En République démocratique du Congo (RDC), le torchon brûle entre le pouvoir politique et l’Église catholique. Il y a dix jours, on a appris que le cardinal archevêque de Kinshasa, Fridolin Ambongo, était menacé de poursuites judiciaires pour « propos séditieux » de nature à décourager les militaires qui combattent dans l’est du pays. Mgr Ambongo passera-t-il un jour en procès ? L’historien congolais Isidore Ndaywel est l’un de ses proches. Il est aussi le coordinateur national du puissant Comité laïc de coordination.
RFI : Des menaces de poursuites judiciaires contre le numéro un de l’Église catholique au Congo [Fridolin Ambongo], est-ce que ce n’est pas une première dans l’histoire de ce pays ?
Isidore Ndaywel : C’est vrai qu’il existe une lettre du procureur général de la Cour de cassation au procureur de la Cour d’appel de Matete, l’instruisant à ouvrir une action pénale à l’endroit du cardinal, mais ceci demeure une lettre d’intention.
Dans une interview au Figaro, le Président Tshisekedi lui reproche d’avoir dit récemment que le Congo armait les miliciens hutu FDLR, et de s’être fait ainsi le « propagandiste du Rwanda ».
Il faut préciser que le cardinal Fridolin Ambongo, son discours est de dire que la conférence épiscopale du Congo, la CENCO, condamne la rébellion, condamne les violences de l’est. Récemment encore, les évêques de la CENCO viennent de le faire pour ce qui s’est passé à Mugunga, près de Goma. Mais le cardinal a voulu dire, je crois, qu’il y a aussi des turpitudes qui relèvent de nous-mêmes. Je pense que c’est là où, effectivement, une telle déclaration n’est pas pour plaire au pouvoir, au président de la République. Donc effectivement, nous sommes en présence d’une situation conflictuelle. Mais il ne faut pas non plus qu’on exagère lorsqu’il y a des couacs à certains moments, surtout qu’il y a eu encore récemment un accord-cadre entre le Saint-Siège et l’État congolais.
En décembre dernier, le cardinal avait qualifié la présidentielle de « gigantesque désordre organisé ». Est-ce que la crispation actuelle entre le pouvoir et l’Église catholique ne date pas de ce moment-là ?
Disons que, globalement, nous savons que l’Église au Congo constitue une force tranquille. Mais une force de gauche qui, à plusieurs moments de notre histoire, rappelle à l’État le bien-fondé d’un certain nombre de principes de gestion. S’agissant des élections, oui, bien sûr. On savait depuis le départ que les élections allaient aboutir à énormément de difficultés, en commençant d’abord par la carte d’électeur qui n’était pas visible pour la plupart des citoyens. Donc voilà, il y a eu des problèmes réels à propos des élections.
Pourquoi dites-vous que l’Église est une force de gauche ? Pourquoi pas une force de droite ?
Je dis que c’est une force de gauche dans la mesure où cette force se trouve au ras du sol, auprès du petit peuple, de la réalité du quotidien.
Et peut-on dire que l’Église est, au Congo, une sorte de contre-pouvoir ?
Absolument, l’Église est une sorte de contre-pouvoir. Mais l’Église s’en tient aux institutions légales du pays. Et sur ce point-là, l’Église reste dans son rang. Nous n’avons pas eu au Congo la situation qu’on a eue au Congo-Brazzaville, où il y a eu un prélat [l’abbé Fulbert Youlou] qui est devenu le chef de l’État, ou en Centrafrique, où nous avons vu le père Barthélémy Boganda devenir un homme politique. Non, le Congo n’a jamais eu cette situation depuis le cardinal Malula, jusqu’à maintenant, avec Fridolin Ambongo.
Depuis la présidentielle de décembre, les opposants Moïse Katumbi et Martin Fayulu sont beaucoup moins audibles. Est-ce que l’Église catholique n’est pas en train d’occuper le terrain de l’opposition face à Félix Tshisekedi et de prendre le leadership de cette opposition ?
L’Église ne fait pas de la politique directement. L’Église s’occupe des problèmes essentiellement de type socio-économique. En ce qui concerne les questions frontales de la politique, normalement, c’est l’opposition et ça ne relève pas de l’Église.
On sait que Monseigneur Fridolin Ambongo fait partie du « C9 », le Conseil des cardinaux les plus proches du pape, depuis quatre ans. Est-ce qu’aujourd’hui ce début de procédure judiciaire contre le cardinal, ce n’est pas le signe que Félix Tshisekedi n’est pas dans un moment d’apaisement avec le Vatican et avec votre Église ?
Je ne pense pas, je voudrais quand même rappeler que, lorsque Fridolin Ambongo a été fait cardinal, le président Tshisekedi a fait le déplacement de Rome.
Donc, vous ne pensez pas que Monseigneur Fridolin Ambongo passera un jour en procès ?
À mon avis, non. Je constate que, depuis qu’il y a eu cette lettre, elle demeure une lettre. On n’a pas été au-delà d’une lettre.
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