Où en est-on dans le contrôle du territoire soudanais entre l’armée régulière et les paramilitaires des RSF ? A la tête de ces troupes, deux généraux autrefois alliés et aujourd’hui rivaux, qui ont fait sombrer ce pays de la Corne de l’Afrique depuis deux ans, sous leurs ambitions meurtrières. Le Soudan est le théâtre de la pire crise humanitaire au monde, selon l’ONU. « La guerre a démarré entre ces deux forces en avril 2023. Les « Forces de soutien rapide », comme on les appelle et qui sont des supplétifs de l’armée au départ, ont gagné beaucoup de terrain : elles sont parties de leur base du Darfour pour conquérir la vallée du Nil, le Soudan utile, afin de se rapprocher des centres névralgiques du pays, y compris la capitale », rappelle Marc Lavergne, directeur de recherche émérite au CNRS, spécialiste de la Corne de l’Afrique. « L’armée vient de reprendre le dessus et de s’emparer d’un endroit à la fois stratégique et symbolique qu’est le palais présidentiel, dans la capitale du Soudan : Khartoum est au confluent du Nil Bleu et du Nil Blanc. Trois villes se dessinent sur cet ‘Y’ : Khartoum, proprement dite, qui a été reprise par l’armée, Omdourman où les combats sont encore importants mais Omdourman est la ville où habitent les gens qui sont venus de l’ouest du Soudan, des confins du Tchad, etc. Et puis il y a Khartoum Nord [NDLR : ou Bahri], la ville industrielle également reprise par l’armée », détaille Marc Lavergne.
Comment documenter les exactions, les massacres à caractère ethnique ? Les populations noires sont-elles visées par les milices arabes ? Des organisations humanitaires sont sur les marges du Soudan, comme au Tchad, et c’est là que des groupes Massalit en particulier, qui sont des paysans, ont été visés et victimes d’un nettoyage ethnique par les forces de soutien rapide. Ces dernières reposent sur des tribus plutôt chamelières, des tribus du nord du désert qui cherchent aujourd’hui, avec la désertification, le changement climatique, à se convertir en paysans ou en tout cas à occuper des terres plus au sud dans le Sahel, donc au détriment des communautés paysannes », analyse Marc Lavergne. Quant aux accusations racistes, avec des populations noires visées par les milices arabes, « ce sont des qualifications qui se sont ajoutées pour justifier, je dirais, ce nettoyage ethnique. Ce n’est pas nouveau puisque, pendant la première crise du Darfour, au tournant des années 2000, c’était quelque chose qui a été utilisé par ce qu’on appelait les Janjawids, qui ont été remplacés aujourd’hui par les forces de soutien rapide, qui étaient issus de tribus arabes. Mais cette qualification est venue pour justifier cette faim de terres et ce manque de développement dont souffre le Darfour, comme tout le Soudan », estime Marc Lavergne, directeur de recherche émérite au CNRS.
Peut-on parler de guerre civile ? Quels intérêts économique attisent les appétits des généraux ? « Ce n’est pas ce qu’on appelle généralement une guerre civile. C’est une guerre, je dirais, entre deux crocodiles dans le même marigot, deux forces armées qui opprimaient le peuple soudanais au bénéfice de la dictature militaire. Parce que le Soudan, depuis son indépendance en 1956, n’est dirigé que par l’armée, avec des intermèdes de transition démocratique qui avortent au bout de quelques années. Là, on avait 30 ans de régime d’Omar el-Béchir, qui était sous mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale. L’Armée a voulu se débarrasser de lui et il y a eu une compétition avec ces forces de soutien rapide qui avaient été organisées, justement, par le dictateur pour se protéger de l’armée. Les forces de soutien rapide ont aussi gagné en poids parce qu’elles contrôlent les mines d’or du Soudan, ce qui leur donne à la fois le soutien des Émirats arabes unis, puisque Dubaï achète cet or, et puis par tous les pays voisins finalement, à part l’Egypte qui est une vieille structure militaire, où été formées la plupart des dirigeants soudanais. L’Egypte est elle-même soutenue par les Etats-Unis, par les pays occidentaux. Elle soutient plutôt cette dictature militaire qui se réinstalle actuellement.
Le rôle de la Russie et de ses mercenaires russes, avides de l’or du Soudan notamment : « pour la Russie, il était utile d’avoir un accès du Darfour jusqu’à la République centrafricaine. On sait que la Russie est du côté du maréchal Haftar en Libye : elle y débarque puis traverse le Darfour pour éviter les Français, qui étaient jusqu’à récemment dans des bases au Tchad, avec l’aide de ces RSF, pour atteindre la Centrafrique où les mercenaires russes exploitent des mines de diamants, d’or, etc. Mais la Russie soutient aussi l’armée. et penchera du côté du plus fort, je pense. Son intérêt est d’avoir accès à l’Afrique centrale grâce au Soudan. Et puis elle voudrait voir une base sur la mer Rouge de ce côté-là », indique Marc Lavergne, sachant que la mer Rouge est une voie maritime très importante pour le commerce international.
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