Un échange « d’abord sur l’actualité », avec le partage « d’informations très précieuses » sur l’épineuse situation du pays et de « recommandations » mutuelles pour la suite. C’est en ces termes que Mgr Donation Nshole, secrétaire général de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), a décrit les contours de son audition, jeudi 6 mars, avec le ministre de l’intérieur congolais Jacquemain Shabani. Convoqué par ce dernier, le responsable religieux était invité à apporter les preuves « des allégations de discrimination, de haine et de violence contre les Congolais et Congolaises en raison de leur origine, de leur langue ou de leur morphologie ».
Par un message du 22 février signé de Mgr Nshole, la Cenco avait en effet dénoncé la stigmatisation des swahiliphones, aux lendemains de la prise de Bukavu, la capitale du sud-kivu, par les rebelles du M23, et d’une déclaration du président Félix Tshisekedi. Alors qu’il était mi-février à la conférence de Munich sur la sécurité, le président congolais avait accusé son prédécesseur, Joseph Kabila, d’être le véritable commanditaire des M23. À la suite de cette « révélation » qui a révolté certains partisans des partis au pouvoir, des messages et images de menaces contre les swahiliphones – le groupe ethnique dont est issu Joseph Kabila – et les rwandophones, ont circulé sur les médias et réseaux sociaux.
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« Alors que nos frères et sœurs qui vivent dans la partie Est de notre pays, notamment au Nord-Kivu et Sud-Kivu, sont sinistrées par les affres de la guerre, nous assistons ces derniers jours à un regain de violences basées sur l’expression linguistique, dans d’autres parties du pays », déplorait l’épiscopat dans son message. Avant de « [condamner] sévèrement la chasse faite aux swahiliphones dans la ville de Kinshasa et certaines autres zones », et d’appeler le gouvernement à « prendre ses responsabilités » pour assurer la protection de la population et garantir la cohésion sociale.
« Des cas isolés » ?
En réaction à ce message, le ministre de l’intérieur congolais a décidé de convoquer, début mars, Mgr Nshole à ses bureaux en lui demandant d’apporter « toutes les preuves nécessaires pour étayer [ses allégations] notamment les lieux, les noms de personnes victimes et leurs adresses ». « Tout est clarifié », a réagi Mgr Nshole à l’issue de cette audition. Jacquemain Shabani a quant à lui souligné que « les faits évoqués par la Cenco étaient des cas isolés ». Il a rappelé que la plupart de ces incidents, « avaient déjà reçu une réponse appropriée de la part du gouvernement ». Pour l’avenir, il a estimé qu’il est « indispensable d’alerter (ses) services en premier lieu pour certifier de tels faits avant de les rendre public », car de telles interventions, si elles ne sont pas vérifiées, peuvent alimenter la psychose et servir les intérêts des ennemis.
Comment a été perçue cette convocation dans le pays ? Pour le professeur Tony Kanyinda, sociologue politologue, la démarche des autorités apparaît légitime. « Une dénonciation d’une institution aussi importante que la Cenco mérite d’être prise en compte par le ministère mandaté », assure-t-il, alors que les dossiers judiciaires concernant l’Église doivent être pris en charge par le ministère de l’intérieur – plutôt que celui de la justice –, en vertu d’un accord entre le Saint-Siège et la RD-Congo. « Si l’invitation venait d’un magistrat ou d’un juge, cela aurait eu une connotation d’acharnement, je trouve la démarche du gouvernement pédagogique en cette situation de guerre », poursuit-il.
Un « pacte social » pour la paix
Pour certains congolais, il s’agirait toutefois bien d’une tentative d’intimidation visant Mgr Nshole, l’un des principaux artisans de la mise en œuvre du Pacte Social pour la paix et le bien vivre ensemble, conjointement lancé par la Cenco et l’ECC (les églises protestantes). Ce pacte est mis en cause par le pouvoir en raison du dialogue qu’il initie avec les M23 – considéré comme une ligne rouge pour Kinshasa. Ces dernières semaines, une délégation chrétienne a ainsi rencontré des responsables politiques et partis prenantes du conflit, et demandé une audience au président Félix Tshisekedi pour lui faire part des résultats de ses entretiens. « J’espère que le chef de l’État la recevra d’ici là », a indiqué le porte-parole du gouvernement, ministre de communication, Patrick Muyaya, sur un média local.
Pendant ce temps, les combats se sont intensifiés, début mars, dans le territoire de Masisi, dans la province du nord-Kivu, au nord de Goma. Selon plusieurs sources locales, les affrontements opposent les Forces armées de la RD-Congo aidées par la milice Wazalendo aux rebelles du M23, soutenus par l’armée rwandaise qui tente de conquérir le territoire de Walikale. La société civile rapporte qu’il y a des victimes parmi les civils, ainsi que des déplacements massifs de populations.
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