habitant de Goma a raconté qu’un groupe de combattants du M23 est venu à son domicile le 29 janvier et l’a accusé d’avoir aidé leurs ennemis à tuer leurs « amis » sur la ligne de front. « Ils m’ont frappé le dos à coups de bâtons toute la journée », a-t-il expliqué. « Je ne peux plus marcher. Ils m’ont battu, m’ont agressé et ont pillé ma maison. »
Le 13 février, des combattants du M23 ont abattu le chanteur et activiste Delphin Katembo Vinywasiki, connu sous le nom de Delcat Idengo, à son domicile, apparemment dans une situation de non-combat. Le 20 février, le porte-parole de l’AFC, Lawrence Kanyuka, a accusé Delcat Idengo d’être membre du mouvement de jeunes Lutte pour le Changement (LUCHA), et a déclaré à Human Rights Watch que les combattants du M23 l’avaient tué parce qu’il portait des « insignes militaires ». Lors d’un autre incident, une source indépendante a rapporté que des combattants du M23 ont exécuté sommairement un activiste de la LUCHA ainsi que quatre autres hommes, après qu’ils ont effectué du travail forcé pour le groupe armé.
Le M23 a depuis longtemps recours à des menaces et à l’intimidation pour restreindre l’accès de la population à l’information et étouffer les voix critiques. Les journalistes ont déjà rencontré des difficultés pour rendre compte de la situation à Goma.
Le gouvernement rwandais a arrêté des civils congolais sans fondement juridique clair. En février, les autorités rwandaises ont arrêté un activiste congolais qui était entré au Rwanda avant de le remettre aux services de renseignement militaire du M23 à Goma, qui l’ont détenu pendant sept jours. Lawrence Kanyuka a confirmé que l’activiste avait été arrêté au Rwanda à la demande du M23, et détenu dans des installations des services de renseignement militaire parce qu’il « était opposé à notre régime » et avait « émis de nombreuses critiques à notre égard ». Plusieurs activistes congolais ont été placés en détention et menacés par des responsables de l’AFC et du M23.
Les forces armées congolaises et leurs groupes armés alliés sont également responsables de graves abus. Lors des combats dans l’est de la RD Congo en 2024, plusieurs groupes armés alliés à l’armée congolaise ont multiplié les attaques contre les défenseurs des droits humains. Des journalistes ont rapporté avoir subi des pressions de la part du M23 et des autorités nationales congolaises afin qu’ils ne publient que des articles positifs sur les opérations militaires.
Le gouvernement congolais a également menacé de prendre des mesures contre les journalistes qui couvrent le conflit dans le pays. Le 7 janvier, le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication (CSAC) a annoncé que Radio France Internationale, France 24 et le programme Afrique de TV5Monde risquaient d’être suspendus pour avoir fait état des « prétendues avancées des terroristes ». Le ministre de la Justice, Constant Mutamba, a averti que toute personne, y compris les journalistes, qui relaie des informations sur le M23 et les forces rwandaises ferait face à de graves conséquences légales, allant éventuellement jusqu’à la peine de mort.
Les parties au conflit armé dans l’est de la RD Congo, y compris le Rwanda et le M23, ainsi que la RD Congo et ses groupes armés alliés, sont soumis au droit international humanitaire, ou droit de la guerre. Les textes de droit pertinents figurent dans les Conventions de Genève de 1949, notamment à l’article 3 commun, dans la Convention de La Haye de 1907, ainsi que dans le droit international coutumier. Le droit de l’occupation concernant la protection des civils s’applique aux zones, y compris Goma et Bukavu, que des forces rwandaises ou du M23 contrôlent. Alors que le droit de l’occupation permet aux forces d’occupation d’imposer des restrictions en matière de sécurité aux civils, il les oblige également, au fil du temps, à rétablir et à garantir l’ordre public et la vie civile pour la population occupée.
L’Union européenne, ses États membres et les autres gouvernements préoccupés par la situation devraient adopter d’urgence de nouvelles sanctions ciblées contre le M23 et les hauts fonctionnaires rwandais et congolais responsables d’abus graves.
Le 20 février, les États-Unis ont imposé des sanctions financières et matérielles au général James Kabarebe, ministre d’État et ancien commandant militaire du Rwanda, et à Lawrence Kanyuka, porte-parole de l’AFC. Les gouvernements devraient également faire pression sur le Rwanda pour s’assurer que les civils, y compris les journalistes et les activistes, bénéficient de la liberté de mouvement dans le territoire contrôlé par le M23, conformément au droit international humanitaire.
L’UE devrait également suspendre son accord sur les minerais avec le Rwanda à la lumière de l’implication des forces rwandaises dans des abus avec le M23, et revoir ses accords de coopération militaire et sécuritaire avec le Rwanda, y compris dans le cadre de la Facilité européenne pour la paix (FEP).
« En ces temps difficiles dans les villes contrôlées par le M23, la population locale a besoin d’accéder aux informations essentielles et à des actualités fiables », a conclu Clémentine de Montjoye. « Les gouvernements devraient faire pression sur le Rwanda pour s’assurer que le M23 permette aux journalistes et aux activistes de travailler sans restrictions inutiles qui exposent les civils à un risque accru. »
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Activistes et journalistes menacés à Goma
L’offensive militaire du M23 en 2024 a entraîné la fermeture de nombreuses stations de radio locales en raison d’attaques directes, de pillages, de prises de contrôle du M23 et de journalistes qui ont fui les combats. Reporters sans frontières a rapporté que plus de 25 stations de radio dans la province du Nord-Kivu ont cessé leurs activités en raison des combats et des pillages.
Depuis le début du mois de février, les nouvelles autorités administratives de l’AFC ont fait des déclarations menaçant la société civile, affirmant que l’AFC « fait le ménage » à Goma. De telles déclarations ont renforcé les craintes des journalistes et des activistes d’être pris pour cible.
Quelques jours après avoir pris la ville, les combattants du M23 ont commencé à harceler les journalistes, les activistes et les leaders de la société civile qu’ils considéraient comme une menace. Le 27 janvier, le colonel Erasto Bahati Musanga, un commandant du M23 qui a depuis été nommé gouverneur de Goma, a téléphoné à un activiste de la ville pour lui dire qu’ils le recherchaient parce qu’ils avaient suivi son travail dans le domaine des droits humains, portant sur les abus commis par le M23. « Après cela, je n’ai plus passé deux nuits au même endroit », a raconté l’activiste. Un autre activiste a expliqué à Human Rights Watch qu’Erasto Bahati Musanga l’avait également menacé de la sorte.
Les médias locaux ont rapporté que le 10 février, Ephraïm Kabasha, l’administrateur du territoire de Nyiragongo, juste au nord de Goma, a déclaré lors d’une réunion avec des chefs locaux que « la société civile et le CTJ [Conseil Territorial de la Jeunesse] sont les premiers semeurs de troubles et de conflits dans le territoire de Nyiragongo. Par conséquent, nous avons décidé de les écarter sous notre gouvernance. »
Human Rights Watch a examiné des captures d’écran de messages qu’Ephraïm Kabasha a envoyés pour menacer un activiste avant la prise de Goma. Après la prise de contrôle par le M23, Ephraïm Kabasha a téléphoné à au moins un autre activiste. « Il m’a gravement menacé et m’a dit : “Je sais où tu es, tu ne peux pas t’échapper” », a raconté l’activiste. « Depuis, je me cache. Je ne sais pas comment nous pouvons quitter Goma. Des inconnus se sont aussi rendus au domicile de ma famille. »
Au début du mois de mars, des combattants du M23 dans le Nord-Kivu ont détenu séparément deux leaders de la société civile, selon des informations crédibles. Les deux hommes avaient reçu des menaces du M23 en raison de leur travail sur le conflit. Ephraïm Kabasha aurait placé en détention Jacques Niyonzima, un leader de la société civile de Rutshuru, après son arrivée au bureau administratif du territoire de Nyiragongo. Le 4 mars, Ephraïm Kabasha a conduit l’homme dans un centre de détention militaire. Il a été libéré plus tard dans la journée après avoir été interrogé sur son travail sur les abus du M23. Jacques Niyonzima a été sévèrement battu et on lui a dit que d’autres seraient également arrêtés.
À la demande de Human Rights Watch de répondre aux allégations le visant, Ephraïm Kabasha a répondu que Human Rights Watch n’était pas la police judiciaire et devait cesser de lui poser des questions.
Le 3 mars, David Muisha, un leader de la société civile à Masisi, a été placé en détention à Goma et transféré vers un poste de police, selon des sources. Il a été libéré le 6 mars après avoir été battu et menacé en détention. Le 4 mars, à Goma, le M23 a placé en garde à vue Didace Jimmy Butsitsi Nchimiyimana, un activiste travaillant pour une organisation qui documente les crimes liés au M23 et à l’offensive militaire rwandaise dans l’est de la RD Congo. Des sources ont indiqué qu’il était détenu par le M23 à Goma dans un centre de détention militaire.
Le 2 février, le membre de l’AFC Jean-Louis Kulu Musubao, aujourd’hui maire de la commune de Kirumba, a prononcé un discours à la paroisse CBCA Virunga et a déclaré que le M23 « ne veut plus de la société civile, des mouvements citoyens et des groupes de pression, comme le mouvement de jeunesse LUCHA. Si vous y prenez part, vous aurez affaire à nous. »
Interrogé sur ces menaces privées et publiques, Lawrence Kanyuka, le porte-parole de l’AFC, a répondu à Human Rights Watch : « Il y a des règlements de comptes, des gens qui sont contre notre lutte, c’est tout à fait normal… Il y a des petits conflits auprès de la société civile qui travaille avec le gouvernement central… [mais] les mouvements citoyens c’est autre chose que la société civile. » Lawrence Kanyuka a également expliqué que des chefs de quartier locaux et des « points focaux » à Goma et Bukavu ont été emmenés à Bunagana, où le M23 possède une base, pour y recevoir une « formation idéologique ».
Plus d’une dizaine d’activistes et de journalistes ont raconté à Human Rights Watch qu’ils avaient été menacés par des combattants du M23 et qu’ils avaient peur pour leur sécurité. « Tous les activistes qui sont venus de Rutshuru [un territoire du Nord-Kivu] sont davantage en danger parce qu’ils sont connus de bon nombre des éléments du M23, en particulier ceux qui sont toujours à Goma », a expliqué un activiste qui est maintenant à Kinshasa. « Les menaces remontent à l’époque où les activistes ont fui Rutshuru, et maintenant que le M23 est à Goma, il demande à tous les activistes de rejoindre le mouvement et de remettre les copies de tous les rapports qu’ils ont établis contre le M23. » Un autre activiste de Rutshuru a fourni des captures d’écran et des enregistrements audio des menaces qu’il a reçues de la part de combattants et d’un commandant du M23 alors qu’il était à Goma, ce qui l’a incité à fuir avant que la ville ne soit prise.
Plusieurs activistes et journalistes ont rapporté que des combattants et des commandants du M23 étaient venus dans leurs maisons depuis que le M23 avait pris le contrôle de Goma. Un activiste a raconté que des hommes qu’il croyait être des membres du M23 sont venus à son domicile à deux reprises. Il a indiqué qu’un commandant du M23 lui avait également téléphoné et l’avait accusé de travailler pour le président congolais Félix Tshisekedi : « Il m’a dit que… si je me rends, il ne m’arrivera rien à part quelques jours de prison pour que j’accepte de devenir l’un des leurs, mais que si je refuse et que le M23 m’attrape, je pourrais mourir. » Un journaliste qui vit dans la clandestinité a raconté que quatre combattants du M23 sont venus chez lui en jeep au début du mois de février.
Deux journalistes qui ont fait des reportages à Bweremana, contrôlée par le M23, Jonas Kasula de Labeur Info et Jonathan Mupenda de Molière TV, ont déclaré avoir reçu des messages de menaces anonymes. Un message reçu le 9 janvier disait : « Vous étiez à Bweremana le 31 décembre et nous avions l’opportunité de vous assassiner. Sachez que nous surveillons tous vos mouvements. Lorsque nous arriverons à Goma, nous en finirons avec vous. »
Le 18 février, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) a exprimé son inquiétude pour la sécurité des avocats et d’autres membres du personnel judiciaire, en particulier ceux qui poursuivaient des personnes pour des crimes graves et qui se sont, depuis, évadées de prisons à Goma et à Bukavu. Le 17 février, la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits humains a exprimé son « extrême préoccupation » quant à la situation des défenseurs des droits humains dans l’est de la RD Congo.
Le 5 mars, la Rapporteuse spéciale a déclaré qu’elle avait reçu des « informations crédibles selon lesquelles des défenseurs des droits de l’homme sont détenus au secret, disparus de force et torturés à Rutshuru et Masisi, dans le Nord-Kivu, tandis qu’au moins six défenseurs des droits de l’homme sont portés disparus après avoir tenté de fuir Goma, suite à la prise de la ville par le M23 ».
L’article 3 commun aux Conventions de Genève exige des autorités qu’elles traitent les civils avec humanité en permanence et interdit les atteintes portées à leur vie et à leur personne, ainsi que les meurtres et les atteintes à la dignité des personnes. La quatrième Convention de Genève, qui traite des obligations légales qui incombent aux forces d’occupation, autorise la détention de civils uniquement pour d’« impérieuses raisons de sécurité ». Pour prévenir toute privation de liberté arbitraire, les autorités sont tenues d’informer la personne arrêtée des motifs de son arrestation ; de traduire rapidement devant une autorité indépendante la personne arrêtée pour une infraction pénale ; et de lui donner la possibilité de contester la légalité de sa détention.
Garantir la sécurité des activistes et des journalistes
Au cours des récents combats, des milliers de civils congolais ont cherché à atteindre des zones plus sûres, soit en RD Congo, soit de l’autre côté de la frontière, au Rwanda ou au Burundi. Le Rwanda n’a pas stoppé la plupart des civils qui tentaient d’entrer dans le pays. Depuis la prise de Goma par le M23 et les forces rwandaises le 27 janvier, la fermeture de l’aéroport de Goma et leur prise de Bukavu le 16 février, il n’y a pas de voies sûres pour quitter Goma vers d’autres régions de la RD Congo.
Des activistes inquiets pour leur sécurité dans les zones contrôlées par le M23 figurent parmi les personnes qui ont tenté de quitter Goma et Bukavu. Thomas D’Aquin Muiti Luanda, activiste et détracteur connu du gouvernement rwandais, et Clovis Munihire, coordinateur dans le Nord-Kivu d’un programme de désarmement dirigé par le gouvernement congolais avec qui Thomas D’Aquin Muiti Luanda a travaillé, ont été placés en détention à Gisenyi, au Rwanda, le 4 février après avoir traversé la frontière, a indiqué une source crédible à Human Rights Watch. Les autorités les ont détenus pendant plusieurs heures avant de les transférer au M23. Ils ont été libérés le 11 février sans avoir été informés des motifs de leur arrestation, ni avoir eu la possibilité de contester leur détention.
Interrogé sur leur détention, Lawrence Kanyuka, le porte-parole de l’AFC, a répondu : « Même quand on était à Rutshuru, Masisi, Kirumba, Kanyabayonga… ils étaient contre notre régime. Ils émettaient beaucoup de critiques à notre encontre. Nous sommes l’unique coq qui chante maintenant, nous n’avons pas le choix. » Il a expliqué que le renseignement militaire du M23 s’était occupé de leur cas.
Un autre activiste qui tentait de fuir au Burundi en passant par le Rwanda a été placé en garde à vue le 12 février à la frontière de la RD Congo par des responsables rwandais, qui l’ont accusé de voyager avec de faux documents de voyage, selon plusieurs sources. L’activiste est membre d’une organisation qui documente des abus commis par les forces rwandaises et le M23. Les sources ont indiqué que les documents de voyage de l’activiste étaient authentiques et ont exprimé des inquiétudes quant au fait qu’il était pris pour cible en raison de son travail.
Plusieurs activistes congolais qui ont fui vers Bujumbura, la plus grande ville du Burundi, ont déclaré à Human Rights Watch qu’ils étaient préoccupés par le risque de retour forcé. Depuis la prise de Bukavu par le M23, plus de 60 000 personnes ont fui au Burundi. Human Rights Watch a appris le 15 février que les autorités burundaises avaient placé en détention plusieurs activistes parmi des hommes et des garçons congolais, et avaient menacé de les renvoyer en RD Congo.
Le Rwanda et le Burundi, en tant que parties aux conventions de l’ONU et africaine relatives aux réfugiés, ont l’interdiction d’expulser ou de renvoyer des réfugiés vers des endroits où leur vie ou leur liberté seraient menacées, y compris en raison de leurs opinions politiques. Les gouvernements ont la responsabilité, en collaboration avec l’agence des Nations Unies pour les réfugiés, de fournir une protection physique efficace aux demandeurs d’asile et aux réfugiés sur leur territoire.
Exécutions sommaires commises par le M23
Le M23 a un long passé de graves violations des droits humains et du droit international humanitaire dans les zones qu’il contrôle, notamment des exécutions sommaires de civils et de combattants capturés. Depuis que le groupe a pris le contrôle de Goma à la fin du mois de janvier, les organisations nationales de la société civile, les médias et l’ONU ont fait état de meurtres commis par le M23. Les exécutions sommaires apparentes de deux détracteurs connus du M23 ont accru les craintes des activistes et des journalistes selon lesquelles les personnes jugées critiques à l’égard des autorités du M23 et de l’AFC pourraient être prises pour cible.
Pierre Katema Byamungu
Le 12 février, dans le territoire de Kalehe, dans la province du Sud-Kivu, le M23 a forcé Pierre Katema Byamungu, membre du mouvement activiste de la LUCHA, et sept autres hommes, dont des membres d’un conseil local de la jeunesse, à effectuer du travail non rémunéré, a rapporté une source indépendante à Human Rights Watch.
Après avoir transporté des combattants du M23 blessés et morts depuis le village de Muhongoza, ils ont été conduits au village de Buziralo. Le M23 a accusé Pierre Katema Byamungu et les autres d’être des membres des Wazalendos, une coalition de groupes armés alliés à l’armée congolaise. La source a indiqué que les combattants du M23 ont ensuite exécuté Pierre Katema Byamungu et quatre autres hommes.
Le porte-parole de l’AFC, Lawrence Kanyuka, a déclaré à Human Rights Watch le 20 février que le M23 n’était pas responsable de ces meurtres.
Delphin Katembo Vinywasiki (Delcat Idengo)
Le 13 février, à Goma, des combattants du M23 ont abattu Delphin Katembo Vinywasiki, un chanteur et activiste connu sous le nom de Delcat Idengo.
Les témoignages audio et vidéo que Human Rights Watch a examinés indiquent que, lorsque des jeeps sont arrivées chez Delcat Idengo, ce dernier a tenté de s’enfuir et des hommes armés l’ont abattu. Des vidéos et des photographies prises après le meurtre montrent de multiples blessures sur le corps de Delcat Idengo, plus précisément à la tête, aux bras et à la main droite. Des experts médico-légaux indépendants ont conclu que Delcat Idengo semble s’être protégé la tête avec ses bras lorsqu’on lui a tiré dessus.
Lawrence Kanyuka a confirmé que des combattants du M23 ont tué Delcat Idengo et l’a accusé d’être un membre de la LUCHA. « On a interdit à la population de porter des insignes militaires », a déclaré Lawrence Kanyuka. « On l’a trouvé chez lui avec des insignes militaires lors d’une opération de ratissage. »
Les informations concernant les vêtements que Delcat Idengo portait lorsqu’il a été tué sont contradictoires. Les médias ont rapporté que Delcat Idengo tournait un clip de musique lorsqu’il a été abattu. Certaines photos prises après le meurtre et diffusées sur les réseaux sociaux le montrent en pantalon de camouflage de style militaire ; d’autres le montrent portant un pantalon blanc avec un drapeau congolais brodé. Cela suggère que quelqu’un a changé le pantalon de Delcat Idengo après qu’il a été tué. Aucune arme n’est visible sur les photographies.
Un membre de la LUCHA a indiqué que Delcat Idengo était actif dans le mouvement entre 2018 et 2020 à Beni. En 2021, Delcat Idengo a été poursuivi, mais finalement acquitté pour avoir insulté le président Félix Tshisekedi et propagé de « fausses rumeurs » dans des chansons accusant Félix Tshisekedi de ne pas tenir ses promesses. Dans d’autres chansons, Delcat Idengo a également critiqué le M23 et d’autres groupes armés. Il attendait son procès après avoir été emprisonné en 2024 pour avoir prétendument incité à un soulèvement armé afin de forcer les Casques bleus de l’ONU à quitter le pays. Selon des informations relayées par les médias, il s’était échappé de la prison de Goma lors de l’offensive du M23 sur la ville. Le 12 février, la veille de son meurtre, il a sorti une chanson critiquant « l’occupation tutsie » et le M23.
Restrictions des médias dans l’est de la RD Congo
Restrictions imposées par le Rwanda et le M23
Conformément au droit international humanitaire, les journalistes qui réalisent des reportages dans des zones de conflit armé doivent être protégés et respectés. Cependant, les puissances occupantes peuvent prendre des mesures pour garantir la sécurité de leurs forces, à condition que ces mesures soient proportionnées et légales.
Plusieurs journalistes ont déclaré que Lawrence Kanyuka, le porte-parole de l’AFC, demandait aux journalistes étrangers de présenter une accréditation de presse rwandaise pour être autorisés à franchir la frontière pour rejoindre Goma. L’aéroport de Goma étant fermé, toutes les personnes se rendant à Goma doivent passer par le Rwanda. Lawrence Kanyuka a indiqué à Human Rights Watch que les journalistes pouvaient accéder aux zones contrôlées par le M23 avec une accréditation de presse rwandaise ou ougandaise.
Des témoins ont expliqué avoir vu des hauts responsables rwandais, y compris des membres du Service du Porte-Parole du Gouvernement rwandais, et Vincent Karega, ambassadeur itinérant du Rwanda pour la région des Grands Lacs, à Gisenyi, au Rwanda, organiser des transferts de journalistes à Goma. La décision du Rwanda de traiter les accréditations de presse pour les zones contrôlées par le M23 est révélatrice de la proximité du pays avec le groupe armé.
Des sources ont déclaré que Lawrence Kanyuka avait demandé à certains journalistes de remplir un formulaire détaillé, examiné par Human Rights Watch, recueillant notamment des informations sur le sujet et la nature de leurs reportages et les lieux où ils souhaitaient travailler. Lawrence Kanyuka a indiqué à Human Rights Watch que les sommes versées pour l’accréditation ne dépassaient pas 500 dollars US. Cependant, des sources ont affirmé que Lawrence Kanyuka avait exigé des paiements pour l’accréditation allant de 600 à 1 000 dollars, ce que Lawrence Kanyuka a confirmé.
Restrictions des médias et de la liberté d’expression par le gouvernement congolais
Le gouvernement congolais a souvent restreint les médias et le droit à la liberté d’expression dans l’est de la RD Congo pour des motifs politiques apparents.
Au cours de l’offensive du M23 sur Goma à la fin du mois de janvier 2025, les autorités congolaises ont coupé Internet et, en février, ont bloqué l’accès à des réseaux sociaux tels que TikTok et X.
Bien avant les récents combats, les autorités congolaises ont ciblé des détracteurs présumés du gouvernement, procédant à des arrestations, des détentions et des poursuites motivées par des considérations politiques. En mai 2021, le gouvernement a instauré l’état de siège dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, ce qui a facilité les restrictions de la couverture médiatique indépendante du conflit, notamment les restrictions imposées par l’organe gouvernemental de régulation des médias, le Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication (CSAC).
En février 2024, le CSAC a publié une directive appelant les médias à ne pas diffuser de débats sur les opérations de l’armée congolaise sans la présence d’au moins un « expert en la matière ». Il a également indiqué aux journalistes d’éviter les émissions à téléphone ouvert portant sur le conflit et de s’abstenir d’interviewer les « forces négatives ».
En avril, le CSAC a recommandé aux médias de ne plus « diffuser les informations en rapport avec la rébellion dans l’est de la RDC sans se référer aux sources officielles [gouvernementales] ».
En juillet, le CSAC a suspendu le journaliste Jessy Kabasele à la suite d’une interview radiophonique avec Koffi Olomide, un chanteur, au cours de laquelle ce dernier a critiqué la réponse de l’armée au M23. Le régulateur des médias a indiqué que Jessy Kabasele n’avait pas recadré correctement les propos de Koffi Olomide, qui « sape[nt] les énormes efforts et sacrifices consentis par le Gouvernement de la République ».
En juillet, des hommes non identifiés ont enlevé l’activiste Fortifi Lushima après qu’il a critiqué à la télévision la réponse du gouvernement au conflit. Il a été libéré quelques jours plus tard.
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